CHARLES DE FOUCAULD
IV. La vocation religieuse
La conversion de Charles de Foucauld est marquée de ce radicalisme qui fait les saints : « Aussitôt que je crus qu'il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui. Ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi. »
Aussi tout de suite, au gré des instructions que lui donne l'abbé Huvelin, s'impose à lui, comme une exigence d'amour, l'imitation de Jésus. Il entre donc dans la vocation religieuse par le sommet, pas du tout pour éviter l'enfer, ni même pour aller au Ciel, mais parce qu'il est embrasé de l'amour souverain du Cœur à cœur avec Jésus.
« Pour qui m'aime vraiment, m'aime passionnément, fait-il dire à Jésus ,mon amour est un lien sacré, un mariage, et toute pensée, toute parole, toute action contraire à la chasteté est une infidélité à l'Époux... Aussi comprend-il que la virginité, la chasteté ne sont donc pas l'état d'une âme qui n'est pas mariée, c'est au contraire l'état d'une âme mariée à un Époux bien-aimé, à l'Époux parfait, parfaitement beau, parfaitement saint, parfaitement aimable...et cet état est l'état normal, juste, vrai, pour l'homme, car la vérité, la justice c'est qu'il me regarde comme je suis, qu'il soit épris de ma beauté, qu'il m'aime passionnément, et qu'il me donne tellement tout son cœur que toute autre union lui soit impossible, odieuse, lui soit une infidélité à l'amour passionné qu'il me doit... » […]
En voyant la fougue et le radicalisme de son dirigé, l'abbé Huvelin qui ne voit pas les choses ainsi au commencement cherchera à le marier. Mais Charles ne veut pas en entendre parler, il ne songe qu'à la vie religieuse. C'est donc vers cette vocation qu'il va être conduit avec prudence, sagesse, et même lenteur par l'abbé Huvelin. Celui-ci lui suggère alors de faire un voyage en terre Sainte sur les traces de Jésus.
PÈLERINAGE EN TERRE SAINTE (novembre 1888 – janvier 1889)
« Je l'ai fait malgré moi, par pure obéissance à Monsieur l'abbé », écrira-t-il treize ans plus tard à Marie de Bondy. Il obéit, comme il le fera toute sa vie, et c'est là qu'il recevra la révélation de Jésus, c'est là qu'il connaîtra la grâce insigne de comprendre la vie que Jésus a menée avec ses saints parents pendant trente ans, puis avec ses disciples pendant trois ans. Découverte bouleversante qui sera la lumière de toute sa vie et qui inspirera toute sa conduite. […]
« “ Après avoir passé la Noël de 1888 à Bethléem, avoir entendu la Messe de Minuit et reçu la Sainte Communion dans la grotte, au bout de deux ou trois jours je suis retourné à Jérusalem. La douceur que j'avais éprouvée à prier dans cette grotte qui avait résonné des voix de Jésus, de Marie et de Joseph, et où j'étais si près d'eux, avait été indicible... Mais, hélas ! après une heure de marche, le dôme du Saint-Sépulcre, le Calvaire, le mont des Oliviers se dressaient devant moi, il fallait, qu'on le veuille ou non, changer de pensées et se retrouver au pied de la Croix. ”
« C'est dans le prolongement de cette compréhension de la Croix que Charles de Foucauld, quelques jours plus tard, le 10 janvier, prend conscience, dans la ville de Nazareth, de ce qu'a été la vie cachée de Jésus : une vie monotone, commune, misérable. L'humiliation de Jésus qui l'avait tant frappé au Calvaire, est insérée avec force dans la condition de Nazareth, et Charles de Foucauld se représente dès lors la vie cachée comme une vie “ abjecte ”. […]
Charles revient ébloui de ce pèlerinage qui fut vraiment le tournant de sa vie. À partir de janvier 1889, il sait comment il doit imiter Jésus : dans la pauvreté et l'humilité d'une vie toute simple, la vie de Nazareth. C'est alors qu'il lui est donné de rencontrer, grâce à Marie de Bondy, Jésus dans son Sacré-Cœur. […]
DÉVOTION AU SACRÉ-CŒUR
Lorsque sa cousine lui expliqua comment Jésus était l'Époux de son âme, lui apprenant à passer par-dessus ses peines pour aimer quand même de tout son cœur son mari, elle lui dévoila combien son propre cœur brûlait d'amour pour Jésus et de dévotion pour son Divin Cœur. Ainsi par l'âme de sa cousine Charles pénétra dans le mystère de l'amour du Cœur de Jésus ; il y trouvera, à travers bien des épreuves, le bonheur de toute sa vie. Il ne cesse de dire sa reconnaissance à sa cousine :
« Oui, espérons dans la miséricorde infinie de Celui dont vous m'avez fait connaître le Sacré-Cœur. » (7 avril 1890)
« D'autres ont pu concourir, Monsieur l'abbé Huvelin surtout, à me faire du bien en diverses choses, mais la dévotion au Sacré-Cœur, c'est bien à vous seule, absolument seule, que je la dois par la grâce de Dieu. »
Le 6 juin 1889, il se rend à la basilique de Montmartre pour s'y consacrer au Sacré-Cœur de Jésus. En 1900, alors qu'il sera sous le coup d'un gros échec, il adoptera la devise "Jésus Caritas" et choisira le Cœur et la Croix comme emblème, désirant le porter sur la poitrine. […]
L'amour très sublime qu'il avait pour Marie de Bondy, il le “ transverse ” dans le Cœur de Jésus. Et comme pour lui, aimer c'est imiter, et imiter c'est servir, il veut se faire tout à Jésus, être auprès de Lui, au plus près, et ne plus le quitter.
L'abbé Huvelin lui a appris en quoi consistait un tel amour : c'est « descendre », jusque dans la peine et l'humiliation, pour être toujours avec Jésus.
« Mon Dieu, je ne sais s'il est possible à certaines âmes de vous voir pauvre et de rester volontiers riches, en tout cas, moi, je ne puis concevoir l'amour sans un besoin, un impérieux besoin de conformité, de ressemblance. » […]
LA RECHERCHE DU MONASTÈRE IDÉAL
Cette année 1889 sera la dernière qu'il passera dans le monde. Il l'emploiera à prier, tandis que son directeur prend les choses en main pour déterminer l'ordre religieux dans lequel il entrera.
Le 19 août 1888, il visite la Trappe de Fontgombault. Dans le jardin il aperçoit un moine cistercien, en habit sale et rapiécé, qui récolte des légumes. Quand Charles passe non loin de lui, le religieux n'éprouve pas le besoin de relever la tête pour voir qui sont ces visiteurs qui passent. En le voyant, Charles se dit : c'est cela que je cherche.
En avril 1889, l'abbé l'envoie passer les fêtes de Pâques à Solesmes.
Monsieur Huvelin écrit à dom Delatte, Abbé du monastère :
« Mon très révérend Père,
« Le vicomte de Foucauld qui vous remettra ceci est un ancien officier, intrépide voyageur dans le Maroc, fervent pèlerin en Terre sainte, parfait gentilhomme, très bon chrétien, qui fait de la religion un amour. […] »
Mais Charles ne trouve pas là sa voie, et les Pères bénédictins le dirigent vers la Trappe.
Entre le 20 et le 30 octobre, Charles de Foucauld se rend à Notre-Dame des Neiges. Ce monastère attire Charles tout particulièrement parce qu'il est extrêmement pauvre et qu'il vient de fonder, en Syrie, à Cheiklé, le monastère Notre-Dame du Sacré-Cœur, près d'Akbès. Aussitôt, il pense rejoindre cette fondation implantée en plein pays païen, dans l'extrême pauvreté et les plus grands périls, tout ce qu'il cherche depuis la grâce reçue en Terre sainte, afin d'y trouver une conformité plus grande avec Jésus.
LE GRAND SACRIFICE
Durant l'été 1889, il a passé un mois à La Barre, chez les Bondy. Il les accompagne à l'église et communie. Journées de grâces qu'il évoquera plus tard dans sa correspondance. C'est le Paradis pour lui, pour sa cousine et ses enfants, pour sa tante et les amis qui passent. Ils sont heureux. Un après-midi, ils prennent une barque pour faire une échappée sur les étangs. Charles éprouve un grand bonheur, car ils s'entendent parfaitement. Et puis, il trouve Marie très belle et ses enfants très beaux aussi ! Il expliquera plus tard que cette beauté l'a saisi, car elle lui a parlé de la Beauté de Dieu :
« Mon Dieu, que Vous êtes bon de m'avoir montré votre beauté dans les créatures ! Que je serais coupable si je m'y arrêtais un instant, et si au travers de ce voile je ne voyais votre beauté suprême laissant tomber par amour pour moi, pour d'autres âmes un rayon de sa beauté sur la terre [...]. »
Et quand cette douce journée en famille s'est ainsi écoulée, Charles de Foucauld est si heureux qu'il fait à Dieu le vœu de ce qui est pour lui le plus grand sacrifice possible : la quitter avec la promesse de ne plus la revoir sur la terre... Et il le fera.
Le 15 janvier 1890, Charles quitte donc celle qu'il aime le plus au monde. Ils ont réglé d'avance cet arrachement, comme une liturgie.
Le matin, ils se sont rendus à Saint-Augustin, ont communié à l'autel de la Sainte Vierge, là où il avait reçu Jésus pour la première fois, le jour de sa conversion. Ils reviennent chez elle. L'après-midi il la quitte pour aller voir l'abbé Huvelin qui est malade, recevoir sa bénédiction, la dernière : il a pris la résolution de ne plus revenir, jamais.
Chaque année, jusqu'à la fin de sa vie, il sera fidèle à célébrer ce jour, éprouvant la même souffrance. Que de fois il y revient ! Cette peine de la terre lui fait désirer la réunion du Ciel. Et c'est cela qui est admirable chez lui : le renoncement ne s'accompagne jamais d'un dessèchement du cœur ; il procure au contraire un accroissement de l'amour. Mais d'un amour qui est tout spiritualisé, et qui va devenir source intarissable de grâces pour tous ceux qui l'entourent et qui l'aiment. Il prend le train de nuit pour Notre-Dame des Neiges : il a tout quitté de ce qu'il aimait. Il a quitté père et mère : sa famille et l'armée. Quelques mois après il se justifie auprès de son ami Duveyrier :
« ... “ Pourquoi suis-je entré à la Trappe ? voilà ce que votre chère amitié me demande. Par amour, par pur amour. Notre-Seigneur Jésus-Christ a vécu pauvre, travaillant, jeûnant, obscur et dédaigné, comme le dernier ouvrier, il a passé des jours et des nuits solitaires au désert ; j'aime Notre-Seigneur Jésus-Christ, bien que d'un cœur qui voudrait aimer plus et mieux, mais enfin je L'aime, et je ne puis supporter de mener une vie autre que la Sienne, une vie douce et honorée quand la Sienne a été la plus dure et la plus dédaignée qui fût jamais... Je ne veux pas traverser la vie en première classe pendant que Celui que j'aime l'a traversée dans la dernière... le plus grand sacrifice pour moi, si grand que tous les autres n'existent pas autour de lui et deviennent un néant, c'est la séparation pour jamais d'une famille adorée et d'amis très peu nombreux mais auxquels mon cœur est attaché de toutes ses forces : ces amis si chers sont au nombre de quatre ou cinq, vous êtes un des premiers d'entre eux : c'est vous dire combien il me coûte de penser que je ne vous verrai plus... ” »
Extrait de la CRC n° 329 de janvier 1997, p. 24-28