CHARLES DE FOUCAULD
I. L'orphelin incrédule
UNE ENFANCE MALHEUREUSE
Le vicomte François-Édouard de Foucauld de Pontbriand épouse, le 15 mai 1855, Marie-Élisabeth de Morlet. Ils sont tous deux profondément catholiques, et bien décidés à élever leurs enfants selon l'idéal que tant de leurs ancêtres ont illustré par leurs vertus. […]
La famille est en effet de fort ancienne noblesse périgourdine. En 970, un Hugues de Foucauld, seigneur de Cerniaud et d'Excideuil abandonnait ses châteaux pour prier dans les monastères. Un Bertrand de Foucauld prit la Croix avec Saint Louis et fut tué à la Mansourah.
Au XVIIe siècle, la branche cadette, dite de Cubjac, du rameau Foucauld de Pontbriand, se sépara de la branche aînée Foucauld de Lardimalie. Survient la Révolution... Charles compte, parmi les martyrs des Carmes massacrés le 2 septembre 1792, deux grands-oncles : le chanoine Armand de Foucauld de Pontbriand, vicaire général d'Arles, et son cousin, Jean-Marie d'Allemans du Lau, archevêque prince de cette même ville. Ils sont canonisés aujourd'hui.
Le 15 septembre 1858, un petit Charles-Eugène naît à Strasbourg. Il sera suivi de Marie, née le 13 août 1861. Le bonheur qui eût dû être complet au foyer des Foucauld se met dès lors à le déserter. Le père sombre dans une dépression profonde qui le rend inapte au travail, et il finira dans un délire sans violence, incapable de reconnaître les siens.
Charles grandit donc loin de son père. La vicomtesse s'installe avec ses deux enfants chez son père, le colonel de Morlet qui, en 1842, a épousé en secondes noces Marie-Anne Amélie de Latouche surnommée par Charles “ Bonne Mémé ”.
Matin et soir, sa mère prend les mains de Charles, les joint et lui montre comment prier. […]
Une maman « tellement triste », tel est le souvenir dominant que le pauvre petit orphelin gardera de sa mère.
Alors qu'une troisième naissance s'annonce, la vicomtesse meurt d'une fausse couche le 13 mars 1864, en murmurant : « Que la volonté de Dieu se fasse et non la nôtre. » Elle n'avait que trente-six ans. Son mari s'éteint à son tour, en août de la même année, à quarante-quatre ans. [...]
Comme famille, il ne reste aux orphelins que la tante Inès Moitessier, sœur de leur père, avec ses deux filles, et le colonel de Morlet et sa femme qui les recueillent. Ce grand-père qu'ils aimeront beaucoup est un polytechnicien, colonel du génie et passionné d'archéologie. Il habite Strasbourg. Il élèvera les enfants d'une manière très douce.
Le rayon de lumière, dans cette enfance malheureuse, ce sont les vacances à Louye, chez les Moitessier qui entourent les deux orphelins de soins maternels.
LES MOITESSIER
La tante Inès est très riche. Elle a épousé Sigismond Moitessier, un habile banquier dont la famille s'est rallié aux Orléans, sa fortune est récente.
Supérieurement intelligente, incomparable maîtresse de maison et femme du monde accomplie, Inès Moitessier forme avec son époux un couple très uni. Aux idées modernes qu'elle partage avec lui, elle allie une profonde piété. Tous deux emploient leur puissance et leur fortune à honorer Dieu et à aider les pauvres. Charles sera très heureux chez eux.
Leur fille aînée, Marie, jouit d'une foi vive et montre une ferveur étonnante pour son âge. Elle a quatorze ans et elle accueille avec une grande affection ses jeunes cousins orphelins. Elle les entraîne à la messe chaque matin et les conduit au pied du Saint-Sacrement et devant la statue du Sacré-Cœur.
LE LYCÉEN
Le 19 juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Le 26 février 1871, la France cède à l'Allemagne l'Alsace et le nord de la Lorraine. Les Morlet s'installent à Nancy. L'abbé Delsor, chargé de faire rattraper à Charles une année scolaire compromise, le juge « intelligent, prenant intérêt à ses études, d'un caractère très doux, plutôt fille que garçon ». Ce n'est pas un bagarreur !
En automne 1871, il entre au lycée, en classe de troisième : il a treize ans. Le 28 avril 1872, il fait sa première communion et il est confirmé par Mgr Foulon, en la cathédrale de Nancy. Charles de Foucauld dira lui-même que sa première communion fut « très pieuse », et faite après « une longue et bonne préparation », communion « entourée des grâces et des encouragements de toute une famille chrétienne, sous les yeux des êtres que je chérissais le plus au monde. »
Charles se plaît au lycée, mais plus tard, le Père de Foucauld dénoncera en termes très vigoureux le manque de philosophie et l'ambiance d'immoralité et d'incrédulité qui y régnaient, ce qui lui fit perdre la foi. Il faut citer ces textes trop méconnus, au moment où la laïcité retrouve toute sa virulence pour pervertir la jeunesse.
« Une bonne, une vraie philosophie, non en vue des seuls examens, mais pour le bien de son âme : si notre cher Olivier, si moi, nous avions fait une vraie philosophie, nous n'aurions pas connu le doute. Notre doute et celui de tant d'autres a eu pour cause l'ignorance ; nous regardions comme insolubles des difficultés résolues depuis des siècles, mais jamais personne ne nous avait appris qu'elles étaient résolues. » (À Marie de Bondy, lettre du 1er octobre 1897)
À son beau-frère Raymond de Blic, le 12 décembre 1899 :
« Ô que je comprends vos peines, en voyant le triste chemin que prend la France ! Jamais, cher ami, ne consentez à envoyer vos enfants à l'université ! J'y ai été, je sais ce que c'est ! Même les professeurs qui ne sont pas mauvais, et je n'en ai eu aucun de mauvais ! tous au contraire étaient très respectueux ! mais même ceux-là font du mal en ce qu'ils sont neutres, et la jeunesse a besoin d'être instruite non par les neutres, mais par les âmes croyantes et saintes, et en outre par des hommes savants dans les choses religieuses, sachant rendre compte de leurs croyances, et inspirant aux jeunes gens une ferme confiance dans la vérité de leur foi. […] Outre les professeurs presque toujours neutres, rarement bons, il y a le milieu des camarades détestables. Même les bons professeurs d'ailleurs, ne peuvent pas suppléer à l'instruction religieuse donnée par les religieux, bien infini ! Même les bons professeurs diront des stupidités en philosophie, et diront des hérésies sans le savoir ou le vouloir ! Ô que vous êtes heureux d'avoir reçu une éducation religieuse chez les jésuites ! Comme vos enfants sont heureux d'avoir ce bonheur ! Pour rien au monde, quoi qu'il arrive, ne cédez sur ce point ! » […]
L'ÉTUDIANT DÉBAUCHÉ
Quand la foi est complètement perdue, il n'y a plus de frein aux passions. La première à laquelle va se livrer le jeune Charles est celle de la lecture. Entre quatorze et quinze ans, il lira toute la bibliothèque de son grand-père, sans aucun discernement. Avec son argent de poche, il achètera 1800 livres qui forment un mélange déconcertant. De la même manière, il se laissera aller à la gourmandise. […]
À la fin de l'année scolaire 1874, il passe son Bac avec une dispense d'âge et obtient la mention Assez Bien. Son grand-père l'inscrit alors à l'école Sainte-Geneviève, rue des Postes à Paris, pour qu'il prépare Saint-Cyr.
Quelques années plus tard, il écrira à Marie de Bondy, le 17 avril 1892 :
« À dix-sept ans, je commençais ma deuxième année de la rue des Postes. Jamais je crois n'avoir été dans un si lamentable état d'esprit. J'ai, d'une certaine manière, fait plus de mal en d'autres temps, mais quelque bien avait poussé alors à côté du mal ; à dix-sept ans, j'étais tout égoïsme, tout impiété, tout désir du mal, j'étais comme affolé (...). Quant au degré de paresse, il a été tel qu'on ne m'y a pas gardé... J'ai tant fait souffrir mon pauvre grand-père, refusant de travailler (...). De foi, il n'en restait pas trace dans mon âme. »
Puisqu'il refuse de travailler, les jésuites le renvoient, quelques mois avant le concours. Son grand-père lui paie un précepteur, et trois mois après, il est admis à l'examen d'entrée de Saint-Cyr, classé 82e sur 512. Il s'engage le 25 octobre 1876.
Extrait de la CRC n° 328 de décembre 1996, p. 10-12