Théologie totale

La vraie vie du Ciel, 
la communauté des saints

L’ÉGLISE militante qui est l’humanité, mais convertie, rendue fille du Père, épouse du Fils venu dans la chair, et Corps ou temple du Saint-Esprit, est tournée et orientée vers l’au-delà de la mort, en marche vers la vie éternelle du Ciel (...). Mais qu’est-ce que le Ciel ?

LE CIEL DES PAÏENS...

La ronde des élus de Fra AngelicoAvant le Christ nul n’en a rien su avec assurance (...). Tous les hommes ont imaginé ce que pouvait être le séjour des humains après la mort, les mythes religieux l’ayant figuré à la manière de la vie de la terre : toutes les passions y sont satisfaites selon une certaine justice, selon un caractère de récompense pour les bonnes actions ou de punition pour les vices, ce qui implique un sens moral universel. Cependant, l’au-delà des païens reste très décevant ; les houris aux grands yeux noirs et à la virginité sans cesse renaissante que les musulmans prétendent trouver dans le Coran nous indiquent à quel niveau les peuples qui ne sont pas du Christ ont pu rêver d’une vie éternelle (...).

... OU LE CIEL DES PHILOSOPHES ?

Les philosophes ont réagi à cet « anthropomorphisme exagéré », irrationnel, en expliquant que le Ciel devait satisfaire la raison ; c’est donc en son nom qu’ils ont distingué dans la nature humaine concrète, dans notre condition charnelle actuelle, ce qui selon eux était promis à l’immortalité, tandis que la mort nous délivrerait heureusement du fardeau des passions charnelles, indignes. C’est ainsi que toutes les philosophies ont cédé peu ou prou à cette mutilation de l’homme, et que le Ciel des philosophes (sans corps, sans mouvement, sans travail ni relations sociales...) est apparu aux yeux de tous peu agréable et affreusement ennuyeux (...). Pourquoi ?

Les philosophes comme les physiciens se sont heurtés à deux obstacles :

1. Leurs définitions de la nature humaine et de sa fin sont rigides : elles excluent toute métamorphose ou changement substantiel, et leur étude s’arrête à la mort comme à un mur.

2. Si leur spiritualisme et leur sens moral les orientent vers le postulat d’une autre vie, cette anticipation imaginaire les laisse sans appui rationnel. Tout est inconcevable, et le « comment ? » les arrête à chaque pas : ils ne savent pas !

I. LE CHRIST JÉSUS SEUL A SU, A DIT, A REVELÉ L’AU-DELÀ

Avec lui, la mort cesse d’être un mur et la vie éternelle un total secret (...). Disons de manière très historique que Jésus de Nazareth (que l’on croyait fils d’un charpentier) savait, lui, ce qu’il y avait au-delà de la mort. Il disait qu’il venait du Ciel et qu’il allait y remonter. Il a révélé, expliqué, parlé du Ciel avec une assurance d’homme qui en a l’expérience. C’est stupéfiant, car on ne trouve l’équivalent dans aucune autre religion (...). Avec Lui, il n’y a plus de frontière : on passe d’un lieu à un autre. Il n’y a plus de seuil épistémologique entre d’une part le monde de l’expérience et de la science, et de l’autre le monde du paranormal, du parapsychique. Pourquoi ? Parce que la Parole du Christ-Jésus s’est accompagnée de phénomènes où la vie future a été manifestée ! La vie du Christ nous offre ainsi une vaste plage de phénomènes jamais vus, à étudier scientifiquement.

1. La Résurrection. En ressuscitant, Jésus nous montre par le fait même que tous nous ressusciteront (1 Co 15). Formidable révélation : La vie éternelle sera dans la chair. (...)

Nous sommes ici-bas comme le ver à soie qui entre dans son cocon, se dissout, se perd ; mais voici qu’après un certain temps, il en sort métamorphosé, devenu papillon. Extraordinaire mutation ! Pour ma part, je pense que Dieu a créé les vers à soie qui se changent en papillon, précisément pour que nous ayons dans la nature une allégorie signifiant que nous avons en nous, en puissance, une toute autre vie que celle que nous connaissons par la philosophie.

2. L’Ascension de Jésus dans le Ciel. Jésus dans son corps glorieux n’en demeure pas moins un être matériel, occupant par conséquent un certain lieu. Et donc contrairement à ce que pensent les philosophes, le Ciel est un lieu à trois dimensions. Nous ne sommes pas dans l’élucubration, ni dans la théologie, mais tout simplement dans la constatation (j’ose dire scientifique) du “phénomène Jésus”. Mort, il est ressuscité le troisième jour, puis Il est apparu, disparu, pendant quarante jours (Ac 1, 3) pour finalement remonter au Ciel (...).

Je ne sais pas le  comment , mais je sais qu’il est parti pour un endroit où d’ailleurs (là, ce n’est plus de la science, mais c’est la théologie qui nous l’enseigne) la Sainte Vierge, son Épouse mystique, son amie la meilleure qui est sa Mère Immaculée, a été le rejoindre rapidement au jour de son Assomption (...).

3. La vie ressuscitée du Christ pendant quarante jours. Elle annonce et montre les perfections des corps glorieux, mais surtout la poursuite de la vie commune dans la charité fraternelle (...). Jésus a vécu avec ses apôtres, il a continué ses relations avec eux, comme avant. Même quand il est invisible, il écoute Thomas et va lui répondre huit jours plus tard (Jn 20, 24-29). Pour persuader ses apôtres de la réalité matérielle de son corps, le Christ multiplie les preuves : il se laisse toucher, mange avec eux (Lc 24, 36-43). Ce n’est pas un fantôme, mais un être vivant, il a des intestins comme tout le monde. Cela scandalise M. Tresmontant... cela m’est égal, mais c’est un fait : Jésus ressuscité a mangé, et il a voulu que cela se sache (Ac 1, 8 ; 3, 15) (...).

Alors, à ceux qui se demandent comment pourra-t-il y avoir dans l’au-delà une vie de relations corporelles, un lieu de Paradis, une société et des œuvres ou récréations communes, il faut répondre que le Christ nous a exprimé en paraboles que toutes ces merveilles si apparemment désirables existeront. Il nous en a prouvé la réalité par son Ascension et l’Assomption de sa Sainte Mère. Il nous en assez dit, assez montré, pour que nous nous figurions le Ciel dans cette désirable gloire et perfection de nos êtres terrestres ressuscités et bienheureux ; et toutefois il ne s’est jamais abaissé à nous en donner aucune description matérielle ni aucune explication mécaniste ! Ce sera un  grand repas de Noces , ce sera une  Cité Sainte en fête  (...) !

Il faut vraiment avoir sombré dans l’athéisme maçonnique et le matérialisme obtus de nos générations modernes, pour croire qu’il n’y a plus rien après la mort. Non ! Nous allons vers une vie meilleure, « de nouveaux cieux, une nouvelle terre » (2 P 3, 13) où nous n’aurons plus faim ni soif, et où Dieu essuiera toutes les larmes de nos yeux, comme l’annonce et nous en assure le Livre de l’Apocalypse (cf. Ap 21, 4-5) (...).

COMMENT SERONT LES ÉLUS DANS LE CIEL ?

Comme ils sont et vivent aujourd’hui sur terre ! C’en sera fini des passions, mais s’épanouiront alors en plénitude les relations de paternité, de filiation, de conjugalité, d’amitié, tous ces contacts d’être à être, d’existence, se communiquant sans cesse des témoignages d’amour et des expressions de soi... La condition humaine étant relationnelle, temporelle, corporelle pour être spirituelle, la béatitude sera donc tout à la fois amour du prochain et amour de Dieu, unions de charité fraternelle et union à Dieu dans une suite d’actions indéfinies, sans lassitude. Ce sera une vraie vie simultanée à celle de la terre, et qui la porte à sa perfection (...).

ARGUMENT THÉOLOGIQUE

Comment pouvons-nous affirmer cela avec tant de certitude ? C’est saint Pie V condamnant Baïus (1513-1589), et Pie XII renouvelant cette condamnation à l’encontre des théories du père de Lubac, qui nous fournissent le ressort de la preuve théologique que nous cherchons (...). Il ne faut pas dire que le péché originel a fait de nous des êtres monstrueux, et que Dieu n’aurait jamais pu, à l’origine, créer l’homme tel qu’il naît maintenant. La vérité dogmatique, opposée à cette erreur, affirme que Dieu aurait pu nous créer tels que nous sommes, c’est-à-dire dans cet état de nature déchue en conséquence du péché originel (et par là désagréable à Dieu), mais en lui-même bon et suffisant pour connaître une certaine perfection et un certain bonheur. Prétendre le contraire est une hérésie, car notre nature n’est pas intrinsèquement viciée, vicieuse, au point que la raison puisse en conclure d’elle-même à l’existence du péché originel et à ses suites (...).

Nous tirons de cette vérité une conclusion d’un humanisme saisissant, à savoir la similitude et la continuité de la vie future (de l’au-delà) avec la vie présente, en y ajoutant ce triple progrès :

1. Le mal disparaît, le péché surtout ;

2. Est ajouté au bonheur naturel des limbes : le bonheur surnaturel du Ciel ;

3. Ce dernier est l’épanouissement en plénitude de notre être actuel (...).

La perfection de vie dans la condition humaine présente n’étant pas incompatible en quoi que ce soit avec la sainteté divine, elle peut donc subsister ainsi dans la béatitude éternelle. La Vie éternelle peut déjà être vécue dès ici-bas dans la chair, sur la terre, dans le monde (Jn 6, 54), comme aussi être vécue dans le Ciel, au-delà, mais par un être humain demeuré tel qu’il est de nature... Ce bonheur naturel qui est celui des “ Limbes ” (et qui est à toute personne humaine, même souillée par la faute originelle, qui n’a point péché personnellement) est donc si bien, si juste, si heureux en soi qu’il n’y a aucune nécessité à le dénier aux élus du Paradis, qui, ayant plus, ne sont pas censés être privés du moins (...).

Ce bonheur naturel, que les païens plaçaient dans des choses bien basses et souvent immorales, sera plus noble qu’ils ne pensaient ; mais il sera tel que l’être humain, corporel et spirituel, cordial et intellectuel, sera pleinement rassasié. Cependant pour les chrétiens, ce bonheur naturel se vivra précisément au Ciel, dans la demeure de Dieu où sont le Christ et la Vierge Marie ; il sera évidemment transfiguré par la grâce, par l’ordre surnaturel. Ce sera une manière d’être père et mère, une manière d’être époux et épouse, une manière d’être enfant, qui sera évidemment d’un type tout à fait supérieur, donnant une joie, une béatitude tout à fait supérieure (...).

Pour savoir ce que sera la vie éternelle, il ne faut donc pas avec les philosophes rejeter, de proche en proche, tous les biens humains terrestres, corporels et spirituels ! Mais il faut les additionner les uns aux autres, en n’en retenant évidemment que la forme parfaite, tout “ défaut ” en étant exclu (...).

L’Église nous enseigne ainsi qu’au Ciel, après avoir attendu la résurrection de la chair (c’est un problème secondaire que je passe) nous nous retrouverons tels que nous sommes. Nous nous reconnaîtrons et nous continuerons les relations que nous avons ébauchées sur la terre, parce que la terre est faite pour préparer cette éternité. Au minimum dans les limbes, et au maximum dans le Ciel. Le mal et le péché auront disparu, le bonheur naturel continuera dans une plénitude, une perfection prodigieuse. C’est cette métamorphose que l’admirable Préface des morts de notre liturgie romaine résume ainsi : « La vie change, mais n’est pas ôtée. Et la demeure de notre existence [voyage] terrestre étant dissoute, elle est remplacée par une éternelle demeure dans les Cieux. » (...).

LE CIEL EST DÉJÀ COMMENCÉ SUR LA TERRE

La grâce de la justification nous fait membres les uns des autres, de cette communauté nouvelle qu’est l’Église et dont l’Esprit-Saint est l’âme. Elle nous renvoie à nos relations fraternelles (mais sacramentelles), et nous configure selon notre théologie totale aux Personnes divines dans leurs missions sur la terre. C’est ainsi que l’enfant voit dans son père, vraiment et dans une vision de foi, l’image du Père céleste ; que l’épouse voit dans son mari, vraiment, l’Image vivante du Fils de Dieu, Jésus-Christ ; que l’époux voit dans sa femme le sanctuaire de l’Esprit-Saint, la manifestation du Souffle divin. Dieu se laisse ainsi voir, entrevoir, entendre, sentir, goûter et toucher dans nos frères : tel est l’immense et infini bonheur du Ciel...

LA VIE ÉTERNELLE DES CHRÉTIENS DANS LE CIEL

La richesse périssable disparaîtra, tous les besoins cesseront, mais les Relations subsisteront car elles sont déjà plus divines [de grâce] qu’humaines, missions plutôt que passions. C’est ainsi que le tissu de la société humaine chrétienne passe de la terre au Ciel sans se briser : il change seulement de condition de vie, en étant revêtu de vertus et de splendeur divine...

La mort n’est donc qu’un passage où meurent l’égoïsme, l’orgueil et tous les vices, mais où demeure notre être relationnel et tout l’univers de la charité, de la communion et de la communication mutuelles. Et cette vie de relations qui est un plus-être heureux pour chacun, pour tous, tend à une plénitude que ne limite ni ne brise aucune barrière corporelle ni aucune distance spirituelle. Nous nous retrouverons (à moins de damnation !) et nous formerons à nous tous un “ plérôme ” (Col 2, 9-10), un chœur, une fête où chacun aura un rassasiement total de l’esprit et du cœur.

BIENHEUREUSE COMMUNION DES PERSONNES EN DIEU

Ce sera d’abord et immédiatement dans et par cette communion humaine des personnes, dans et par la grâce divine, en présence du Christ Jésus et de sa Très Sainte Mère, que la joie sera à son comble... parce que nous verrons sur nos visages les uns des autres, connus ici-bas et demeurés familiers, la présence active et vivifiante du Principe de la Sagesse, le Verbe fait chair, et du Principe de la tendresse, l’Esprit-Saint répandu en toute chair. Jésus Époux, Marie personnification de l’Église, seule Épouse...

BONHEUR DU CIEL

Mais ce sera aussi, à la Source et à l’Origine de cette béatitude, le retour au Père comme d’un seul Fils par la force d’amour d’un seul Esprit : nous verrons Dieu le Père comme notre Père, et nous l’aimerons comme notre Père dans notre Epoux Jésus-Christ, et nous ressentirons en tout notre être l’union au Père, en son sein béni, qui est la source inépuisable de communication, de science, et d’élans d’amour nouveaux (...).

Alors, c’en est fini de dire que « la béatitude ce n’est pas l’amour, mais la vision ». Ce n’est ni l’amour ni la vision ; je dis que c’est d’abord l’union, la compénétration de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, qui est tout en tous ; nous serons en Dieu et Dieu sera en nous. Dieu fera ses actions en nous, il nous mêlera à ses actions qui sont ses processions éternelles. Cela dépasse un peu l’esprit humain et rebute les philosophes, faute d’existentialisme... et faute de mysticisme ! (...)

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du 18 juin 1987

En audio ou en vidéo seulement :
  • Th T 10 : La vraie vie. La communanté des saints : fille, épouse et corps de Dieu, mutualité 1987, 1 h (aud./vid.)

Références complémentaires :

  • Toute notre religion, 1re partie : Foi catholique (CRC n° 183, novembre 1982)
    • XII. La communion des saints, famille des élus
    • XIV. La résurrection de la chair et la Vie éternelle
  • La circumincessante charité divine. III. La gloire du Père, CRC tome 26, n° 302, mai 1994 (audio/vidéo : S 120 : Circumincessante Charité, 15 h)
Le Ciel dans le message de Fatima, d'après le livre de sœur Lucie :
  • Lumière dans la nuit. VII. Le Ciel en est le prix, Il est Ressuscité !, Tome 4, n° 19, Fevrier 2004, p. 11-16
Sur la résurrection des corps, voir :
  • Le mystère de la Résurrection, CRC tome 5, n° 71, août 1973, p. 3-14 (en audio : Th 6 : La Résurrection du Christ, mutualité 1973, 1 h)
Méditations :
  • Pour des méditations écrites sur le Ciel voir :
    • Pages mystiques, tome 1, n° 2 et n° 31
    • Pages mystiques, tome 2, nos 103 à 126, mars 1976 à mars 1978