THÉOLOGIE TOTALE
L'Église, arche de salut universel
INTRODUCTION
DIEU, ayant résolu de nous créer pour nous unir intimement à Lui éternellement dans l’Amour, dans la Vérité et dans la Sainteté, a d’abord créé une figure de cette sublime et céleste réalité : Il a créé Adam comme son fils, et lui a donné Ève pour épouse, insufflant en elle son Esprit, énergie de retour d’amour à son époux et à leur commun Père.
L’ÉGLISE CATHOLIQUE, ŒUVRE DES TROIS PERSONNES DIVINES
Ainsi s’est déroulée toute “ l’économie ” de notre histoire : le Père s’est révélé à toute la famille humaine dans sa paternité universelle, laissant ainsi pressentir aux hommes sa Paternité éternelle, divine. Le Fils leur est venu, homme à la recherche de son épouse : non seulement le Peuple élu (« l’Israël selon la chair », 1 Co 10, 18), mais « l’Israël spirituel » (Ga 6, 16), à savoir le genre humain tout entier personnifié par Ève, par Marie-Madeleine pécheresse, mais identifié prophétiquement en Marie, la Vierge Immaculée qui, de Mère, devait être son Épouse parfaite dans le temps et dans l’éternité.
Quand le Fils de Dieu fait homme a conclu cette Alliance nouvelle et éternelle en son Sang, il a eu le droit de fonder son Église : cette institution de sa sainte humanité, société visible, historique, hiérarchique, a pour mission de faire fructifier les dogmes de la foi, les sept sacrements et sacramentaux, les commandements anciens et nouveaux. Mais ce droit aurait été sans vie, et cette mission de l’Église sans force, s’il n’avait insufflé en cette société de disciples (attachés à lui et déjà croyant en lui) son souffle, son haleine divine et vivifiante, son Esprit-Saint pour être leur intime soutien, entraineur, “ exhortateur ”, défenseur, en un mot : leur inspirateur d’amour.
L’Église ainsi remplie de l’Esprit-Saint est le terme d’une émanation d’amour active du Père et du Fils (spiration active), comme d’un seul Principe, et en cela même, comme produit d’amour, elle est production d’amour et retour d’amour (spiration passive) à sa Source, à l’Époux, et en Lui à son Père, comme d’un seul principe. Ainsi l’Église est-elle le genre humain racheté, sanctifié, participant à l’Amour subsistant ; elle est le Corps dont l’Esprit divin est l’âme, et par là elle est l’Épouse amoureuse, valeureuse et sainte, unie à son Époux, ne faisant qu’une âme et qu’un esprit avec Lui (...). Le dogme de la foi en l’Église catholique est absolument merveilleux, évidemment unique et incomparable, car révélateur d’une Paternité, d’une Conjugalité, d’une langueur-ardeur d’amour immenses comme l’univers embrassant toute l’humanité...
HORS DE L’ÉGLISE POINT DE SALUT ?
Le reste du monde (d’avant, d’au-dehors de l’Église) est-il épousé avant et hors de cette Épouse, ou bien est-il laissé pour compte ? Autrement dit : est-ce que, par une sorte de discrimination, de ségrégation injuste et révoltante, naissent au sein d’un même genre humain des élus (juifs de jadis et chrétiens catholiques de toujours), tandis que des dépourvus (ou des réprouvés) sont tenus en dehors ou rejetés hors du salut éternel ? Cette réprobation n’est-elle pas contraire à ses principes, et cette prédestination contraire à son catholicisme ?! Cette question, demeurée hors de la curiosité des Anciens, est devenue aujourd’hui en nos temps modernes d’Humanisme universel, égalitaire et revendicateur, une terrible objection à la foi. Il faut y répondre (...).
I. LES PRINCIPES
Nous disons que Dieu est Père... seulement, nous l’écrivons en abréviations : P. E-R. E. Dieu le Père est Père ; le Fils est aussi Époux et Roi de l’humanité ; l’Esprit-Saint est l’Entraîneur, “ l’Exhortateur ” de tous. Cela nous dit bien à quel point ce Dieu est immense en lui-même, et donc immense dans ses dons à l’humanité tout entière.
1. « Gloire à Dieu dans les cieux et paix sur la terre aux hommes de sa bienveillance... » (Lc 2, 14).
Contre l’intégrisme qui s’y refuse ou qui l’admet difficilement, contre le modernisme qui confère systématiquement aux hommes une “ bonne volonté ” (alors qu’elle est tout d’abord un attribut de Dieu), il faut affirmer que tous les hommes sont objets de la bienveillante et bienfaisante volonté de Dieu. Aujourd’hui encore il leur offre sa paix, car Il les aime (...). Dieu est Père de tous, il veut que « tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (cf. I Tim 2, 4-8). Jésus-Christ étant mort pour tous les hommes, tous donc sont, en droit, prédestinés au salut (Col 1, 20-22) ; tous en droit sont rachetés, à eux d’accueillir l’Esprit de sainteté du Père et du Fils. Mais comment ?
2. « Allez enseigner l’Évangile à toutes les nations, celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné. » (Mc 16, 16)
Cela est bel et bon, clair et juste. Le Fils de Dieu est venu, les mains remplies de trésors divins, s’offrant en sacrifice pour se mériter son Épouse et se la rendre méritante. Il lui offre son Amour, et elle n’a qu’un « Fiat » à prononcer ; il l’y aide, il la sollicite aux Épousailles (Mt 9, 15), du dehors et du dedans par son Esprit. Si elle accepte, elle renait de l’eau et de l’Esprit (Jn 3, 5)... elle a donc tout pour se sauver, être sauvée !
Si elle refuse, elle irrite le Père (Mt 22, 7), pèche contre l’Esprit-Saint, mérite la condamnation du Christ, juge des vivants et des morts. Hors de l’Église point de salut donc pour ceux qui ont été touchés par la prédication apostolique mais qui l’ont refusée, abandonnée, ou qui ont dévié de la vraie foi (2 P 2, 1-3), unité et charité : les incrédules, les apostats, les pécheurs impénitents (cf. I Cor 6, 9-11).
3. « J’ai conçu pour vous une jalousie divine. Car je vous ai fiancés à un Époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure. » (II Cor 11, 2)
Cette fureur de l’Apôtre, c’est celle du mâle devant sa femme infidèle ; c’est l’Esprit de jalousie totale et universelle de Dieu qui s’exprime, étant donné la magnificence de son plan, l’union intime qu’il veut contracter avec l’humanité. Il est jaloux comme l’époux de l’amour de son épousée, il ne tolère pas l’adultère, l’infidélité, la prostitution (Dt 4, 23-24) ! (...)
Dieu le Père ne supporte pas sans colère tout culte rendu à un autre que Lui, ou quelque culte rendu à Lui mais en dehors du Christ, contre le Christ et autre que celui de sa Révélation, de son culte, de sa discipline. Dieu n’aime pas, Dieu déteste toutes les inventions sataniques ou humaines qui rivalisent avec son Fils, son Église, son Esprit-Saint (...). Toute la Bible retentit de ces cris de jalousie divine (Ex 34, 13-17 ; Os 2 et 11, passim ; Ap 2, 6 et 18-23, etc.) ! Et donc, « hors de l’Église, point de salut », ni par aucun autre Dieu, Messie, Sauveur, ni par le moyen de quelque religion que ce soit, autre que la religion catholique (...).
II. LA SOLUTION
Est-ce qu’il existe une élection, un salut, une sanctification pour les “ infidèles ” qui n’ont jamais effectivement, visiblement, entendu prêcher l’Évangile, ni vu d’apôtres, ni connu l’Église ?
Il nous faut maintenant là résister à l’impérialisme de la raison pure, qui fait des ravages en Occident au fur et à mesure que les siècles s’écoulent (...). Alors que d’une part le rationalisme intégriste plonge tous ces gens (même ceux de bonne volonté, mais qui n’ont jamais connu l’Église) en enfer, et que d’autre part le rationalisme moderniste en fait des “ chrétiens anonymes ” qui n’ont même pas besoin d’être évangélisés, nous allons surmonter ce rationalisme par le mysticisme (c’est-à-dire : l’incandescence de la foi) pour atteindre à la solution théologique vraiment catholique (...).
La réponse globale à cette question se trouve dans l’ouvrage du cardinal Journet : L’Église du Verbe incarné, mélange de bonne doctrine et d’une autre (prise à Jacques Maritain) tout à fait nulle (...). Mais sur cette question difficile du salut des infidèles, il répond d’une manière admirable en disant « qu’ils appartiennent invisiblement à l’Église visible ». À nous qui ne voyons pas tout, il n’est pas donné de voir l’appartenance au Christ (à l’Esprit-Saint donc à l’Église) de ces “ chrétiens inconnus ” de nous, mais cela est visible à Dieu et aux anges, et par conséquent cela est objectif, réel, quoiqu’incomplet, imparfait et en attente (...). Ces membres, invisibles à nos yeux, de l’Église visible, ne sont ni purs ni saints (ou peuvent l’être plus ou moins : des païens peuvent faire des actes de vertu), mais ils sont membres de l’Église catholique par quelque chose de leurs pensées, de leur cœur, de leur volonté (...). C’est ainsi par exemple que, sans avoir encore vu de missionnaires, certains amérindiens mouraient en émettant ce désir de les suivre : « Atah ronton es... Quand viendront-ils ceux qui nous montreront le Chemin du Ciel ? »
Première réponse éclairante : Les pauvres païens peuvent être sauvés dans quelque fausse religion ou irréligion que ce soit, malgré elles... mais non par toute religion ou idéologie que ce soit. Et ce, même si celles-ci peuvent avoir beaucoup de bons éléments de doctrine, de morale, etc., même si elles ont emporté dans la perfidie (juive, musulmane), dans le schisme ou l’hérésie, beaucoup (et à la limite presque tout, comme chez les orthodoxes) des trésors de la Révélation divine, de notre culte, de notre discipline... Pourquoi cela ? Parce que Dieu est saint et qu’il hait les contrefaçons, c’est-à-dire ce qui pastiche, travestit, parodie son Épouse unique et immensément aimée : la Sainte Église catholique.
Deuxième réponse conclusive :
a) On peut donc chercher dans la foi pure, puis tenter de percevoir dans l’histoire, dans la psychologie des peuples (comme les Grecs) et des personnes individuelles qui « gisent dans les Ténèbres et l’ombre de la mort » (Lc 1, 79), des traces de ces liens réels qu’ils peuvent avoir ou qu’ils entretiennent avec le Christ, dans l’Esprit et l’Église catholique romaine, sous les regards bienveillants et la complaisance du Père.
b) Puis demander aux apôtres et aux missionnaires la vérification de nos conclusions, déductions ou inclusions, par l’expérimentation qui est de leur ministère constant : évangélisés, ces « hommes de bonne volonté », nécessairement, adhéreront à l’Évangile auquel déjà ils appartiennent par la foi (...).
c) Conséquence évidente : il faut prêcher et ne jamais tenir pour « hommes de bonne volonté » ceux qui connaissent l’Église (animée de manière éclatante par le Saint-Esprit, cf. Mt 12, 28-32) mais qui ne veulent pas y adhérer.
III. EXPLICATION DÉCISIVE SUR LE CHRIST
ET L’ÉGLISE, SALUT DU GENRE HUMAIN
Comment tant d’êtres, absolument en dehors de l’Église, peuvent-ils être justifiés, déjà pleins de la grâce sanctifiante et inspirés par l’Esprit-Saint ? Pour le comprendre, notre théologie trop stricte, trop formelle, trop vide et mal comprise, doit être élargie selon la puissance du mysticisme catholique (...). Il faut par la foi saisir l’immensité de la présence du Christ et de son Esprit-Saint dans le monde (Sg 1, 7) : Jésus-Christ que le missionnaire prêche est le Verbe de Dieu par qui tout a été fait (cf. Jn 1, 1-18) ! La vie infusée au monde, le ” Rua’h Yahweh ”, c’est le Saint-Esprit Paraclet.
1. JÉSUS-CHRIST, FILS DE DIEU SAUVEUR
À la différence de ces hommes limités que sont Mahomet, Bouddha, Luther etc. (dont la religion est elle-même limitée à leurs inventions et aux effets de leur guerre sainte, de leur prédication ou influence visible), le Christ, et lui seul, est Fils de Dieu fait homme. Avant même son incarnation, Il est le créateur (et donc le principe), le centre et la fin de la synthèse qui donne à toute vérité, tout bien, son ultime formalité, son intime mesure et perfection (...). Il ne faut pas oublier que le Verbe créateur est partout présent depuis l’origine (Jn 1, 1-10). Tous les peuples, déjà, ont été vivifiés et éclairés par Lui. Dieu leur a donné des merveilles infinies, d’ordre naturel, je veux bien, mais par elles ils sont déjà en relation avec Dieu, invisible pour nous (Ml 1, 11), mais visible pour le Christ (...).
C’est pourquoi en chaque religion il faut faire la part des choses : distinguer le tout (erroné), de ses éléments (qui peuvent être vrais). Il faut donc dire que toute fausse religion est dans son ensemble insupportable à Dieu et blessante pour ses élus, du fait de l’élément (ou des éléments) venus du diable et non de l’Esprit-Saint qui la pourrissent ; c’est ainsi que le levain des pharisiens (Mt 16, 12) a corrompu l’Ancienne Alliance, annulant la Parole de Dieu (Mt 15, 6) pour donner naissance à la fin du Ier siècle au judaïsme talmudique (...). On ne voit donc souvent dans ces fausses religions que ce chancre qui dégoûte du reste, cette masse de nuages noirs qui enténèbrent le ciel... sans réaliser qu’une seule vérité, (c’est-à-dire un seul rayon de lumière divine perçant cette masse obscure par une trouée), si elle est l’objet d’une pure contemplation, suffit à livrer une âme totalement à son créateur, à son Sauveur, à son Paraclet (...).
Entre d’une part les « semences du Verbe » (comme disait saint Augustin) qui sont les premières lumières que le Verbe a données aux premiers temps à tous les hommes, fils d’Adam, et notre catéchisme d’autre part, le lien est très certain parce que c’est une extraordinaire synthèse : c’est la Sagesse divine qui prend tout en elle. Être touché par un de ses éléments et y adhérer avec beaucoup d’intelligence et d’amour, c’est déjà admettre tout (...). Car toute vérité si limitée qu’elle soit (mais rigoureusement séparée de tout “ ensemble ” erroné que ce soit) vient de Lui, Jésus-Christ ; elle rayonne de ce centre et y attire. L’adhésion à toute vérité peut être l’Évangélisation invisible suffisant à une foi entière (...).
Ce que nous affirmons du païen qui n’a pas été encore évangélisé, nous le nions évidemment des apostats, perfides ou hérétiques, qui ont connu la vérité du Christ par l’enseignement de l’Église, mais qui s’y sont opposés (...). Nous ne sommes plus dans ce cas en présence d’une sagesse primordiale et élémentaire de Dieu, mais d’une désorientation diabolique, d’un mensonge d’hommes impies, orgueilleux et retors, que Dieu ne peut supporter (...).
2. L’ESPRIT-SAINT, AMOUR TOUCHANT
ET CONQUÉRANT, INFATIGABLE ET OMNIPRÉSENT.
Le propre de l’idolâtrie est de prendre, sous l’instigation des esprits malins et des démons, la partie pour le tout, un bien partiel pour un bien absolu, alors que celui-ci n’est qu’un échantillon. Ce travers, une fois bien identifié, ne doit pas nous empêcher de considérer que l’Esprit-Saint allume dans les âmes le goût, l’amour de Dieu Père et Fils, à l’occasion du moindre bien qui déjà en porte la signature. Si l’âme s’ouvre à cet amour, très pur et très parfait, tout à fait invisible aux hommes, alors elle est justifiée : elle est membre du Corps mystique du Christ qu’est l’Église catholique.
Tous les missionnaires en ont fait l’expérience, et leurs témoignages sur les âmes des païens attirés par la vérité et le bien, les pratiquant de leur mieux, peuvent certes nous surprendre... mais ils n’en sont pas moins véridiques et très émouvants (...).
CONCLUSION
Il n’empêche que tous ces pauvres, ces humbles, ces ignorants, ces masses d’hommes en dehors de l’Église (...), objets de la bienveillante et bienfaisante volonté de Dieu, eux-mêmes y répondant par leur bonne volonté... il faut les évangéliser. Le Christ l’a ordonné, Il n’a jamais tenu un autre langage ! Le devoir de l’Église est donc de prêcher la vérité à tous les infidèles : pour que les hommes de bonne volonté se sauvent parfaitement, que les ignorants se convertissent, que les impies se manifestent (...).
Il n’y a donc pas d’œcuménisme à faire avec les chefs, informés du vice de leur fausse religion, et que l’on doit prêcher et confondre en privé comme en public, comme Saint François de Sales le fit par exemple dans le Chablais (...). Nous ne pouvons donc que vigoureusement réprouver les abominations diaboliques du syncrétisme, l’hypocrisie de l’œcuménisme, le mensonge de l’irénisme, la lâcheté de l’indifférentisme, car il n’y a point de salut en dehors de l’Église catholique.
Abbé Georges de Nantes
Extrait de la conférence du 10 juin 1987