THÉOLOGIE TOTALE
7. L'Église, épouse du Verbe incarné
par l'opération du Saint-Esprit
INTRODUCTION
Sous le règne de Pie XI, mais surtout pendant et après Vatican II, l’Église a été l’objet de discussions et de critiques dont le but visait avant tout à sa transformation radicale. Bien plus qu’une simple mise à jour (« aggiornamento »), c’est une révolution qui s’est réalisée dans la logique de la dialectique suivante :
La thèse : « l’Église du Christ, la Contre-Réforme, la Chrétienté, c’est fini, sans avenir ! »
On a trop vu l’Église sous le rapport de l’institution, de la structure juridique, de l’autorité et du Droit fixés une fois pour toutes par le Christ, contraignant dans ses cadres un peuple “ laïc ”. Ce malheureux peuple passif, soumis, était contraint de subir l’endoctrinement des docteurs, une rigidité cultuelle et un enrégimentement par un clergé tout à fait extérieur à ses préoccupations laïques (« cléricalisme »).
L’antithèse : L’Église de l’Esprit, l’aggiornamento conciliaire et progressiste.
On n’a pas assez considéré l’Église sous le rapport de la vie, de l’Esprit, du corps mystique. On n’a pas compris que le charisme doit l’emporter sur l’autorité, que le Peuple rassemblé par l’Esprit l’emporte sur le Pouvoir et le Droit édicté par la hiérarchie, et que la structure juridique doit céder la place à la motion imprévisible, libre, à la mouvance spirituelle de l’Esprit, qui est Amour et Liberté... C’est Lui qui agit à l’intérieur du Peuple de Dieu et rend les croyants adultes, témoins, inspirés, créateurs, hors des barrières et bien au-delà et en deçà de l’Église visible, historique, hiérarchique (...). L’abbé Davezies, collaborateur des terroristes du FLN, en concluait qu’il fallait « casser la baraque », et le dominicain Cardonnel ajoutait : « afin d’être un peuple en communion » (...).
Ce qui n’était alors qu’opinions soutenues par des théologiens condamnés sous Pie XII (Congar, de Lubac, etc...) Vatican II l’a fait sien sous l’influence des papes Jean XXIII et Paul VI, opérant en 1963 une rupture que le père Congar appela à juste titre « une révolution d’octobre » (sic). L’institution, l’appareil ne sont plus ceux de la Contre-Réforme et de la Chrétienté, mais on n’a cependant pas « cassé la baraque » (l’institution) ; on a seulement changé de conducteurs, au parti des conservateurs succédant celui des progressistes. L’appareil issu du Concile Vatican II, animé par le dynamisme d’un teilhardo-marxisme, est désormais tourné vers la terre (« anthropocentrisme ») et se doit donc de changer la structure totale de l’Église : ouverture au monde, engagement syndical, etc (...).
ERREUR SUR L’ÉGLISE, ERREUR SUR DIEU
L’intérêt de toutes ces “ phénoménologies ” est de mettre en relief les deux aspects de la réalité de l’Église, qui est à la fois visible et invisible (car corps mystique), historique et transhistorique (car Peuple de Dieu).
Le méfait de ces dialectiques est de vouloir à toutes forces opposer ce que Dieu a uni, comme des forces exclusives, et de tourner des contradictions en contradictoires... et ce par révolution théorique, (celle de Hegel, après celle de Luther), puis par révolution pratique (celle de Marx, mais avant lui, de Lamennais). C’est ainsi que les hommes d’Église, dans la ligne même de l’aggiornamento conciliaire, seront conduits à rechercher l’impossible utopie : celle d’une conciliation des contradictoires poussées à l’extrême. Tel en résulta, qui demeure encore, le charismatisme catholique (...).
LE PRINCIPE THÉOLOGIQUE DE L’ERREUR
C’est une erreur sur Dieu qui réside dans la dissociation, en parallèle, des deux œuvres : celle du Christ-Jésus, et celle de l’Esprit-Saint. Les Pères de l’Église avaient exprimé ces deux œuvres de ces deux Paraclets (Jn 14, 16), par l’image du travail du Père, œuvrant par ses deux mains que sont (ou seraient) le Fils et le Saint-Esprit. Mais comme l’a définitivement démontré saint Thomas, si nous adoptons pareil schéma, ces deux œuvres seront distinctes, séparées, rivales, parce qu’elles seront rigoureusement identiques, et non complémentaires et subordonnées (...).
Or si le Christ est le Fils du Père, l’Esprit-Saint procède lui du Père et du Fils, comme d’un seul principe. À ce moment-là, l’Esprit-Saint vient du Fils et donc, l’œuvre de l’Esprit-Saint va être tout en dépendance de l’œuvre du Christ. Par conséquent lorsqu’il est question de l’Église, il est absolument interdit, sous peine d’être condamné (et cela montre aussi que les contrevenants n’ont rien compris au Mystère de la Sainte Trinité), d’opposer l’institution, œuvre du Christ, à l’inspiration, œuvre du Saint-Esprit... comme si le Saint-Esprit travaillait sans référence au Fils, directement sous l’influence et l’autorité du Père ! (...)
LES DEUX ORDRES CONSTRUCTIFS CONSTITUANTS DE L’ÉGLISE SAINTE
Nous allons voir la Sainte Trinité instituer l’Église, la créer et la conserver. Le Père agit sans cesse (Jn 5, 17) par ses deux Paraclets (avocats) : Le Fils et l’Esprit-Saint (...). L’Église est le produit de cette double activité, complémentaire et subordonnée (Jn 14, 26 ; 15, 26), du Fils et de l’Esprit-Saint (...). Cela se manifeste et réalise dans l’Église par les deux ordres bien connus : celui de la Charité et celui des Pouvoirs. Comparons-les.
LES POUVOIRS DES MINISTRES DE L’ÉPOUX
Jésus-Christ s’étant fait homme, il est représenté et prolongé par la hiérarchie ecclésiastique : ce sont des hommes à qui il confère une grâce gratis data, c’est-à-dire une grâce donnée à quelqu’un pour l’utilité de l’Église, sans mérite de sa part. C’est un charisme au sens propre, en l’occurrence : celui du ministère sacerdotal (...). Ces hommes sont comme les autres, ne l’oubliez pas ! Lorsque le Pape et les évêques étaient jeunes, ils n’étaient que des enfants du catéchisme, ils étaient l’élément “ femme ” (si j’ose dire) de l’Église ; ce qui signifie qu’ils étaient passifs et recevaient tout du Christ et des hommes représentants du Christ. (...)
Puis un jour, ils ont été choisis à leur tour : ils ont reçu une ordination qui leur donne certains pouvoirs, et c’est lorsqu’ils exercent ces pouvoirs de par l’autorité de Dieu qu’on les tient pour substituts et instruments du Christ. C’est ainsi que lorsque nous allons nous agenouiller au confessionnal pour dire nos péchés, c’est la voix du prêtre qui prononce l’absolution sacramentelle, mais en fait c’est Jésus-Christ lui-même qui parle. C’est l’Époux qui s’adresse à son épouse.
Cette sainte hiérarchie ne peut donc pas être considérée comme un obstacle. Elle peut l’être accidentellement, parce que les hommes restent des hommes, souvent en-dessous leur fonction... mais le Christ leur a promis ses pouvoirs et son assistance pour faire son œuvre par eux, même malgré eux ! Qu’ils soient en état de grâce ou dans le péché mortel, peu importe, car dans l’exercice de leur fonction, lorsqu’ ils agissent (baptisent, confessent ou disent la messe) avec l’intention de faire ce que veut l’Église, c’est le Christ qui agit par eux, qui baptise, confesse, etc... Saint Augustin illustrait ce point de foi capital par la comparaison suivante : que le robinet soit de plomb, de cuivre ou d’or, peu importe ! Cela n’empêche pas la même eau vivifiante (la grâce sacramentelle) de couler au travers...
Voilà pourquoi ces hommes sont le Christ, et nous continuons, nous l’Église en tant qu’épouse, à être l’objet de la sollicitude de notre Époux (...). Cette vue de foi va de pair avec une sagesse réaliste. C’est ainsi que la théologie et le droit de l’Église (droit canon) déterminent avec soin en quoi le Pape, les évêques et les prêtres sont instruments de la grâce de Dieu et d’autres Christ, mais en quoi aussi ils peuvent abuser, sortir de cette frontière, et n’être plus que des hommes (Mat 16, 23), des mercenaires, des pervers dont il faut se méfier (2 P 2, 1), et à la limite qu’il faut dénoncer (1 Tim 1, 19-20) et auxquels il faut s’opposer (Ga 2, 11-14) (...).
LA SAINTETÉ DE L’ÉPOUSE OU DU DISCIPLE : LA CHARITÉ
Pour que les multitudes acceptent l’enseignement et la loi qui leur sont donnés de haut et avec autorité par les apôtres et leurs successeurs, il faut qu’elles aient en elles-mêmes un mouvement, une inspiration qui les fasse tendre à l’unité. Voilà pourquoi les Pères de l’Église et les théologiens ont toujours dit que l’Esprit-Saint était l’âme de l’Église (...). Ils ajoutent, dans une distinction qui est tout à fait géniale : l’Esprit-Saint est l’âme incréée de l’Église, c’est-à-dire qu’il y a, entre l’Esprit-Saint et cette société qu’est l’Église, une union très intime et une activité perpétuelle du Saint-Esprit sur elle, en elle, comme de l’âme dans le corps (...).
L’Église est tout simplement, selon la figure du Cantique des Cantiques décrivant l’union de l’Époux et de l’Épouse, le genre humain qui est pris et embrassé par le Christ et l’Esprit-Saint. L’Époux tient son épouse embrassée, parce que sa main droite est sous sa tête et que sa main gauche l’enlace, tandis que l’épouse s’embrase d’amour à ce contact (...). On pourrait dire, à ce moment-là, qu’il y a une double action : celle des mains de Jésus-Christ (et de ceux qui le représentent, étant comme d’autres Christ) qui conduisent son peuple du dehors, et celle plus intime, intérieure, qui est l’Esprit-Saint embrasant l’épouse d’amour pour le Christ son sauveur. C’est une union de type conjugal, car l’union conjugale reste absolument le symbole voulu par Dieu de l’union entre le Christ et l’Église (Ep 5, 23-33) grâce à l’Esprit Saint qu’Il lui donne (...).
Ce qui est donc donné au Peuple de Dieu, c’est une grâce de “ femme ”, d’épousée à l’intime, de transformée par l’amour, spiration passive du Saint-Esprit qui est tout retour, tout accueil des dons offerts par les ministres du Christ :
1. le sensus fidei qui discerne et embrasse la vérité enseignée par le Magistère (He 5, 14) ;
2. la vie sacramentelle communiquée par les prêtres, et reçue avec ferveur par l’Église-épouse, qui y correspond en manifestant des vertus passives : accueil, humilité, docilité... (Col 3, 12-15) ;
3. Ainsi fortifiée, elle peut recevoir avec profit toutes les impulsions de la hiérarchie, seconder son gouvernement pastoral en manifestant des vertus actives pour demeurer dans la charité et faire l’œuvre de Dieu (Ph 1, 3-7), pour que son Règne arrive et que sa Volonté soit faite sur la terre comme au Ciel (...).
L’ordre masculin dans l’Église disparaîtra, c’est-à-dire que toutes ces fonctions, tous ces ministères disparaîtront quand nous irons au Ciel. Mais l’ordre féminin restera, c’est-à-dire que l’amour, lui, ne passera pas. Il n’y aura plus de Pape, plus d’évêques au Ciel (sinon par des insignes glorieux, dans la mesure où ils l’auront mérité). Mais tous n’y seront pas, car on peut faire mal le ministère qui nous est confié. Tandis que l’ordre de la charité (c’est-à-dire l’animation des fidèles par l’Esprit-Saint), c’est déjà le commencement du Ciel, parce que c’est le pur amour de l’Épouse pour son Époux. Amour qui lui, dit saint Paul, « ne passera pas » (1 Cor 13, 8).
Ainsi la dualité subsiste jusqu’à la fin entre l’être humain et l’Esprit-Saint, mais cette dualité est comme imperceptible (...). Car l’Esprit-Saint, dans sa spiration passive (c’est-à-dire dans le mouvement qui est le sien par rapport aux deux autres Personnes, et qui est tout de retour d’amour), est absolument semblable au mouvement que la nature met (et la grâce aussi) dans le cœur de la femme vers son époux pour lui être fidèle et lui donner de nouveaux enfants.
L’EXEMPLE DES SAINTS
Le Pape, les évêques et les prêtres y compris, tous en tant qu’ils sont nés dans l’Église à la vie du Christ, ont eu besoin de recevoir un embrasement de leur cœur, une lumière dans leur intelligence ; cela ne leur a pas été donné du dehors, mais de l’intérieur : par l’Esprit-Saint (...).
Le pape saint Pie X est la parfaite illustration de cette double action. D’une part il avait la majesté de l’Envoyé, du représentant du Christ ; c’était un “ autre Christ ”, qui faisait des miracles de son vivant, simplement, parce qu’il se savait Vicaire du Christ. Et en même temps (mais en contraste avec ce comble d’autorité où il se trouve), lorsque vous regardez le fond de ses yeux et la modestie de son maintien, vous voyez bien qu’il se considère comme l’épouse du Christ ! Son âme est toute épouse, c’est-à-dire qu’il baigne dans ce sentiment que lui donne l’Esprit-Saint de n’être qu’entraîné vers le Christ, de n’avoir rien qui lui soit propre, et d’être tout retour au Christ.
Nous ne sommes donc plus là dans l’ordre exclusif du charisme ou des dons gratis data que Dieu fait à tel homme ou à telle femme pour le ministère, pour le bien de l’Église, sans que cela ne les change intérieurement, mais nous sommes dans celui de la grâce sanctifiante (...). Saint Paul nous en assure : « Oui, tous ces charismes, c’est bien, mais si vous n’avez pas la charité, c’est zéro ! » (cf. 1 Cor, 13, 1-13). Ce qui importe, c’est cette grâce sanctifiante (grâce gratum faciens), c’est-à-dire cette onction de l’Esprit-Saint, cette prise de possession intime de nos âmes par l’Esprit-Saint. Elle se reconnaît à l’amour du Christ que nous pouvons avoir et par les œuvres que nous entreprenons pour sa gloire (...).
Le programme du pontificat de saint Pie X, qui fut celui de sa vie entière, l’illustre très bien : « Tout instaurer dans le Christ » (Col 1, 28). Ce saint avait bien compris que l’Église est la suite du Christ, son Corps, l’œuvre, la société qu’Il a instituée, son Épouse enseignée, nourrie, ensemencée par Lui, et cela non sans l’opération de son Esprit-Saint, Paraclet de ce Corps, son âme organisatrice, vivifiante ; l’Amour qui fait les disciples ou les épouses du Christ, pour « la louange de la gloire du Père » (Ep 1, 1-14)
LA PREMIÈRE ÉGLISE : NAZARETH
Je suis persuadé qu’à partir de douze ans, le Christ a révélé à ses parents qu’il se connaissait lui-même comme Fils de Dieu. Les choses étant tirées au clair, Il a commencé à les enseigner. Et donc la première Église, c’est ce Nazareth où Jésus enseigne Joseph qui, par fonction, est le premier Pape. Il est le papa dans la famille, comme Pierre sera le premier Pape de l’Église.
Il n’y a rien de plus semblable à l’Église que ce premier couple de Nazareth. Saint Joseph est en position d’autorité de la part de Dieu, mais c’est une fonction qu’il exerce, et cette fonction reste secondaire et va bientôt disparaître. Il mourra et resteront Jésus et sa Mère.
La Vierge Marie est le trône de l’Esprit-Saint et le Christ l’enseigne. L’Esprit-Saint, que le Christ déversait en Elle, lui faisait produire toutes les vertus d’une sainteté parfaite, car tout en retour d’amour et service exclusif du Christ. Femme, Elle « conservait toutes ces choses dans son Cœur » (Lc 2, 51)... Voilà pourquoi la Vierge est à elle seule toute l’Église ; oui, l’idéal de notre Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, ce n’est rien d’autre et rien de plus que l’Immaculée Conception répandue et communiquée...
Abbé Georges de Nantes
Extrait de la conférence du 21 mai 1987