Politique totale

La restauration de la monarchie
française très chrétienne

PUISQUE la légitimité du pouvoir est une condition essentielle de la prospérité de la Nation, est-ce que l’actuel État français est légitime ? S’il ne l’est pas, qui est le pouvoir légitime en France aujourd’hui, et comment pouvons-nous le restaurer ?

Je vais traiter cette question en trois grands chapitres, sous les titres un peu abstraits de la Loi, du Droit et de la Foi, et en abordant chacun de ces chapitres sous le rapport de la théorie, puis de l’application de la théorie à la pratique, et enfin d’une résolution pour l’action (...). Cela devrait nous conduire à une définition du nationalisme, du légitimisme et du mysticisme en politique.

I : LA LOI

Le pouvoir politique se caractérise par la force : une force qui s’impose par la loi et pourvoit au bien commun national, jour après jour (...). À cette force de l’État, un individu ou un certain groupe d’hommes peuvent toujours s’opposer et désirer renverser le pouvoir en place (...). On est alors en présence d’une rébellion qui peut être soit subversive, soit contre-révolutionnaire ; subversive lorsqu’elle est et se veut destructrice d’un État de droit ; contre-révolutionnaire quand elle veut au contraire rétablir l’ordre ancien et légitime qui a été aboli par la Révolution. Voilà qui est tout à fait élémentaire, mais qui va nous permettre d’avancer dans notre étude.

Nous sommes en République, où le pouvoir appartient en titre au peuple souverain (...). Mais il appartient en vérité à un groupe d’hommes qui ont le “ savoir du pouvoir ”, entretiennent les partis et savent comment mobiliser l’opinion, redessinant les cartes électorales pour gagner les élections. Par l’école laïque et les autres mouvements maçonniques, la République excelle à contrôler et museler l’opposition. Ce gouvernement est un pouvoir de fait qui exerce sa contrainte par ses lois contre l’Église et la famille ; il règne sans obstacle depuis la révolution de 1789 (...).

REBELLES À LA RÉBELLION RÉPUBLICAINE

Monarchistes, royalistes, nous considérons que cet État républicain est une nécessité que nous subissons. Nous sommes évidemment honnêtes citoyens et donc soumis aux lois élémentaires du bien-vivre ensemble, mais notre patriotisme, notre nationalisme le plus foncier nous interdit de nous rallier à la République (...), à ce pouvoir qui est un usurpateur, un corrupteur et un danger public.

En attendant de pouvoir opérer quelque chose pour le salut de la France, nous devons donner à notre rébellion une certaine force sans laquelle, je le redis encore une fois, nous ne sommes que des gens de salon (...).

Pour le meilleur service de la France d’abord, il faut donc avant tout créer une force nationale non démocratique (...), et profiter de toute occasion pour que s’exprime un nationalisme pur de tout alliage usurpateur, pur de toute trace, de tout relent démocratique (ou républicain, c’est la même chose) (...). Tout ce qui est antidémocratique est vraiment “ de droite ” (...).

C’est pourquoi il est sot de lutter pour la France au sein de la République électorale (...). Dix, vingt et cent fois depuis 1789, les meilleures gens (c’est-à-dire la droite et le peuple réel derrière elle) se sont engouffrés dans le régime républicain pour faire un parti afin de défendre les intérêts de la France (...). Ils ont finalement pris les vices et les tares de ce régime parlementaire, sous prétexte de nous en dégager. À titre d’exemple : l’attitude strictement partisane de nombre de députés royalistes à la Chambre sur la question du Tonkin en 1888, qui se révéla funeste en définitive aux intérêts de notre pays, malgré les démonstrations lucides que leur fit, occupé du bien de “ la France seule ”, Mgr Freppel. Voilà qui devrait en faire réfléchir plus d’un...

Il y a en effet une trop grande et irréductible contradiction intime entre la fin que nous recherchons (qui est le rétablissement d’un régime catholique royal, antidémocratique), et les institutions parlementaires de la République foncièrement laïque, maçonnique et anticléricale, véritables caisses de résonance conçues pour catalyser l’orgueil humain ! (...)

L’EXEMPLE DE MAURRAS ET DE L’ACTION FRANÇAISE

Pendant soixante-dix ans et plus, Charles Maurras a fait comprendre cela à des foules. Son mouvement, l’Action française, ne s’est jamais tenu sur le plan démocratique. Il a assuré à la France, même en République, un salut public repoussé de jour en jour, par exemple en empêchant la République de déclarer des guerres stupides (...). C’est précisément ce nationalisme intégral de l’Action française dont je viens de vous faire la théorie. Que vaut en comparaison un colonel de la Rocque, qui dans les années 1930 faisait défiler sur les Champs-Élysées des dizaines de milliers de militants en espadrilles, pour bien montrer qu’au jour J et à l’heure H, ils allaient renverser le gouvernement ? Or la Rocque touchait de l’argent de ce même gouvernement ! Lancer un contrefeu, un « pétard mouillé » pour mieux diviser et finalement annihiler la réaction de salut public menée par l’Action française : quoi de plus simple ?

C’est donc le même scénario, la même dérive, le même mensonge qui se reproduit toujours : aujourd’hui avec le parti de Monsieur X, demain avec un général “ Boulanger ” -Y ! Avec le même résultat (pour prix de leurs agitations tumultueuses et stériles) : le maintien en place et la consolidation, la « concentration républicaine » (comme la qualifiait Mgr Freppel) des partis démocrates de toutes tendances, soucieux de récupérer leur emprise sur un pays réel las de de toutes ces corruptions et luttes d’ambitions (inhérentes au régime) qui l’épuisent.

II. LE DROIT

Le droit est encore une force, mais une force morale à vocation sociale. Il n’a de “ pouvoir ” (actuel ou virtuel) qu’en considération de la force qu’il est capable de dégager (...). Il ne faut donc pas croire que c’est un droit abstrait qui peut triompher de la force publique de l’État actuel (...). Or, dans la situation où nous sommes, notre droit monarchique est une pure idée.

LA FORCE DU DROIT MONARCHIQUE AUJOURD’HUI ?

Quelle est la force que peut développer le droit monarchique auquel nous tenons souverainement ? La force de la famille royale ? Mais quelle force politique cela représente-t-il (...) ? La force des groupements monarchiques ? Quelle force ces groupements peuvent-ils mobiliser (...) ? La force du sentiment monarchique ? Elle est évidemment négligeable (...).

Qu’est-ce que nous demandons quand nous invoquons le retour à la monarchie ? La monarchie de l’ancienne France, jusqu’à la veille de la proclamation de l’Assemblée nationale constituante le 9 juillet 1789 ? La constitution de 1791 à laquelle Louis XVI a juré fidélité et où il a été reconnu comme roi héréditaire ? La monarchie selon la Charte, octroyée par Louis XVIII en 1814, qui est aussi la monarchie du sacre (29 mai 1825) de Charles X à Reims ? La monarchie selon la Charte rénovée du “ roi des Français ”, Louis-Philippe, votée le 9 août 1830 ? Est-ce encore la monarchie selon le général de Gaulle, par sa constitution de 1960 améliorée en 1962 (...) ?!

Il est vital de distinguer dès maintenant les principes salutaires à la France de ceux qui l’ont menée historiquement à sa ruine, afin de dégager cette doctrine vraie qui fit la force et les assises stables du droit monarchique d’hier... et de demain.

UNION DE DOCTRINE ET D’ACTION

Avant de nous diviser entre royalistes sur le prétendant (les uns étant pour le comte de Paris, les autres pour le duc de Cadix, espagnol mais descendant direct de Louis XIV) nous devrions développer ensemble une force nationaliste antidémocratique, et approfondir la notion de légitimité fondamentale.

Ce que nous voulons pour le salut de la France, c’est la restauration de la monarchie absolue traditionnelle ; et quand nous aurons développé notre force au point de pouvoir penser au roi que nous instaurerons, ce ne sera ni nous par un vote démocratique, ni même une lutte d’influence entre les différents soldats ou les différentes armées de la contre-révolution qui emporteront la décision... ce n’est pas nous qui  ferons le roi ”, en ce sens que ce n’est pas de nous que la couronne tiendra le droit d’exister ou d’exercer son pouvoir ! Mais c’est dans le pouvoir nouvellement instauré que sera la puissance constitutive, constituante, de choisir son roi en le faisant passer par les exigences de notre légitimisme (...).

Je voudrais bien que quelqu’un puisse me communiquer cette lettre que Charles Maurras écrivait au comte de Paris (...), et qui continue de valoir pour lui aujourd’hui comme pour le duc de Cadix et pour chacun d’entre nous. Voici ce qu’en substance Maurras lui expliquait : au lieu de chercher à courtiser la République en espérant qu’elle vous accordera un strapontin dans ses assemblées d’où vous pourrez prendre votre élan vers le trône, vous devriez être la conscience de la Nation. À chaque trahison, à chaque impéritie, à chaque scandale financier, à chaque division des Français, à chaque répression du peuple, vous devriez vous dresser comme étant le représentant de la vraie France pour accuser le régime républicain. Les Français ne vous écouteront pas tout d’abord, mais le jour où ils seraient à deux doigts de la catastrophe, à ce moment-là, ils se rappelleraient que depuis trente ans, un homme leur aura montré le chemin du droit et de l’honneur. Ce jour-là, vous les retrouveriez tous derrière vous !

Que le petit-fils du comte de Paris ou le fils du duc de Cadix veuille bien prendre notre tête, mais qu’on les voie travailler avec nous pour la France, afin que le jour où les Français auront vraiment la crainte de l’avenir, ils comprennent qu’il faut rejeter la République et accepter la royauté d’une monarchie très chrétienne avec le sacre de Reims et la bénédiction de Dieu (...) !

Pour fonder notre nationalisme, la démonstration maurrassienne, imparable et irremplaçable, garde donc toute sa valeur, certes... mais elle n’atteint que des intelligences pures ; elle n’a aucune force pour convertir les gens. Or notre légitimisme parle aussi au cœur, c’est bien vrai là encore : le charme de la monarchie fascine ou attire, et ses grandes réalisations font toujours la fierté “ patrimoniale ” des citoyens qui les admirent ou les font visiter... Cependant, tout cela est VAIN ! Je le dis aussi bien aux carlistes qu’aux maurrassiens : tant que vous n’aurez pas une foi catholique profonde, intégrale, vous n’arriverez à rien, car la religion catholique est la clé de voûte de notre nationalisme royal (...).

III. LA FOI

La monarchie française est “ très chrétienne ” ; son roi est un roi de droit divin qui l’établit sous la gouverne du Christ et de l’Église au nom de Dieu. Ce qui constitue donc le légitimisme, c’est :

1) Tout d’abord la défense de ce droit divin des Rois à exercer leur pouvoir absolu ; et ce à l’encontre de l’esprit révolutionnaire, libéral et démocratique (ou féodal (Angleterre de la Grande Charte) ! ou aristocratique (les Articles d’Henri en Pologne !) qui prétend, non seulement conserver les libertés traditionnelles ou privilèges des communautés naturelles, mais contrôler l’exercice du pouvoir et le limiter dans sa constitution. Le Pouvoir légitime en France est politiquement souverain, “ absolu ”, libre de toute entrave et de toute allégeance aussi bien intérieures qu’extérieures.

2) Mais comment la nation française a-t-elle pu ainsi se lier à une telle autorité absolue ? Par l’allégeance du Roi à un plus puissant Seigneur, le seul qui ne fasse pas ombrage à sa souveraineté : Dieu lui-même, le Seigneur et maître de l’Église catholique. Non un Dieu philosophique ou savant ! Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ dont le Pape et les évêques sont dépositaires et représentants.

3) En outre, la condition particulière et essentielle de la Monarchie française est signifiée par le Sacre, telle qu’évoquée historiquement par le baptême de Clovis, le pacte de Reims et la prophétie de saint Remi, puis ensuite comme promulguée indubitablement du Ciel par la vie et le message de sainte Jeanne d’Arc.

C’est un accord particulier entre le peuple français catholique (corps mystique) et ce roi (et non un autre) comme voulu de Dieu, pour être la tête, le chef mystique de ce corps, désigné par la Loi de succession dynastique, reconnu par l’Église et le peuple à son serment, sacré par Dieu lui-même de l’onction royale charismatique.

4) Enfin, cet ordre providentiel s’oppose à tout illuminisme (ou démocratisme) dans le choix arbitraire de l’homme providentiel. La loi de succession nous épargne du même coup toute tentative de césarisme. Cette monarchie selon Dieu s’oppose aussi aux partisans du naturalisme monarchique, qui accordent une inconditionnelle confiance à l’homme et à l’institution, sans aucun contrôle (divin).

Notre monarchie très chrétienne, sacrale est surtout l’antithèse de tout athéisme, laïcisme, relativisme, où l’homme prétend se suffire à lui-même, sans nul besoin des lumières et grâces d’En-Haut.

RÉSOLUTION D’AVENIR

Si le coup de force contre la République anticléricale et maçonnique est victorieux, si l’État nouveau devait restaurer la Monarchie très chrétienne, si plusieurs prétendants étaient en lice, si les trois éléments de la légitimité n’étaient pas réunis : LOI, DROIT, FOI... à qui appartiendra-t-il d’interpréter la loi de succession, de privilégier la loi dynastique ou la foi religieuse en vue d’un serment de foi et de fidélité catholiques ?

Car ce n’est pas le peuple qui désignera son roi, mais l’autorité politique qui aura rétabli l’ordre et relevé la nation de ses ruines temporelles, morales et spirituelles. Elle choisira de préférence un descendant de Saint Louis, s’il s’en trouve un capable de réunir les conditions de sa reconnaissance par son peuple. Soit la France appelle à régner le comte de Paris en lui faisant abjurer son démocratisme et accepter le sacre ; soit elle appelle le duc de Cadix, supposé légitimiste carliste, en lui restituant la nationalité française, et en le reconnaissant comme prince héritier de la maison de France.

Sinon, la légitimité naturelle de l’autorité politique contre-révolutionnaire pourra fonder une nouvelle dynastie, à moins que Dieu, par quelque événement indubitable, fasse connaître son élu. Mais, dans tous les cas, c’est l’Église qui fixera les conditions du sacre (et en sera la gardienne) : la foi catholique et le respect de la loi fondamentale du Royaume, sans lesquels le roi, même sacré, perdrait toute légitimité. Ce n’est qu’une fois ces conditions réunies que le sacrement du Sacre donnera au Roi cette vertu très chrétienne qui a fait le bonheur de ses aïeux et de ses peuples. Ainsi le Corps aura retrouvé sa Tête, par une triple identification, naturelle, juridique et surnaturelle.

Abbé Georges de Nantes
Extrait de la conférence du 24 juin 1984