Politique totale
Le Roi, lieutenant du Christ
INTRODUCTION
À la ressemblance de la cité antique caractérisée par sa division tripartite (des prêtres, des soldats, des laboureurs), l’ancienne France était constituée par trois ordres, ou trois États : Le Clergé (premier ordre), la Noblesse, et le Tiers-État. À ces grands corps de la nation appliqués aux grandes préoccupations des hommes en ce monde (la religion, la guerre, le commerce, la production des biens) répondent naturellement, dans le gouvernement de l’État, des ministères spécifiques bien distincts : cultes et enseignement, culture, défense nationale et diplomatie, économie et finances.
Dominant de haut l’édifice national, la Majesté Royale (le souverain qui l’exerce) doit avoir ses avis et bons plaisirs sur chacune des parties qui le composent. Le Roi a donc une fonction religieuse de politique religieuse, une fonction militaire de politique militaire et diplomatique, et une fonction écologique de politique financière et économique.
La fonction religieuse du pouvoir sera mise en œuvre d’une manière différente selon le degré de légitimité de ce pouvoir (...). Rappelons les trois degrés de légitimité que nous avons distingués :
- La première, la légitimité dite antérieure, est celle du pouvoir fort et conquérant elle est l’ombre et l’annonce de la suivante qui lui est supérieure.
- La deuxième, la légitimité naturelle, de droit divin, est celle du pouvoir établi respecté de ses sujets.
- La troisième, la légitimité chrétienne, est celle des rois catholiques où excelle la monarchie française (Fille aînée de l’Église) dont le roi, en vertu de son sacre, se trouve être associé par le Christ vrai roi de France à l’œuvre surnaturelle de l’extension du Royaume de Dieu sur terre.
I. LA FONCTION RELIGIEUSE DANS UNE DICTATURE
La dictature arbitraire ou absolue (mais sans autre perfection) tient le peuple par la force. Elle ne va évidemment pas avoir le droit ni même être fondée à intervenir dans la religion et les mœurs du peuple qu’elle a conquis (...). Néanmoins, comme toute police est impuissante (à moins de massacres perpétuels) à tenir longtemps sous le joug des peuples immenses, la dictature ne peut se stabiliser sans entrer dans le domaine religieux ou idéologique (...). Par conséquent :
- Soit le conquérant impose sa religion (ou son idéologie), et il persécute à mort ceux qui s’y opposent : ainsi firent jadis Antiochus Épiphane à Jérusalem en 170 av. J.-C., hier le régime communiste en Russie, aujourd’hui la Chine (qui a hérité des « erreurs de la Russie »).
- Soit le dictateur et conquérant va à la rencontre des idées et des convictions de la nation dominée, comme Clovis vis-à-vis des Gallo-romains catholiques ; ou encore comme le socialiste anticlérical Mussolini. Ce dernier comprenant que l’Église catholique est la grande et incontournable force sociale de l’Italie, il régularisa par les accords du Latran (1929) l’injustice commise en 1870 par l’invasion des États Pontificaux (...).
Dans son intérêt, le dictateur accordera donc une certaine liberté à la religion du pays, mais dans la seule mesure où celle-ci ira dans le sens de l’ordre, de la paix, et globalement dans l’idée du respect de son autorité politique. C’est ce modus vivendi qui s’est établi en Pologne sous l’autorité du cardinal Wyszynski entre l’Église catholique et le gouvernement communiste après la Seconde Guerre mondiale, à la condition expresse cependant que le gouvernement communiste ne mette pas d’obstacles indus aux libertés de l’Église (...).
Cette coexistence de deux sociétés, de deux idéologies ou religions opposées et “ superposées ” l’une sur l’autre est cependant toujours un rapport de force instable, car ce modus vivendi entre antagonistes peut s’avérer du jour au lendemain pacifique... ou tracassier ! Voire passer par des temps de persécution.
II. LA FONCTION RELIGIEUSE DANS UNE MONARCHIE ABSOLUE
Nous entrons dans une forme de société qui, pendant des millénaires, a été la forme politique normale (...). Prenons en exemple le roi Hassan II du Maroc. Il a la connaissance d’un dieu unique dont le Coran lui donne une conception certes très vague, mais suffisante tout de même pour asseoir son autorité et faire régner l’ordre et la justice dans sa société.
Cela est (et a été) commun à tous les royaumes et à tous les pouvoirs légitimes de droit naturel, qu’on appelle aussi de « droit divin ». N’importe quel empereur ou pharaon d’Égypte avait déjà ce droit... de la même manière, n’importe quel homme de n’importe quelle religion (ou sans religion), en tant qu’il est père de famille, a un ensemble de droits sur ses enfants, qui lui viennent de la nature même. Mais puisque cette nature est l’œuvre de Dieu, c’est donc bien au nom de Dieu qu’il fait régner cet ordre purement naturel (...). Dieu a voulu constituer la société politique sur ce principe d’autorité, ainsi que le rapporte saint Paul : « Je fléchis les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, duquel tire son nom toute PATRIE (ou paternité) dans les Cieux et sur la terre. » (Ep 3, 14-15) ; c’est pourquoi il nous ordonne de nous soumettre aux autorités constituées. (cf. I P, 2, 13 ; Tt 3, 1 ; I Tim 2, 2)
Lorsqu’un roi ou un chef d’État est respectueux de l’âme (c’est-à-dire des principes fondamentaux et de la religion) de la société qu’il doit gouverner, à ce moment-là toutes les communautés naturelles intermédiaires font bon accueil à cette autorité. Car même si elle n’est pas une autorité purement spirituelle, elle possède la force de la justice et de la police pour les aider et les protéger. Le Roi peut alors, dans un consentement unanime et coutumier, faire régner l’ordre, la justice et la paix, rassurant les bons et faisant trembler les méchants (...).
Ainsi quand le Maréchal Philippe Pétain, chef de l’État français, s’adressait aux petits enfants pour leur dire de ne pas copier, on trouvait cela tout à fait normal qu’un pouvoir politique réclame des enfants de France l’honnêteté dans leurs compositions, dans leur travail ! Quand il s’adressait ensuite aux gens mariés pour leur dire que la famille était la cellule-mère de la société, et qu’il fallait donc qu’il y ait la fidélité conjugale, on trouvait juste et bon que le Maréchal se mêle de mettre des obstacles au divorce. Ce n’était pourtant pas un évêque ni un représentant du Pape ; mais c’était le père de la Patrie avec la force de la loi et la répression des tribunaux, qui imposait à toutes les communautés de vivre selon leur ordre profond et en obéissance à ce Dieu qui était le Dieu des Français, le Dieu chrétien, le Dieu catholique. Ceux qui ont crié à la dictature étaient précisément les hommes du trouble, qui voulaient reprendre le pouvoir et nous faire retomber dans la dictature démocratique, laïque et maçonnique que nous avions connue auparavant (...).
Retenons, à la fin de ces deux premières parties, qu’il y a deux sortes de pouvoir : le premier, qui n’est qu’un pouvoir purement violent, n’a pas à intervenir dans notre Religion. Il a la sienne et il doit nous laisser la nôtre. Ce sera un choc, un combat, une persécution qui pourra durer des siècles, comme ceux que l’Empire romain (païen) fit subir aux chrétiens. Tant que l’empereur romain n’a pas été converti, les relations ont été d’oppression de sa part et de soumission purement politique chez les chrétiens. Ce n’est pas un idéal. L’idéal est d’avoir le deuxième pouvoir : un gouvernement qui passe des lois positives en plein accord avec celles du Christ (ou de l’âme de la société), afin qu’en obéissant au gouvernement, nous obéissions aussi à Dieu. Mais cela n’est pas encore le plus parfait.
III. LA MONARCHIE CHRÉTIENNE
Dans sa « Politique tirée de l’écriture sainte » (VII, III, 1), Bossuet invite toute société à rechercher sa véritable religion dans son passé (...), au-delà de ce moment parfaitement repérable de l’innovation schismatique ou révolutionnaire (...). Pour nous français, cette rupture est parfaitement identifiée. En conséquence de la Réforme protestante (1517) et de la création de la Franc-maçonnerie (1717), c’est la Révolution française de 1789 qui, avec ses fêtes impies de l’Être suprême (ou de la liberté) et tant de sang innocent versé, nous apparait clairement comme le schisme et l’hérésie politiques. De manière indélébile, 1789 demeure notre apostasie nationale (...).
Si donc notre nationalisme détermine une “ politique religieuse ”, cela ne pourra être qu’un retour à l’Alliance catholique, une réinsertion dans l’Église qui est le corps du Christ Fils de Dieu Sauveur. Autrement dit : un retour au sacre de Reims (496), qui fonde la fonction religieuse du Roi et détermine la politique ecclésiastique de cet homme consacré par l’onction, devenant tout à la fois prêtre et roi, bras temporel de l’Église, “ évêque du dehors ” (...).
LA CHRÉTIENTÉ
Le sacre est une sorte de prédestination divine qui introduit le roi dans les mécanismes de l’Église même. Nous passons de l’ordre naturel à l’ordre chrétien. Qu’est-ce à dire ?
Le Fils de Dieu s’est fait homme, et il s’est prolongé en fondant une Église, une hiérarchie qui doit conquérir le monde à cette foi chrétienne par laquelle les hommes sont sauvés. Cette foi elle-même se monnaie par des institutions ecclésiastiques et aussi des institutions temporelles, politiques (...). C’est à ce moment-là que saint Rémi évêque de Reims baptise Clovis, et que ses successeurs vont sacrer les rois de France, faire Charlemagne empereur, sacrer Hugues Capet, fonder des dynasties (...). C’est le règne de Dieu qui se développe et se déploie jusque dans le domaine politique, afin que les institutions de l’Église soient protégées et qu’elles aient toutes les facilités de se développer pour mener à bien leur œuvre de salut et de civilisation.
L’étude volontaire de l’histoire de France montre abondamment à quel point ses rois, en vertu de leur onction, ont eu ce souci d’aider le clergé dans sa tâche spirituelle. Ils doublèrent la tâche spirituelle pure de ce dernier d’une organisation, d’une autorité, d’une vie et d’une sanction politiques capables de lui donner sa force. C’est l’admirable Chrétienté (...).
LE ROI TRÈS CHRÉTIEN
Cet ensemble de tableaux historiques (déformés à dessein par les républicains) restitue la figure réfléchie de ces rois environnés de moines, d’évêques, se préoccupant de convoquer des conciles nationaux ou régionaux pour encourager le bien, s’opposer aux abus (l’immoralité, la simonie, le mariage des prêtres, etc.), et le cas échéant, pour fonder des ordres religieux (...). La France a ainsi vécu dans cet ordre et par cet ordre surnaturel coutumiers (...). Saint Louis figurait et incarnait cet idéal d’un gouvernement imprégné des vertus évangéliques (...). Lorsqu’il partait en guerre ou en croisade, il allait chercher l’oriflamme de Saint-Denis, car il s’agissait d’une guerre sainte, une guerre juste qui se terminerait par un traité équitable (...). Et non d’un règlement de compte sans foi ni loi ni d’une guerre à outrance, folies qui aboutissent aux pires carnages dès que les autorités s’émancipent des lois et des trêves instaurées par l’Église !
Quand certains partis, comme les cathares ou les vaudois, prendront une importance à la fois d’hérésie religieuse et de sédition politique (car l’un va toujours avec l’autre), il se trouvera que le pouvoir spirituel fera son œuvre en condamnant doctrinalement l’hérésie (...). Mais lorsque cette condamnation s’avèrera impuissante à endiguer cette erreur, l’Église fera appel au Roi. Et le roi de France, en tant qu’oint du Seigneur, en tant que lieutenant du Christ sur la terre, fera partir ses armées pour rétablir l’ordre et la justice, en accord avec le pouvoir spirituel, le Pape et les évêques (...).
L’AUGUSTINISME POLITIQUE
S’il est chrétien et sacré à Reims, jamais le pouvoir temporel ne sera assez actif ni assez entreprenant dans l’ordre spirituel en même temps que dans l’ordre temporel. En effet, la société humaine est mue par des passions tellement violentes qu’il ne suffit pas d’un pouvoir purement spirituel pour condamner l’erreur et dire le droit. Il y faut encore l’appui et la force d’un pouvoir temporel. Depuis l’instauration de notre société moderne (issue de la Révolution), il manque aux Papes et aux évêques un bras temporel, une police et une justice, qui viennent donner force de loi politique aux lois spirituelles qu’ils édictent. Il est donc dans notre projet de restaurer un pouvoir qui soit un pouvoir surnaturel, qui soit le pouvoir d’un Roi Très-Chrétien aidant le Pape et les évêques dans leur rôle. Ce n’est pas une concurrence, c’est une complémentarité et une composition (...).
En elle-même très parfaite, cette théorie de l’augustinisme politique consacrant et définissant l’accord des deux pouvoirs (temporel et spirituel) a donné lieu à travers les siècles à bien des frictions, certes ! (...). Mais il faut les replacer dans leur contexte. En France, cela n’a été qu’un conflit de personnes, n’atténuant en rien la concorde voulue par Dieu entre ces deux pouvoirs. Le Roi était soumis au Pape, mais à la manière d’un collaborateur et d’un coopérateur, et non comme un simple subordonné. La réaction mesurée (dont peu comprennent la portée) de Philippe le Bel en 1403 face aux empiètements de l’hégémonique Boniface VIII illustre les justes limites de cette sage et filiale soumission.
CONTRE RÉFORME ET CONTRE RÉVOLUTION CATHOLIQUE
Je suis heureux de voir que le pape saint Pie X, dans sa LETTRE SUR LE SILLON, a dit qu’il n’y avait pas à inventer une société nouvelle, mais qu’il n’y avait qu’à reprendre les institutions brisées par la Révolution. Il a ainsi montré que ces institutions, ce sont le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel « heureusement concertés » qui imposent aux citoyens, par des lois religieuses et politiques, tout ce qui est nécessaire, non seulement à leur vie temporelle, mais à leur salut spirituel (...). Quel bonheur de pouvoir s’appuyer sur cette sagesse révélée ! Si nous ne comprenons pas cela, nous n’arriverons jamais à établir une doctrine de contre-révolution qui aille jusqu’au bout de ses exigences (...).
LA DÉMOCRATIE : DICTATURE MASQUÉE
N’ignorons donc plus la vérité : depuis la Révolution française de 1789, le gouvernement démocratique est une dictature de fait, sans aucune autorité autre que de force, de propagande stipendiée, de contrainte, et sans autre but que la destruction de l’ordre chrétien fondé depuis quatorze siècles sur l’alliance du trône et de l’autel (...).
Pour consolider les acquis de la Révolution et transformer la société chrétienne, Napoléon a compris qu’il devait passer un concordat avec l’Église afin de domestiquer le peuple français par le truchement d’une hiérarchie catholique (dont certains membres étaient déjà, peu ou prou, acquis au nouveau régime). Tout en prônant une radicale séparation de l’Église et de l’État, les Républicains comme M. Thiers et l’ensemble des dynasties bourgeoises capitalistes reconnaitront à la religion catholique une utilité (la seule !) : celle de donner une morale au peuple ouvrier, capable de le maintenir dans l’obéissance et la résignation face aux inhumaines conditions de travail imposées par ses législateurs (d’Allarde et Le Chapelier pour commencer) depuis 1789 (...).
Une funeste politique de ralliement à République initiée par le pape Léon XIII (et poursuivie par tous les Papes à l’exception de saint Pie X) s’est montrée ruineuse pour l’Église comme pour la Nation. L’histoire prouve que cette politique dite libérale n’a pas du tout empêché, mais favorisé au contraire la promulgation d’une foule de lois anticléricales (et donc antinationales), du divorce aux lois immorales actuelles en passant par l’avortement, etc (...).
Purifions-nous du venin du libéralisme et entrons, par la sagesse et la méditation de notre histoire de France, dans cette magnifique perspective d’un pouvoir temporel dont la source du sacre de Reims est non seulement chrétienne mais bel et bien d’inspiration divine. La leçon de sainte Jeanne d’Arc est urgente aujourd’hui plus qu’hier ! L’autorité politique est investie de la charge d’aider les êtres humains à faire leur salut par le côté temporel, tandis que l’Église leur montre le chemin et leur en donne les moyens surnaturels, spirituels.
Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du 15 mars 1984