Politique totale

Le Roi, père de ses peuples
et régulateur de l’écologie nationale

Louis XIV et la noblesse française.

INTRODUCTION

NOUS en arrivons maintenant à la troisième fonction de l’État (ou du Roi), qui est de régler et d’entretenir la vie économique dans une certaine perfection. Seulement, il faut être très réaliste et ne pas prétendre régler cette troisième fonction a priori, comme si l’État devait intervenir et tout diriger de la vie économique, ou au contraire ne pas s’en occuper et tout laisser faire...

Par réalisme, faisons enquête pour savoir comment cette fonction économique a été envisagée et pratiquée selon les trois différents stades de perfection (ou d’évolution) de l’autorité politique.

I. L’ÉCONOMIE DANS UN ÉTAT DE FORCE

Dans de nombreux pays, le pouvoir arbitraire ou usurpé est un pouvoir qui se considère comme le propriétaire de la terre, de la fortune, des personnes (...). Je ne fais pas de la morale, ni ne trace un idéal, mais j’observe à la suite de Bossuet qu’une tyrannie politico-militaire se prolonge en tyrannie économique. En cette matière, et depuis que le monde est monde, ces tyrans agissent de deux manières :

1. La manière “égyptienne” est celle d’un totalitarisme collectiviste. C’est l’idéal de la “ termitière ” : l’homme n’est propriétaire de rien, et il n’est qu’un élément, un rouage de la collectivité (...). Le pharaon, propriétaire de tout, possède une administration chargée d’exploiter la terre, les personnes et les biens, pour que cela lui rapporte le plus possible. Ce collectivisme se retrouve à peu de chose près dans le collectivisme stalinien, les systèmes économiques ayant une certaine permanence à travers les âges...

2. La manière “assyro-chaldéenne” est celle d’un totalitarisme capitaliste. Tout en étant le maître de tout, le tyran trouve qu’il est d’un meilleur rapport de laisser à ses sujets l’apparence de propriété de leurs biens et de leur travail. Mais il va pressurer ses peuples par l’impôt. On rencontre ce système lui aussi de siècle en siècle, avec ses avantages et ses inconvénients (...).

Évidemment, je ne suis pas en train de vous faire l’éloge de ces deux formes de pouvoir, mais dans le monde occidental où nous sommes et qui est d’un irréalisme et d’un idéalisme prodigieux, je voudrais ancrer dans vos esprits une vérité perdue : au point de départ de la vie économique, il y a toujours des rapports de force. Même si la propriété ce n’est pas « le vol » (ce à quoi Proudhon prétendait l’identifier), il n’empêche qu’elle est un pouvoir, une liberté. Et comme le remarquait Maurras, elle est toujours une force qui s’exerce. Dès qu’elle disparaît, le pouvoir et la liberté deviennent de simples mots en l’air et finissent par disparaitre bientôt.

II. LA VIE ÉCONOMIQUE DANS L’ÉTAT DE DROIT DIVIN

Après avoir organisé la religion, l’armée, la défense et la justice (cette dernière étant entendue comme les rapports des individus les uns avec les autres, et leurs rapports constants avec le pouvoir), l’État de droit naturel et donc de droit divin est tout naturellement amené à organiser la vie économique (...). Il va veiller à la meilleure gestion possible afin de faire vivre ses sujets dans la tranquillité de l’ordre. Il y a autant de formules que de peuples. Mais en tous on retrouve nos deux organisations : celle d’  Égypte ” améliorée, l’autre de “ Chaldée ” organisée. L’une tend vers l’autre : Autorité vers Liberté, et inversement... Voici maintenant ce qu’il en a été pour la France que nous connaissons bien. (...)

LE CORPORATISME MÉDIÉVAL

Ce qui ressemble le plus à l’organisation barbare que l’on connaissait en Chaldée et en Assyrie, c’est le système des corporations tel qu’il a fleuri du temps de Saint Louis. Il s’agit de ces ensembles de citoyens qui se regroupent par métiers ou par communes pour défendre leurs intérêts contre les autres, se soutenir, et travailler ensemble en produisant loyalement des produits de qualité avec pour but ce que j’ai appelé : la prudence écologique (...).

Les particuliers y gèrent leurs biens, et l’État leur demande l’impôt en le justifiant par ses services ; car sans l’État pour les défendre de l’étranger ou pour administrer la justice et la faire respecter par la police, les corporations ne pourraient pas subsister. C’est un des honneurs de Saint Louis d’avoir compris que les corporations de métiers étaient une avancée sociale, que l’économie en profiterait, et donc d’avoir légiféré en leur faveur (...). Ce fut un progrès considérable !

Cela ne veut pas dire que l’État se retire de la vie économique. Non ! Mais il veille sur les corporations, et au titre de la Justice, il est conduit à les contrôler et les organiser entre elles. Il n’en reste pas moins le premier propriétaire du pays, des hommes et des biens (...).

Ce système avait un grand avantage : c’est qu’il était communautaire. Le roi s’y considérait comme le serviteur du bien commun, le Père de ses peuples, tandis que ceux-ci s’organisaient librement sous son autorité (...). L’inconvénient majeur était l’esprit de corps qui ne cherchait qu’à défendre son intérêt particulier, à l’encontre même du progrès de la vie sociale et du bien commun (...). C’est pourquoi il ne faut pas rêver des corporations comme d’institutions parfaites qui devaient se conserver telles quelles.

Face au risque de stagnation résultant de ce système, le remède était alors dans l’intervention du Roi ; c’est ce qui arriva par exemple au XVIIIe siècle, lorsqu’il fallut dirimer un conflit au sujet du tracé des routes le long du Rhône : une contestation s’est élevée, très vive, entre les gens de Rio (rive droite : Cévennes, Vivarais, etc., appartenant au Royaume de France depuis longtemps) et les gens d’Empi (rive gauche : Dauphiné, etc., ancienne terre d’Empire au Moyen-âge). Il y avait une route qui descendait de Paris à Lyon et Marseille, qui empruntait la rive droite du Rhône. Les péages étaient donc sur la rive droite ! Aussi lorsque les gens d’Empi voulurent commencer à faire une grande route carrossable sur la rive gauche, les gens de la rive droite firent appel à Louis XV, en disant que c’était contre leur privilège (et leur richesse) de sujets de Rio, et qu’il fallait empêcher cela. Au point d’aller mettre leurs “ camions ” en travers de “ l’autoroute ” qui se construisait sur la rive gauche (nos manifestations modernes n’ont rien inventé) !

Or le roi a tranché, et il a tranché dans le sens du progrès. Il a permis aux gens d’Empi de construire leur route. Et que s’est-il passé ? Les deux routes ont toutes les deux vu leur trafic s’agrandir. C’est pour cela que nous avons maintenant une Autoroute du soleil sur la rive gauche. Morale de l’histoire : c’est dans de tels cas que l’autorité politique a à intervenir, malgré ce qu’en dit Montesquieu, qui soutenait à l’époque qu’il fallait surtout que le pouvoir politique soit renfermé dans son domaine propre. Dans ce cas-là, jamais la route ne se serait construite sur la rive gauche, ou alors la route se serait construite et cela aurait été l’anarchie d’une concurrence féroce. Tandis que le roi y a pourvu en donnant à chacun des privilèges, respectant les privilèges des autres. Comme un père soucieux d’éviter entre tous ses enfants, la moindre occasion de se quereller.

Ainsi donc, de la même manière que la Paternité royale avait dans le domaine de la Justice un droit de vie et de mort permettant l’exécution de la sentence des juges, de la même manière dans la vie économique cette paternité lui donnait le droit d’intervenir dans toutes les affaires professionnelles et même familiales (...). En tant que père, le roi était l’autorité bienveillante qui ne relevait d’aucun parti, et qui pouvait donc dénouer les crises en trouvant la solution d’avenir, féconde, progressive (...).

LE COLBERTISME LOUIS-QUATORZIEN : UN DIRIGISME AU SERVICE DE LA NATION

La France étant devenue une grande puissance, elle a eu à craindre la rivalité commerciale des puissances voisines, notamment celle de l’Angleterre (...). Face à des problèmes nouveaux, il a donc fallu que les rois interviennent, non pas comme propriétaires, mais comme gestionnaires de la vie écologique française (...). Pour mener à bien cette transformation de l’économie, faire face ainsi au mercantilisme protestant par un dirigisme qui peut rappeler celui de “ l’idée égyptienne ”, Louis XIV a trouvé un homme de labeur aux idées aussi générales qu’analytiques et précises : ce fut Colbert. Et Colbert a bousculé les Français : il a fait du “ travail forcé ”.

1) Par la création des manufactures royales, qui étaient un équivalent de nos sociétés nationalisées (...). Ces manufactures sont devenues des sociétés de grand rapport, de techniques supérieures, capables précisément de fabriquer de meilleurs produits que ceux que l’on achetait à l’étranger à un prix comparable (...).

2) Ce dirigisme royal dans la distribution a permis de régler le problème récurrent des famines, en réformant les circuits de distribution des marchandises qui étaient handicapés par des impôts, des péages et frontières entre provinces qui existaient depuis la féodalité ancienne (...). Colbert a fait tomber toutes ces “ bastilles ”, et les prix des marchandises ont été fixés par l’État (...).

Manufacture des Gobelins
La manufacture royale des Gobelins

Cela va contre toute cette théorie selon laquelle l’État ne doit pas s’occuper de l’économie (...). Or, pour qu’un pays puisse faire front dans la guerre ouverte économique internationale, il est des moments où l’État doit prendre les choses en main pour l’arracher au profit du petit patron comme aux revendications syndicales ou encore aux diktats du grand capital apatride (...). Un État moderne doit être dirigiste, c’est bien évident... mais à condition que cet État ne soit pas démocratique, ce régime étant par principe corrupteur de tout système social et économique ! (...) En outre cet État dirigiste, s’il n’est pas démocratique, peut en même temps être décentralisateur (...). C’est ainsi que nous voulons une monarchie absolue où le dictateur et roi sera à la fois traditionnel et moderne. Nous le voudrions père de ses peuples, régulateur de l’écologie nationale, chef de l’État en guerre économique avec les grandes puissances de notre âge (...).

III. LA MONARCHIE TRÈS CHRÉTIENNE

Le Roi Très-Chrétien, considérant le Corps mystique de la nation dont il est le Chef comme un Corps mystique chrétien (c’est-à-dire une partie de l’Église), va orienter toute la vie matérielle en vue d’un bien commun juste et charitable afin d’aider au salut éternel de tous ses sujets (...).

QUE L’ARGENT NE SOIT PLUS UN ABSOLU !

Cette fonction écologique du roi ne sera en rien amoindrie par cette préoccupation surnaturelle. Au contraire... La première résolution sera pour lui d’atténuer le culte de l’Argent et la recherche effrénée du Profit. Nous ne sommes cependant pas des utopistes. Il est certain que l’argent existe et que le profit est le moteur de la vie économique. Mais il a été maudit par le Christ dès lors qu’il a voulu s’accaparer la première place. Le roi le laissera donc « vivre », mais il lui superposera des valeurs supérieures, religieuses, afin que ses sujets ne se damnent ni ne s’entredévorent fiévreusement dans des luttes de classes passionnées, inhumaines, destructrices du bien-vivre ensemble... par appât du gain, qui est vice d’avarice ! Ce fut d’ailleurs l’œuvre de nos rois de France, voici comment.

UNE ARISTOCRATIE FONDÉE SUR LA GÉNÉROSITÉ ET LE SERVICE DES PAUVRES

1. Par sa manière de vivre, le Roi mettra la charité au-dessus du profit. Les rois français se sont toujours montrés d’un extraordinaire désintéressement... trop, même ! (...) Ils le manifesteront par leurs faveurs, c’est-à-dire qu’ils accorderont des privilèges précisément aux gens qui les auront mérités par d’autres vertus que celle prétendue de « posséder de l’argent ».

2. C’est ainsi qu’ils ont créé une noblesse (...). La noblesse française, à la différence des noblesses anglaises et autres (et dire que nos manuels modernes d’économie le reprochent au Roi !), était précisément une noblesse qui ne voulait pas déchoir en se livrant au commerce ou à l’industrie. Elle se consacrait au service du Roi et à la défense de la Patrie. Elle se livrait aussi à l’administration des domaines territoriaux, qui est une administration de patrimoine familial.

Louis XIV et la cour.

Ce bon exemple, réussite de nos rois, fut communicatif. Car lorsqu’un bourgeois s’était enrichi, que souhaitait-il ? S’ennoblir. Il savait très bien que, à partir de ce moment-là, il rentrait dans un ordre d’une dignité supérieure. Noblesse d’épée ou noblesse de robe, sa vie serait dirigée par un autre idéal, qui était le service de la patrie et le service des institutions, de la magistrature, des arts, de la culture, etc. C’en était fini de gagner de l’argent pour de l’argent ! Voilà comment, jusqu’à notre Révolution française, l’argent a toujours été tenu par nos rois très chrétien dans un ordre qui en atténuait la violence.

3. Le Roi montrera aussi le bon exemple du respect pour la classe pauvre et le soutien des organisations de dévouement et d’aide aux malheureux. Il n’y a qu’à se souvenir de Saint Louis. Lorsque le roi, qui est l’homme le plus élevé et le plus puissant du royaume, s’applique à nourrir les lépreux, à faire l’aumône aux pauvres ou à vivre en compagnie de pauvres franciscains, il donne l’exemple d’une vie qui est retirée de l’intérêt du commerce.

L’HONNEUR DE SE SACRIFIER POUR L’HONNEUR DU ROI, DE LA PATRIE, DE DIEU

Pour être très franc et rapide, je vous dirai que la vie économique n’est pas une fin en soi. Or, depuis la Révolution (et donc : depuis la domination de la classe bourgeoise au dix-neuvième siècle), la vie économique est tout entière définie par le triptyque  produire, distribuer, consommer ... un point c’est tout !

Dans la renaissance royale que nous appelons de nos vœux, la vie économique se devra comme dans l’ancien Régime d’appliquer davantage les fruits de sa prospérité (son aplomb sur la scène internationale, la richesse de son sol et la richesse d’intelligence de son peuple retrouvés) à la défense de la Patrie, à la colonisation d’autres pays, à la croisade, à la mission. Il reviendra précisément au roi de donner à ce profit un autre but que le rassasiement des passions matérielles des Français, alors que tant de peuples entiers gémissent dans l’indigence sous nos yeux, en se demandant d’où leur viendra enfin un vrai secours, autrement réel amical et durable que l’impersonnelle et bureaucratique gabegie des Nations Unies !

Et donc il est tout à fait normal que le pouvoir nous y incite, soit sous forme d’impôts, soit sous forme de dons gratuits. La merveille de la monarchie, c’est d’avoir suscité cet élan magnifique, pour l’élégance du geste ou pour le mérite de la bonne action. Ces bourgeois s’anoblissant, leurs filles et fils allaient peupler les monastères, et ils partaient en mission. On dit qu’il y avait trop de moines et trop de moniales... et maintenant qu’il n’y en a plus assez, les mœurs s’en portent-elles mieux ? Or c’étaient ces mêmes gens, issus de familles de bourgeois avares, rapaces et procéduriers, et d’autres de basse ou noble extraction, qui devenaient des gens généreux, et qui sont allés fonder le Canada, le Sénégal ou les Indes ! L’exemple d’une Mère Javouhey, entre cent autres, suffit à illustrer la reconnaissance émue que toutes ces populations manifestaient à la France soucieuse de remplir sa vocation de Fille ainée de l’Église sous l’autorité du roi sacré, pour les avoir sorties d’une misère et d’une anarchie séculaires. (...)

Enfin, dernière manière d’être chrétien dans le domaine économique pour un roi, c’est le mépris et le renoncement des biens de ce monde en considération des biens célestes, comme aussi la manière surnaturelle de supporter les épreuves. Aux périodes tragiques de notre histoire, lorsque les ennemis menaçaient la France ou l’occupaient, ou encore dans les temps de révolte, de sédition, de famine, les rois de France se sont montrés des exemples en s’appauvrissant les premiers. Tel Louis XIV vendant son argenterie lors des hivers terribles de 1709-1710, quand la famine réapparait dans le Royaume en même temps que les loups aux portes de la capitale (...).

CONCLUSION GÉNÉRALE DES TROIS FONCTIONS ROYALES

Depuis plus de deux siècles, la fonction politique subit un discrédit résultant de deux erreurs : la première, issue du préjugé de Montesquieu, est que le ressort essentiel de la vie politique des citoyens serait de lutter contre l’État, de l’exiler le plus possible de la vie des citoyens, bref : de réduire son autorité afin de sauvegarder les libertés des individus (...). Mais plus folle encore est l’erreur suivante qui, pour redresser la vie économique, fait appel à l’État, à l’Argent ou aux Syndicats, pour tout assumer de ce qui ne va pas (...).

Finissons-en avec le gouvernement de l’argent (ploutocratie) qui est aussi celui du nombre et des partis (qu’ils soient démocrate libéral, social-démocrate ou capitalo-socialiste), et retrouvons un chef qui détienne la force : une force qui recherche l’appui du droit, du droit qui se “ surnaturalise ” par l’enseignement de l’Évangile et fait œuvre de civilisation par sa mise en application. Quand nous aurons la grâce de posséder un tel chef, nous ne serons pas assez bêtes pour limiter son autorité et l’empêcher de faire du bien (...).

La monarchie étant un pouvoir fort, de droit divin et paternel, enfin chrétien, il se tient traditionnellement du même côté que le peuple, comme PÈRE. Et donc plus il aura d’autorité, mieux il servira ses peuples. Plus l’ÉCOLOGIE, de familiale, communale, corporative et régionale, se fera nationale, royale, plus elle achèvera de bannir l’Argent et son culte de la vie des hommes et jusqu’au plus haut et dangereux niveau : celui de l’État !

Il nous faut donc un Roi  très-chrétien  dont le pouvoir s’exercera de nouveau dans tous les domaines de la vie temporelle, aux applaudissements du peuple français. Il aura fallu attendre les philosophes et les révolutionnaires de 1789 pour que les Français rompent avec ce charme séculaire de la monarchie et se dressent contre leur roi comme si c’était un « tyran ». Mais en le guillotinant, ils se sont donné d’autres tyrans bien pires, dont nous ne souhaitons qu’une chose : nous débarrasser au plus vite afin de retrouver nos Rois catholiques et la douceur de vivre en Chrétienté !

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du 24 mai 1984