Politique totale

Le Roi, chef de guerre et justicier

Statue équestre de saint Louis.

UNE nation est la forme parfaite de l’existence en société ; elle a besoin d’un État, d’une autorité ou d’un pouvoir pour assurer son bien commun, ce dernier se définissant tout d’abord par la constitution de l’ordre et du droit dans la société. Nous y ajoutons cependant de manière assez neuve la lutte du gouvernement contre toutes les forces de mort, qu’il s’agisse d’obstacles ou de menaces que cette communauté (ou “ être politique ”, à la ressemblance de l’être humain) rencontre dans sa vie historique, jour après jour (...).

Pour assurer ce bien commun, le pouvoir va mettre en œuvre trois fonctions qui correspondent aux trois grandes préoccupations des hommes en société :

  • La fonction religieuse (ou idéologique).
  • La fonction politique proprement dite, de défense de la paix de l’ordre à l’intérieur (par la justice et la police) et à l’extérieur (par la diplomatie et la guerre).
  • La fonction écologique (ou d’économie).

LES FONCTIONS POLITIQUES DU POUVOIR

Dans cette deuxième partie de notre politique totale, nous allons dire des choses qui sont généralement tout à fait méconnues. En effet, trop de gens supposent que la Nation existe... comme cela ! Sans que personne ne lui ait donné d’acte de naissance (ou de baptême). Pourquoi les “ nationaux ” (les citoyens) en font partie ? En vertu de quel droit, selon quels critères, au terme de quelle histoire ? On ne se pose quasiment jamais la question. Examinons-la.

PRINCIPE ET FONDEMENT DE L’UNITÉ NATIONALE : LA FORCE

Selon l’ordre naturel et la loi des civilisations, c’est le chef de l’État (tels le Prince, le roi) qui par la force conquiert un pays et décide que c’est le bien de son peuple d’y habiter, d’en être les citoyens et de jouir des privilèges qui en découlent. Le plus notable d’entre ces privilèges est celui de la propriété, que le roi garantit pour éviter que les autres y pénètrent et ne volent ce qui apparaitra au fil des siècles comme un patrimoine national. La vie des membres de la Nation est alors réglée entre eux par un droit des citoyens, qui constitue le fondement même de la vie nationale. (...) Il ne faut pas chercher à « justifier » cette attribution arbitraire des terres au fil des siècles autrement que par la puissance de celui qui s’y installe : c’est un fait et une vérité d’histoire. C’est absolument “ injustifiable ”, en ce sens qu’il n’y a pas de justice morale ou transcendantale qui règle la politique. Dieu n’est pas venu dire à chacun : « Tes frontières seront là et là » !

Lorsque des gens viendront ensuite du dehors et voudront se mêler aux citoyens de la Nation, ce sera au gouvernement (à l’État politique) de permettre à ces immigrés de s’installer sous telles conditions, ou de les refuser. Faudra-t-il invoquer les critères d’une morale ou d’une religion ? Pas du tout ! Il faut laisser à la discrétion des citoyens (qui descendent de toutes ces familles qui ont fait ce pays, qui l’ont civilisé, qui l’ont déboisé, qui l’ont transformé, qui ont bâti des villes, bref : qui ont comme enrichi cette Cité de tout un patrimoine) la libre disposition de leur propriété nationale.

Comme la guerre est l’état naturel des peuples, la nation doit rester sur la défensive. Mais dans la plénitude de sa force, rien ne lui interdit non plus... de passer à l’offensive : son chef (ou son roi), s’il en a les capacités, peut envahir des terres qui n’appartiennent à personne, ou même conquérir des espaces insuffisamment remplis ou tenus par des peuples en pleine décadence. C’est comme cela ! Ainsi lorsqu’en 1830 le roi Charles X décide de débarrasser la méditerranée des pirates barbaresques, il fait la guerre, la gagne, et libère des milliers de prisonniers détenus dans les geôles d’Algérie.

Encore aujourd’hui, lorsque les pays du monde entier se battent pour la possession des pôles en vue de l’extraction des minerais, de l’exploitation des gisements d’hydrocarbure ou pour le droit à un espace maritime, il y a, en deçà des congrès nationaux où ces questions sont débattues, un fait de force. Quel est l’État le plus fort qui dictera sa loi ou qui fera admettre ses revendications ? Car la force aura le dernier mot, comme l’illustre Louis XIV faisant inscrire sur ses canons : ultima ratio regum (« l’ultime argument des rois ») (...) Néanmoins il faut distinguer dans cette force deux ordres : la FORCE ARMÉE et la force de la DIPLOMATIE.

L’ARMÉE ET LA DIPLOMATIE

On n’a pas attendu Lénine pour savoir que la paix n’est qu’une étape dans une guerre continuelle (...). Bossuet nous en prévenait déjà : « Un roi doit demeurer le plus fort, toujours armé, (...) et toujours vigilant », car c’est ainsi que « les États demeurent forts au-dehors contre l’ennemi, et au dedans contre les méchants et les rebelles », et que « la paix publique est assurée. »

La force ne doit donc pas être condamnée comme une chose immorale ; elle est la raison même de l’organisation politique. Un pouvoir défend son droit déclaré par la force : par la force non violente s’il le peut. Il tentera alors de faire admettre aux autres, sous menace d’intervention violente, ses revendications ; ou encore, il calculera qu’il vaut mieux s’entendre et se partager les biens matériels à l’amiable plutôt que de faire la guerre pour se les arracher. C’est ainsi que la diplomatie cherche des accords “ justes ” (qui en fait sont des accords équilibrés) qui permettront à des nations de vivre en coexistence pacifique.

Mais si la diplomatie échoue dans ces négociations, ou si le chef de l’État trouve insuffisants les résultats obtenus par les diplomates et qu’il veut en arriver à l’irrecevable par la nation adverse, ce sera la guerre ; et la guerre donne raison au plus fort (...).

Bossuet a de très sages remarques sur la répression qui, dans le cas particulier d’une guerre civile, doit : ménager premièrement ses adversaires qui sont encore des citoyens, puis épargner la capitale, toujours viser ensuite (même dans les moments de plus grande violence) à une réconciliation de la communauté nationale, et enfin se terminer par la clémence (...).

LA JUSTICE, LA MAGISTRATURE ET LA POLICE

De la même manière que nous avons vu le pouvoir politique constituer le royaume (à savoir : son territoire, sa citoyenneté ainsi que sa défense nationale), reste à voir comment il va assurer la paix de l’ordre à l’intérieur, par la justice (...). La justice d’un pays se fait sous la gouverne du pouvoir politique, parce que d’une part c’est lui qui a la force, et que d’autre part les hommes sont des loups les uns pour les autres (...). « C’est une sorte de combat que de rendre la justice », remarque Bossuet (...).

Or, dans un pays, la justice est fondée sur le droit de vie et de mort. Ce qui fait le poids de l’autorité d’un magistrat, c’est qu’il peut décider de la vie ou de la mort de l’individu. Celui qui tue un innocent ou un représentant de l’ordre doit savoir qu’il encourt la peine de mort (...). En supprimant la peine de mort, M. Badinter a porté en France un coup mortel (c’est bien le cas de le dire !) à la justice et aux innocents (...). Car ne nous y trompons pas : la magistrature ne sera puissante que dans la mesure où elle sera épaulée par un État fort, et secondée par une Police qui va contraindre les récalcitrants à suivre les décisions qu’elle a prises ; sans quoi les juges ne sont rien (...). Le roi rappellera donc que la magistrature est chargée de rendre la justice en son nom à lui ! Aussi veillera-t-il à ce qu’elle soit indépendante. Non pas de son autorité, mais indépendante des intérêts privés ou des groupes de pression (...).

L’institution de la POLICE est en effet la quatrième sous-division de cette fonction proprement politique (...). La police préventive empêche le crime, et ses membres (les gardiens de la paix) rendent les relations entre les citoyens, civilisées, policées, au lieu d’être des relations de violence. La police punitive sanctionne, poursuit et arrête le criminel, le met en prison et le traîne à son jugement pour faire exécuter la sentence, de telle manière que les criminels ne puissent pas se révolter contre la société. C’est une lutte impitoyable contre le banditisme, les grandes maffias en cols blancs (que sont certains banquiers et industriels, etc.), les réseaux... Ces derniers se croient au-dessus des lois parce qu’ils subventionnent les juges, la police, les media, payent les élus, opèrent hors frontières (ou les passent sans contrôle !), quand ils n’ont pas des tueurs à leurs gages assurés au pire de finir en prison ! Telle est la grande lèpre de nos sociétés démocratiques, où les luttes d’influence et la conquête d’un mandat électoral dépendent en fin de compte de l’argent.

LE POUVOIR POLITIQUE SACRÉ EN CHRÉTIENTÉ

Qu’est-ce que l’appartenance du Pouvoir à l’ordre chrétien, catholique, ajoutera après cela à des définitions si complètes de ces fonctions politiques ? Cette Force souveraine de l’État étant déjà proclamée et reconnue de DROIT DIVIN, elle applique donc la morale naturelle ou le Décalogue... qu’est-ce qu’y ajoute la spécificité de la vraie religion ?

Ce qui est absolument caractéristique et qu’on ne dit presque jamais, c’est que notre christianisme authentique (qu’on appelle le catholicisme) n’est pas une idéologie, ni un dogme sur Dieu Trinité, ni un culte rendu à un Dieu trinitaire (et non plus seulement unique, comme chez les juifs ou les musulmans) ni non plus une morale (comme celle du Décalogue, ou même celle de l’Évangile). Car si l’empereur devient chrétien, il aura certes le sens de la perfection évangélique, je veux bien... mais cela ne changera rien aux fonctions politiques que nous venons d’étudier ! Alors ?

Ce qui caractérise le catholicisme, c’est l’INCARNATION : Dieu le Fils, la deuxième personne de la Trinité, s’est fait homme. Il a fondé une société qui s’appelle l’Église et qui est le royaume de Dieu, en lui donnant l’ordre de conquérir le monde entier à l’Évangile, afin que ce monde vive selon la grâce du Christ et dans la pratique de ses commandements. Le fruit de cette lente incorporation de toutes choses dans le Christ, l’ultime déploiement de l’incarnation du Verbe, c’est la “ Chrétienté  (...). La Chrétienté n’est rien d’autre que le groupe social et politique, la nation spirituelle rassemblant tous ceux qui ont été baptisés dans le Christ, qui vivent selon sa loi, reçoivent sa grâce et ont pour but de conquérir le monde. Ah ! Voilà donc un but qui va se superposer au but national proprement dit (...).

En passant ainsi d’une idée de Dieu et de la religion, d’un droit abstrait et universel, à la Chrétienté ayant un droit historique, existentiel et progressiste, de fondement divin, le Royaume de Dieu à annoncer, instituer, conserver, étendre passe dès lors avant même et au-dessus de la Nation. C’est le « Tout instaurer dans le Christ » de saint Pie X, ou le « Dieu premier servi » de sainte Jeanne d’Arc. Il y a donc composition et superposition de la Chrétienté (corps mystique du Christ), avec la Patrie, Nation ou Cité (corps temporel du Roi Très-Chrétien). Et ce corps temporel ne pourra perdurer que par le service et le secours de la Chrétienté, dont la loi, la fin et les moyens sont célestes. Ce qui implique une nouvelle conception de la politique internationale.

LE SERVICE DE LA CHRÉTIENTÉ

Pour être concret, un Roi tel que Louis XIV avait, selon sa fonction monarchique naturelle, pour pouvoir et pour devoir de faire régner la paix française par la victoire sur ses ennemis et par la diplomatie, comme de faire régner l’ordre intérieur et la paix parmi les Français, par justice et police.

Mais en plus, Louis XIV était le Roi Très-Chrétien : il était donc lieutenant du Christ pour cette portion de territoire et d’humanité qui lui était confiée, et il avait à se préoccuper de l’avancement du Royaume de Dieu, à l’intérieur et à l’extérieur. Donc sa guerre n’aurait jamais dû être une guerre purement nationale, mais être toujours conciliée ou conciliable avec la guerre sainte qu’on appelle la croisade, c’est-à-dire l’extension du Royaume du Christ à toute la terre. De la même manière, sa justice intérieure, son souci de l’ordre, ne pouvait pas être un souci d’un ordre purement naturel limité aux horizons du monde présent, puisque les citoyens catholiques et les autres devaient s’acheminer vers leur vie éternelle. Un Roi très Chrétien doit se soucier du salut de l’âme de ses sujets.

Voilà qui transforme la politique, car cela double la mécanique naturelle propre aux ministères de la Guerre, des Affaires étrangères, de la Justice et de l’Intérieur, d’une préoccupation surnaturelle, d’une sagesse surnaturelle (...).

LA CROISADE

Elle suppose l’union des Princes catholiques pour la défense de la Chrétienté contre les Turcs ou les hérétiques et schismatiques protestants (...). Cette “ politique de Dieu ” fut celle préconisée par tous les saints. Ils n’hésitèrent pas à s’opposer par exemple à François Ier ou plus tard au cardinal Richelieu, qui tous deux prirent pour allié de revers : le premier les Turcs, le second les princes allemands protestants (...).

Saint Vincent de Paul, Bérulle et les autres raisonnaient surnaturellement : “ On n’a pas le droit de subventionner les protestants d’Allemagne et les Turcs qui mènent l’assaut contre l’Europe chrétienne : c’est porter un coup terrible au Royaume de Dieu, le diviser. Le Roi Très-Chrétien ne peut pas faire cela sans être privé des bénédictions divines, mettant ainsi en péril la prospérité et la pérennité de son royaume (son corps temporel) ! ” (...)

– La croisade, la préoccupation surnaturelle d’étendre le royaume de Dieu, interdisait par conséquent l’utilisation de certains programmes de guerre (comme le terrorisme), parce que cela diminuerait la puissance morale et l’unité de la Chrétienté.

– Dans la diplomatie, il en va de la même manière ! Ce n’est pas seulement un sacrifice qui est demandé à chaque nation (...). Un Roi Très-Chrétien qui met en premier lieu la confiance et l’entraide (la coalition entre princes également catholiques) s’oriente vers un succès politique : par grâce de Dieu, mais aussi tout simplement par sagesse, bien supérieure à celle de ceux qui vont toujours chercher des alliés de revers et des “ ennemis de nos ennemis ” sans prendre garde aucunement ni à l’amour du Christ ni au dessein de Dieu dans le monde. Sinon, comment faire confiance à la main tendue d’un chef d’état qui n’est même pas capable de s’entendre avec ceux qu’il appelle ses “ frères ” (cf. 1 Cor. 6, 7) ? Saint Louis a été en ce domaine le modèle du Roi Très-Chrétien...

LA JUSTICE EN CHRÉTIENTÉ

La justice à l’intérieur d’un pays catholique ne correspondra pas exactement à la définition d’une justice purement et simplement naturelle, et au fond païenne (...). La religion catholique animant le Roi dans son gouvernement même, il travaille à sa conservation, à sa défense, et s’il ne l’impose pas à ses sujets, il la favorise de toute manière, car il y va de son salut et de celui de ses sujets...

Bras séculier de l’Église, le Roi Très-Chrétien en assure la puissance, il en défend la liberté, il en impose le respect et en hâte le triomphe (...). Face à la révolte des Cathares et des Vaudois, puis des protestants (tout à la fois hérétiques sur le plan religieux et séditieux sur le plan politique), il était du devoir du Roi Très-Chrétien d’employer la force pour soutenir la vraie foi, exterminer l’hérésie et être le bras temporel de l’inquisition ecclésiastique. C’était son devoir, parce que dans un pays de Chrétienté, il est impossible de laisser la liberté d’opinion dans l’ordre religieux sans en payer les conséquences par la sédition perpétuelle ou le terrorisme des hérétiques minoritaires (...). Cette promotion et défense de l’Église catholique n’a pas empêché cependant de pratiquer la tolérance vis-à-vis des minorités, ni de les protéger le cas échéant.

Au total, l’idéal de notre ordre chrétien catholique et de notre pouvoir sacral est dans la reconnaissance de l’autorité souveraine de l’Église dans la guerre, la diplomatie, la justice et la police non seulement “ sub ratione peccati ” (en raison du péché), mais aussi “ sub ratione perfecti servitii Christi et animarum ”, (en raison du “ perfectionnement ” des serviteurs du Christ et pour le salut de leur âme). (...)

L’étude de cette fonction proprement politique du pouvoir, fondée sur la force (mais une force mesurée et sage), nous donne une considération presque illimitée de la noblesse du pouvoir royal. Celui-ci doit être tenu dans des mains dignes et fermes, et en même temps sages et chrétiennes, pour le bien du pays dont ce roi aura la charge, et pour le bien de toute la Chrétienté dont il défendra aussi les intérêts.

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du 25 avril 1984

En audio/vidéo :
  • P 7 : Le Roi, chef de guerre et justicier, mutualité 1984, 1 h (aud.)

Références complémentaires :

  • Les 150 points de la phalange,
    • Les 50 points de la Phalange sur la politique : Royale
    • (aud/vid : PC 41 : Les 150 points, commentaire littéral, 15 h)
Pour une série d'éditoriaux laçant et résolvant la question de la légitimité dans notre projet de restauration monarchique :
  • Dans le tome 10 de La Contre-réforme Catholique au XXe siècle :
    • La légitimité retrouvée, CRC n° 127, mars 1978, p. 1-2
    • Un roi pourquoi faire ?, CRC n° 128, mai 1978, p. 1-2
    • Un roi, mais un roi pour de vrai !, CRC n° 130, juin 1978, p. 1-2
    • Un roi démocrate, CRC n° 131, juillet 1978, p. 1-2
    • Quel est votre roi ?, CRC n° 132, août 1978, p. 1-2
En audio/vidéo :
  • L 61 : La religion royale, Reims, mai 1987, 4 h 30 (aud./vid.)
    • 3e conférence : Le sacre des rois de France, principe de leur valeur