L'Évangile de saint Marc

I. Jésus entre dans son Règne

MISSION DE JEAN-BAPTISTE

« Commencement de l’Évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu. »

Qu’est-ce qui est le commencement de l’Évangile de Jésus Christ, fils de Dieu ? Selon mon hypothèse, l’Évangile de saint Marc est la première partie d’un diptyque, tout orientée vers la mort du Christ. […] La suite, il ne l’a jamais écrite pour la bonne raison qu’au même moment, saint Luc la produisait, ce sont les Actes des Apôtres.

« Commencement de l’Évangile. »

L’Évangile, avant d’être le livre lui-même qui raconte la vie de Notre-Seigneur, c’est l’annonce de la Bonne Nouvelle de ce royaume qui commence et qui va apporter au monde une vie, un bonheur nouveaux. Quel est celui qui vient et qui fonde un règne nouveau ? Pour saint Marc, c’est Jésus Christ ; le Christ c’est le roi, tout simplement, ce mot qui vient d’un mot grec, Christos, traduisant le Messiah, le Messie hébreu qui veut dire oint, de l’huile sainte du sacre. C’est Jésus-Christ qui est le roi. […] Cet homme est Fils de Dieu, a la royauté, les insignes de la royauté et c’est à lui qu’il faut donner sa foi, son hommage, son allégeance si l’on veut être sauvé.

Nous entrons maintenant dans les préliminaires de cet Évangile. […]

« Selon qu’il est écrit dans Isaïe le prophète. Voix de celui qui crie dans le désert. Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. »

Il est annoncé au peuple juif que le Seigneur, c’est-à-dire Dieu, viendra établir son règne sur la terre et il se fera annoncer au peuple afin que le peuple juif s’y dispose. Et un homme fera cet oracle : « Préparez le chemin du Seigneur. »

Jean le Baptiste« Jean le Baptiste» est l’homme dont il est question dans ce texte. Il se présente à nous comme un prophète de l’Ancien Testament semblable à tous ceux qui l’ont précédé.

« … fut dans le désert proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés. »

Jean est surnommé le Baptiste précisément à cause de son acte central. Il baptisait, il immergeait les gens dans le Jourdain. Jean le Baptiste n’annonce pas un règne politique d’un messie, mais il annonce un règne spirituel auquel il faut se préparer par une purification de l’âme. Ce baptême consistait à se repentir de ses fautes, pour la rémission des péchés, pour être pardonné de ses péchés, chose que seul Dieu peut faire et que, dans tout l’Ancien Testament, les âmes des meilleurs ont désirée.

« Et ils s’en allaient vers lui, tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem, et ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en confessant leurs péchés. » […]

Ici, contrairement au baptême des prosélytes, c’étaient les juifs qui étaient invités à se faire baptiser. Si l’on peut dire, la purification était inversée : ce n’était pas pour être agrégé au peuple, c’étaient les juifs qui devaient l’être pour être agrégés au peuple saint, par la préparation à la rémission des péchés. Ce n’étaient pas tous qui y allaient, mais que le bon peuple, aspirant à une rémission des péchés qui ne lui avait jamais été donnée dans l’Ancien Testament, s’y précipitait en confessant ses péchés. C’est l’ancêtre de notre confession.

« Jean était vêtu d’une peau de chameau et mangeait des sauterelles et du miel sauvage. […]

Et il proclamait : “Vient derrière moi…” »

C’est-à-dire me suit de près, il est là, il vient, il est tout de suite là.

« “…celui qui est plus fort que moi…” »

Notre-Seigneur est un athlète, un homme fort qui vient pour lutter contre la puissance des ténèbres, contre le péché qui hante le monde et qui domine la société juive de l’époque en particulier.

« … dont je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la courroie de ses sandales. »

C’est dire à quel point Jean-Baptiste annonce quelqu’un de très supérieur à lui.

Isaïe avait dit que Dieu viendrait sur la terre, et que quelqu’un l’annoncerait. Ce quelqu’un, c’est un juif, Jean, le Baptiseur, celui qui donnait un baptême, et voilà ces Romains qui apprennent qu’il faut commencer par le baptême de Jean, qu’il faut commencer par confesser ses péchés, s’en repentir afin d’être disposé à entrer dans ce royaume en obtenant la rémission des péchés. Mais ce royaume va être le royaume de Dieu sur la terre. Et Jean Baptiste annonce que celui qui l’instaurera sera un homme semblable à lui, mais un homme beaucoup plus haut que lui.

« Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau, mais lui vous baptisera avec l’Esprit saint. »

Jean Baptiste établit une différence entre cette immersion dans l’eau du Jourdain, qui n’est, je ne dis pas un simulacre, mais que l’ombre de ce qui va venir, le rite très imparfait qui annonce un autre rite qui, lui, sera pénétrant, qui sera une purification spirituelle. L’Esprit Saint est l’Esprit de Dieu qui s’empare des hommes prédestinés. […]

BAPTÊME DE JÉSUS

« Et il advint qu’en ces jours-là, Jésus vint de Nazareth de Galilée, »

Voilà comment Jésus est annoncé. Jean Baptiste annonçait au peuple de Judée ce royaume de Dieu à venir. Et cependant, Jésus vient de Galilée, du nord-ouest de la Galilée, de Nazareth, au bourg mal considéré.

Baptême de Jésus« Et il fut baptisé dans le Jourdain par Jean. »

Il se soumet à ce rite comme un autre juif, il n’est pas en opposition avec son peuple, il sort du sein de son peuple et il va là où son peuple doit aller.

« Et aussitôt, remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit comme une colombe descendre vers lui, et une voix vint des cieux : “Tu es mon Fils Bien-Aimé, tu as toute ma faveur.” » […]

Cette expression des « cieux qui se déchirent » se retrouve une seule fois dans la Bible, dans le chapitre 63 d’Isaïe. Ce « Ah ! Si vous déchiriez les cieux et si vous descendiez » se trouve réalisé à la lettre et évidemment l’Apôtre en a très conscience lorsqu’il raconte ce fait. C’est la réalisation de ce que le prophète demandait avec tant d’instance, c’est Dieu qui descend sur la terre.

Aussi il est très notable que ce vol de l’Esprit qui plane sur la tête de l’homme élu, et puis cette voix de Dieu assurant à cet homme qu’il est le Bien-Aimé, le choisi de Dieu en qui Dieu s’est complu est le souvenir littéral de la prophétie du poème du serviteur souffrant.

Ce rapprochement littéral est extrêmement important dès le début, c’est comme le sacre de Jésus, la reconnaissance officielle de sa majesté, l’ouverture de son royaume, et dans ce moment très solennel, ce sont les paroles mêmes de l’oracle d’Isaïe qui sont reprises. Jésus est donc celui dont il a été dit des siècles auparavant qu’on attendait cet homme qui était le bien-aimé de Dieu et qui allait recevoir toutes ses faveurs.

C’est une théophanie, elle est déjà trinitaire, la voix qui parle du ciel, c’est le Père, cet Esprit qui est là et qui repose sur Jésus, c’est celui qui sera l’Esprit Saint ! Jésus est le Fils. La parole : « Tu es mon Fils bien-aimé » est l’annonce que Jésus est ce fameux serviteur de Yahweh dont parlait Isaïe, qui devait courir tout une carrière que l’Évangile maintenant va vous raconter. […]

Ce qui est indiqué là est sa personnalité profonde, son mystère est révélé.

TENTATION DE JÉSUS

« Et aussitôt, l’Esprit le pousse au désert. » […]

Jésus en sortant du baptême est l’objet de cette épiphanie : c’est la proclamation très évidente de son rôle messianique et divin, et de tout le mystère de sa vie pour celui qui connaît bien les oracles d’Isaïe. Eh bien, au lendemain de cet événement, de cette parousie, de cette manifestation, l’Esprit qui vient de planer sur lui et qui vient de s’emparer de lui et de le mener à l’action, le pousse au désert !

Le désert est le souvenir des temps où le peuple d’Israël conquérait sa liberté, où le thème du désert comme milieu de purification mais aussi d’épreuve était un des points essentiels de l’Ancien Testament. Or Jésus va faire l’épreuve du désert. Le voici maintenant manifestement le Messie que le peuple saint attend. Tel Moïse à la tête de son peuple, il a traversé le Jourdain, il en est sorti vainqueur, et son peuple doit le traverser à sa suite. Et puis il s’enfonce dans le désert, il va traverser le désert et pendant cette traversée, il va se manifester supérieur à Moïse qui était le grand législateur et le fondateur du peuple saint, il va le dépasser.

Tentations au désert« Et il était dans le désert durant quarante jours, tenté par Satan. »

Le « tenté par Satan » indique un combat, c’est une agonie déjà, c’est sa première agonie, c’est son premier combat avec Satan. […] Le peuple de Dieu, pendant quarante ans dans le désert, a subi les tentations de Satan et malheureusement y a cédé continuellement. Vous vous rappelez comment les psaumes nous remettent en mémoire toute cette lamentable odyssée de ce peuple de Dieu dans le désert. Finalement, les psaumes nous donnent la clé de l’aventure : Dieu est un cœur miséricordieux, il sait ce qu’il y a dans l’homme et malgré toutes ses injures, il n’abandonnera pas son peuple mais il viendra pour le sauver, lui donner un nouveau règne. Eh bien , Jésus est là mais il ne cède pas à la tentation.

« Et il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. » […]

Ce sont quarante jours d’épreuves par lesquelles le Christ veut affirmer sa domination sur les choses de la nature, les bêtes sauvages, sur les démons révoltés contre lui et contre son règne qu’il rencontrera bientôt. Aussi il est servi par les anges parce qu’il vient de Dieu, il est Fils de Dieu auquel les anges obéissent. Voilà une présentation tout à fait remarquable dans sa brièveté de ce que Jésus est et de ce qu’il a préparé. Le voilà bien parti pour commencer son règne. […]

Il faut pour nous, dès maintenant, nous mettre dans la disposition de nous repentir de nos péchés, de faire place nette dans notre âme sous peine de ne pas entrer dans l’Évangile par la bonne porte. Et l’Évangile, si nous l’entendons mal à cause d’une mauvaise disposition de notre âme, cet Évangile sera un poison pour nous alors qu’il est un salut pour ceux qui se repentent de leurs péchés, qui les confessent en toute sincérité et qui ainsi se trouvent magnifiquement disposés à entrer par la grande et belle voie de la vérité dans la foi au Christ et à son royaume.

Abbé Georges de Nantes
S 90 : L'Évangile selon saint Marc, retraite automne 1986