Bien sais-je la source

et conclusion générale

CETTE source, c’est Dieu. Tout dérive de Dieu, c’est le mystère, l’unique objet de la contemplation. Ce poème, composé dans le cachot de Tolède (1577-1578), pose une énigme dont la solution nous est dévoilée dans les deux dernières strophes.

Bien sais-je la source qui jaillit et fuit,
Malgré la nuit !

Cette source éternelle bien est celée,
Et pourtant sa demeure, je l’ai trouvée,
Malgré la nuit !

En l’obscure nuit de cet exil mauvais
La source fraîche, par la Foi, bien la sais,
Malgré la nuit !

C’est vraiment le chant de l’âme qui s’approche de Dieu. Cette source, notre saint nous dit la connaître, mais dans la Foi qui est un contact, une intuition, une appréhension... nocturne. « Aunque es de noche. »

Ne sais son origine, car n’en a mie,
Mais que toute origine d’elle est jaillie,
Malgré la nuit !

Bien sais que ne peut être chose si belle
Et que ciel et terre s’abreuvent en elle,
Malgré la nuit !

Bien sais que de fond jamais on n’y trouva
Et que nul à gué, oncques ne la passa,
Malgré la nuit !

Que nul voile à sa clarté ne fut connu
Et que toute lumière d’elle est venue,
Malgré la nuit !

Bien sais que si riches roulent ses courants,
Qu’enfers, ciels et mondes ils vont arrosants,
Malgré la nuit !

Une définition du Père est d’être « sans origine », Il est aussi « Beauté infinie » et notre saint chante la Beauté de Dieu en des termes incomparables dans le Cantique Spirituel. Elle est nourriture et breuvage pour les saintes âmes, car la vie mystique est de s’enivrer de la Beauté de Dieu dans une ivresse obscure, secrète... C’est de nuit ! Beauté inaccessible, toujours au-delà des prises du contemplatif et cependant, saint Jean de la Croix prétend qu’il en connait le chemin.

Dieu est aussi lumière irradiante comme un soleil. Il est vie d’où procèdent des milliers de torrents divins irriguant tous les peuples, toutes les contrées, toute la Création.

Et le courant de cette source naissant,
Bien sais qu’il est aussi riche et tout-puissant,
Malgré la nuit !

C’est une vision dynamique de l’engendrement du Fils. Né de cette source, Il lui est égal en puissance. Le Fils sort du sein du Père comme égal à Lui dans un jaillissement perpétuel. L’image des sources a été voulue par Dieu pour nous manifester quelque connaissance de ce mystère.

Et le torrent qui des deux autres procède,
Bien sais que nul des autres ne le précède,
Malgré la nuit !

Le Père et le Fils semblent se précipiter dans le Saint-Esprit, comme un empressement des deux à spirer la Troisième Personne, de telle sorte qu’Ils sont bien Trinité. Saint Jean de la Croix le voit, mais il le balbutie pour nous.

Bien sais que les Trois en une seule eau vive
Résident, et que l’un de l’autre dérive,
Malgré la nuit !

Notre saint voit la Sainte Trinité comme une circumincession active : chaque Personne engendrant ou spirant l’Autre... Cette Foi est un commencement de lumière, de connaissance et donc, un commencement de jouissance. Tous ces trésors, il les a entrevus dans la Foi. Mais où est donc cachée cette source ? C’est la nouveauté absolue des trois dernières strophes :

Cette source éternelle bien est blottie
Au pain vivant afin de nous donner vie
Malgré la nuit !

Elle est là criant vers toute créature
Qui de cette eau s’abreuve, mais à l’obscur
Car c’est de nuit

Cette source vive à qui tant me convie
Mon désir, je la vois en ce pain de vie
Malgré la nuit !

Saint Jean de la Croix découvre Dieu dans l’Eucharistie. Il s’est opéré là un immense resserrement : c’est dans l’Hostie qu’il voit cette source d’Eau Vive et nous voyons tout le Credo comme un grand fleuve de Vie, de Dieu le Père au Pain Eucharistique.

Cette source cachée est présente dans ce Pain Vivant pour nous donner la Vie. Qui voit l’Eucharistie voit le Corps du Christ qui est dans le Père. C’est bien Dieu qui nous touche, nous emplit, nous abreuve. De l’Eucharistie, on remonte à la Source « ex tactu » par ce seul toucher divin.

C’est l’appel à l’amour qui jaillit du Tabernacle, ce cri de l’Eucharistie comme la Sagesse de l’Ancien Testament appelle les foules ; hélas ! « L’Amour n’est pas aimé », nous dit le Pastoureau. Mais le mystique, lui, devant l’Eucharistie est comme au Ciel, même si c’est dans l’obscurité de la Foi. Il touche réellement l’objet de son désir, mais il ne le verra que dans le Ciel, et dans ce martyre d’amour, il meurt de ne pas mourir.

CONCLUSION GÉNÉRALE

-I- Le but de notre oraison, c’est la contemplation de Dieu présent dans son Eucharistie où nous avons le choc amoureux de JE SUIS L’AMOUR. L’âme en reçoit une saveur infinie ; elle se nourrit, s’abreuve jusqu’à l’ivresse de cette Beauté, de ce mouvement resplendissant d’Être et de Vie.

-II- Cette contemplation nous est promise comme une illumination savoureuse dans la foi catholique, dans l’Église, au pied du Tabernacle et dans l’Eucharistie. En Dieu est ma béatitude, Dieu est l’unique objet de ma Foi, source de tout, je le vois déjà dans la foi. Il existe trois étapes dans cette adhésion à Dieu :

De la Foi commune à la vision.

Il y faut un progrès actif, on entre dans ce chemin par la méditation (les lectures, la liturgie, l’exemple des saints) en cherchant en tout la Beauté de Dieu. On entre en connaturalité, en résonnance avec la Beauté divine. Ce sont les premières joies de la vision de la Beauté de Dieu dans l’Eucharistie où l’âme trouve, avec effort, le Divin à travers les figures. Ce sont les « stalagmites ».

Vue de la Foi.

C’est le vide qui sépare le stalagmite du stalactite. Méditant sur ces choses saintes, je les regarde, mais, grâce à la Foi, je bondis au-delà, repoussant même l’image et j’adore, la main sur la bouche. Je largue les émotions naturelles : Mon Dieu n’est pas ainsi, Il est au-delà, et je dis : Jésus Crucifié. Des mots qui ne permettent plus d’imaginations. C’est la pure joie de la Foi. Contemplation infuse qui est comme une extase.

Stalactites...

Cette contemplation infuse et savoureuse donne une impression : l’intelligence est touchée, le cœur est blessé. L’âme a conscience de ce qu’elle touche, de ce dont Dieu lui donne l’expérience. C’est une impression béatifiante de Dieu qui m’unit à Lui immédiatement. Dieu s’adapte à notre contemplation et nous donne d’expérimenter la vérité, le bien, la beauté, le divin de telle parole. Retrouvant le langage pour exprimer cette expérience, l’âme retrouve toutes les choses, tous les êtres aimés dans ce toucher de Dieu. Et l’âme parvenue à la Source redescend pour le culte Eucharistique, d’où elle était partie.

Plus rien ne subsiste des objections du début. L’enseignement de ces poèmes est simple : le monde entier n’existe qu’en Dieu seul. C’est pourquoi il faut remonter à la Source unique. Là, Dieu nous attend pour nous diviniser, nous donner son propre Être en partage, si nous nous laissons emporter dans le sein de sa Sagesse et de son Amour.

« Oh ! Combien sera douce à mon cœur votre Présence, ô Vous qui êtes le Souverain Bien ! Je dois m’approcher de Vous dans le silence, je dois Vous découvrir les pieds afin que Vous daignez m’unir à Vous dans les liens du Mariage spirituel. Je ne goûterai de joie que lorsque je me réjouirai dans vos bras... » (Élévation vers Dieu)

Abbé Georges de Nantes
S 73 : Les poèmes mystiques de saint Jean de la Croix,
retraite automne 1984, 18 h (aud)