La victoire de la Croix
QUE chante l’Église, que répète à l’infini dans une ivresse de joie sacrée la liturgie de ce temps de Pâques, sinon la victoire définitive qu’a remportée son Époux sur l’Ennemi séculaire ? Oui, victoire de la Croix où, perfide avec le Perfide, Jésus a contraint Satan à lâcher prise et sous des apparences de faiblesse a prévalu contre lui. De la mort est sortie la vie, tandis que mourait sur le bois, non pas en vérité, l’immortel Dieu fait homme, mais l’antique serpent crucifié. Lumière qui repousse les ténèbres, vie féconde qui renaît des abîmes de la mort, Jésus, nous vous chantons, parce que vous avez racheté le monde par votre Sainte Croix.
Donc, si les mots ont un sens, si nos chants expriment notre foi, donc le salut de l’humanité lui est advenu il y a près de vingt siècles, elle n’a qu’à toucher le salaire de la mort du Sauveur, elle n’a qu’à tourner vers lui les yeux pour revivre. Quant à nous, chrétiens, après avoir bu aux fontaines du salut, nous avons devant nous la tâche exaltante de répandre jusqu’aux extrémités de la terre les richesses insondables du Cœur de Jésus, les vérités admirables de l’Évangile, la paix de l’Église. La gloire, l’honneur, la louange du Christ Sauveur, c’est l’expansion de son Église, la croissance et la beauté tangible de ce Corps, l’œuvre bienfaisante et le rayonnement de cette Épouse enveloppant joyeusement ses nouveaux enfants.
Notre foi est limpide, elle s’accorde avec les constatations lucides et sereines de l’histoire. Il n’y a rien eu de grand, rien de solide et de bienfaisant dans le monde et à travers les siècles, une fois dissipées les légendes inventées par Satan à sa gloire, que les œuvres et les institutions que les hommes ont créées et continuées dans le sillage de Jésus-Christ et par la force de son amour. Il a vaincu le démon partout où ses Apôtres l’ont porté et il a subjugué les âmes par la séduction inouïe de sa parole, de ses exemples, de son Cœur transpercé. Victoire !
Victoire ! L’amour est plus fort que la haine et il a banni la mort ! La lumière dissipe les ténèbres ! Les hommes sont trop malheureux, qui se damnent eux-mêmes et dès cette vie, pour ne pas accueillir, sinon les fils de perdition ! avec joie et larmes de reconnaissance l’Évangile que leur portent les missionnaires...
Gloire à Jésus-Christ ! Pour lui conquérir le monde, ses Apôtres ont prêché et sont morts martyrs, et l’Église a acquis droit de cité. Tout un monde, toute une civilisation sont nés de l’Église. Ils dispensent à des multitudes la paix et la prospérité terrestre en même temps que l’Église leur donne les biens spirituels et le gage de la vie éternelle.
Mais nous vivons aujourd’hui l’apostasie pratique de l’Église. Le Christ est du côté de la barbarie et les brebis asservies aux faux messies sont proclamées bienheureuses au même titre que les brebis du bercail ! Confusion universelle, inversion des plus claires évidences et des dogmes de notre foi où sombre la Croix du Christ avec la défaite voulue, consentie, recherchée, de son Église ! Tes militants, ô Christ, encouragent tes bourreaux à poursuivre leur œuvre.
Au même moment les pauvres païens, les misérables musulmans, les foules esclaves des pays communistes gémissent dans l’ombre de la mort et s’avancent dans les ténèbres de la peur et de l’horreur. Ô Sainte Croix de Jésus-Christ, ceux mêmes qui sont marqués de ton caractère et célèbrent chaque jour tes Mystères veulent te frustrer de ta victoire et offusquer ta gloire. Ni ils ne te chérissent, ni ils n’aiment les âmes païennes qui soupirent après toi.
Je reviendrai dans ton Église désertée, ô mon Époux, mon Sauveur et mon Roi, je contemplerai sur ta Croix immense ton Humanité sainte déjà transfigurée. Toi seul, ô Christ, tu as vaincu par ta Croix et ta Résurrection glorieuse les forces de Satan et le Monde et tout Mal. Toi seul as dispensé dans tout le Corps de ton Église une vie sainte et heureuse, noble et pacifique, source inépuisable où les nations altérées sont venues boire. Ton règne ne finira jamais. Loin de toi encore des masses d’hommes traînent une vie de douleur, sous le sceptre des fils de Satan, et marchent à l’enfer.
J’irai porter ton Nom devant les tyrans et les peuples. J’irai proclamer ta gloire comme les martyrs. J’irai exalter la foi de tes missionnaires et soutenir le courage de tes soldats. J’exigerai des Princes de l’Église qu’ils chassent de son sein les mauvais bergers qui pillent et tuent le troupeau désemparé. Ta victoire n’est pas seulement dans le Ciel, en termes vagues, en réalités insaisissables, ta victoire est un combat terrestre où les succès et les revers de tes serviteurs portent les uns et les autres indissociablement leur effet salutaire. Et si je reste seul et si tous se liguent contre moi pour te tuer à jamais en me tuant, mon sang criera encore, suscitant les nouveaux artisans de nouvelles victoires ! Salut, ô Croix, unique espérance de notre monde en folie, salut ! victoire du Dieu fait Homme et de l’Église, son Humanité de surcroît, couronnée avec Lui, en marche vers le triomphe éternel !
Abbé Georges de Nantes
Extraits de la Lettre à mes amis no 108
Le Bon Pasteur, avril 1962.