2 AVRIL 2023
Les sentiments de Jésus au jour des Rameaux
EN ce jour des Rameaux, que pensait Notre-Seigneur Jésus-Christ, à l’intime de son cœur, tandis qu’il était acclamé par les foules de Jérusalem comme le Messie ?
Comme d’habitude, c’est saint Jean qui nous le fait savoir. Lui, le disciple bien-aimé, l’intime, a le mieux compris Jésus, avec sainte Marie-Madeleine, si l’on met tout à fait à part la Vierge Marie qui, elle, ne faisait qu’un cœur, qu’une âme avec lui, depuis toujours et pour toujours.
Saint Jean nous le fait savoir dans des paroles que Jésus a adressées aux Grecs, des païens admiratifs de la religion juive. Ils étaient venus à Jérusalem pour adorer. On les appelait les prosélytes, ils étaient des gens pleins de ferveur, des craignant-Dieu, mais qui n’avaient pas encore fait le pas de suivre Jésus.
Notre-Seigneur livre le fond de sa pensée, d’abord en nous instruisant sur la nécessité de mourir pour entrer dans la vie éternelle. Il faut donner sa vie, si l’on veut porter beaucoup de fruits, et mépriser la vie temporelle si l’on veut gagner la vie éternelle. Là-dessus, Jésus est troublé. Est-ce possible ?
On ne le dit pas dans l’Évangile, sauf de très rares fois, et c’est par compassion pour son prochain, par exemple devant le tombeau de Lazare que Jésus est troublé. Mais là, on le sent gravement atteint, blessé, et on le sentira de nouveau à l’agonie quelques jours plus tard. Il parle devant ces Grecs qui n’y comprennent rien ; les apôtres Philippe et André, n’ont pas l’air d’y comprendre grand-chose non plus. Mais saint Jean, lui, a compris. Il s’est souvenu de ces paroles immortelles.
« Maintenant mon âme est troublée. Et que dire ? Père, sauve-moi de cette heure ! Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure. Père, glorifie ton nom ! »
Du ciel vint alors une voix : “ Je l’ai glorifié et de nouveau je le glorifierai. ”
C’est la voix du Père céleste, celle-là même que l’on entend à deux ou trois reprises dans l’Évangile qui s’exprime, saint Jean le comprend bien. Le Père parle à son Fils, mais pas pour son Fils, c’est ce que Jésus va expliquer à ceux qui l’entourent : « ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, c’est pour vous. » Jésus se donne en spectacle à ses apôtres, à ces gens qui ne comprennent rien. Il se montre désarmé, désorienté et pour que ce ne soit pas un scandale, la voix de Dieu se fait entendre, promettant la victoire à Jésus : « Je l’ai glorifié (mon Nom), je le glorifierai encore. » Je tirerai beaucoup de gloire de mon Fils.
Jésus ajoute : « C’est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors » Alors, pourquoi le Christ est-il désorienté puisqu’il va à la victoire ? « et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » Quelle promesse !
Il signifiait par-là de quelle mort il allait mourir, celle d’un brigand, d’un homme déshonoré, souillé. Pourtant malgré cette mort honteuse, et alors qu’il sera cloué à la Croix, mystérieusement, il attirera tous les hommes, du moins tous les hommes sauvés, prédestinés ; tous ceux qui tourneront leurs regards vers Lui et seront sauvés.
Nous pouvons nous émouvoir à ce spectacle d’épouvantement. Nous pouvons aussi nous l’appliquer avec beaucoup de sévérité et de maturité prenant le compte de la longueur de notre vie et des quelques années qu’il nous reste à vivre.
Nous voyons tous les jours des gens en pleine activité qui, tout à coup, sont atteints par la maladie, ou congédiés comme des vieux. À l’annonce de la maladie mortelle, la plupart du temps, les gens réagissent d’une manière tellement matérielle. Alors que cette perspective de la mort prochaine, inéluctable, est un signe – et les vrais chrétiens l’ont toujours perçue ainsi – que nous sommes faits pour le Ciel. En attendant, il faut bien passer par ce moment d’angoisse pour regarder au-delà de la vie de la terre, et savoir suivre Jésus bravement. Dans une telle épreuve, qui n’a pas connu des moments de désespoir comme le Christ ? Père, sauvez-moi de cette heure ! Mais c’est pour cela que je suis venu jusque-là ! Père, glorifiez votre Nom, que votre volonté soit faite !
C’est là que le chrétien se sent vraiment chrétien, c’est-à-dire disciple du Christ. Si c’est une femme, alors elle s’émeut de compassion pour son mari malade qu’elle aime. Elle va s’empresser auprès de lui, le servir, imitant ainsi sainte Marie-Madeleine lorsque celle-ci répandait par avance ses larmes sur les pieds de Jésus, les oignant de parfum et les essuyant de ses cheveux.
Au cours des Semaines saintes qu’il nous reste à vivre, et de celle-ci, puisque nous y sommes, nous aurons à cœur de nous arrêter sur ce désespoir passager de Jésus, cette désorientation qui nous fait tant pitié chez Jésus. S’il a éprouvé ces sentiments, c’est par compassion pour nous, afin que nous aussi, lorsque nous éprouverons ce désarroi devant les épreuves de la vie, nous arrivions à le surmonter.
Nous ne sommes pas ici-bas pour jouir perpétuellement, nous ne sommes pas ici-bas pour satisfaire toutes nos passions, nos ambitions. Nous ne sommes pas des païens, mais des disciples du Christ. Pendant cette Semaine Sainte, nous participerons à la peine de Jésus : Pauvre Jésus, pauvre Sainte Vierge ! Et cependant, nous accepterons pour eux le calice jusqu’à la lie, mais quand le temps viendra pour nous de renoncer aux choses de la terre, ce sera le moment de nous tourner vers Jésus-Christ, et de prendre à sa suite le chemin du Ciel.
Abbé Georges de Nantes
Extraits du sermon du 31 mars 1996