19 MARS 2023
Jésus guérit l’aveugle-né :
« la lumière du monde » défie les ténèbres
1-5. « En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : “ Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? ” »
La question posée témoigne surtout d’une conscience aiguë du péché, avec un accent de contrition vraie, sincère, profonde, aux antipodes de l’orgueil pharisien :
La réponse de Jésus, inattendue, dépasse tout ce qu’on aurait pu imaginer ! Il sait et révèle ce que nul homme avant lui n’aura pu savoir :
“ Ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est afin que soient manifestées en lui les œuvres de Dieu. ”
Alors, cet aveugle se trouve placé là, sur le passage de Jésus, par une prédestination divine, pour procurer au Fils de Dieu l’occasion de faire un miracle ? À l’appui de son affirmation selon laquelle il est “ la lumière du monde ”, Jésus ajoute :
“ Tant qu’il fait jour, il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé. La nuit vient, où nul ne peut travailler. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. ”
Le “ jour ” est celui de son incarnation, le grand jour de son passage sur la terre. La “ nuit ” qui vient est celle de la trahison et de l’épreuve, où nul ne peut travailler parce que la lumière fait défaut. Cette “ lumière ” n’étant pas celle du soleil, évidemment, ni celle des candélabres à sept ou à huit branches, pas plus que la lumière de la Loi. La Lumière, c’est Lui.
Cela dit, il se met à “ travailler ”... un jour de sabbat !
6. « Il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l’aveugle et lui dit : “Va te laver à la piscine de Siloé”, ce qui veut dire : Envoyé. L’aveugle s’en alla donc, il se lava, et revint en voyant clair. »
Guéri par quoi, par qui ? Par l’eau de la piscine de Siloé ? Par cette boue originelle ? Par la salive de Jésus ? Ou par sa simple parole ? Par tout cela en même temps : chaque élément joue son rôle, comme dans une liturgie hautement symbolique, pour nous faire entrer dans le mystère de Jésus Sauveur.
Et d’abord, il manifeste de nouveau sa divinité, son identité de Verbe créateur par cette salive et cette boue qui rappellent comment Il modela le premier homme (cf. Gn 2, 7), “ créature de boue ” (1QH 1, 21) qu’il est venu guérir de sa cécité.
Ensuite, “ l’Envoyé ” c’est Lui, Jésus ! Il est aussi la “ source d’eau vive ”, unique source de Jérusalem dont la piscine de Siloé était le bassin collecteur à l’intérieur des remparts. Surtout, il prouve qu’il est la “ lumière du monde ” en rendant la vue à cet aveugle : prodige inouï, tellement incroyable que personne ne veut le croire.
8. « Les voisins et ceux qui étaient habitués à le voir auparavant – car c’était un mendiant – dirent alors : “N’est-ce pas celui qui se tenait assis à mendier ?” Les uns disaient : “ C’est lui ! ” D’autres disaient : “ Non, mais il lui ressemble ! ” Lui disait : “ C’est moi ! ” »
La scène est prise sur le vif. Et le témoignage du miraculé, irrécusable. Dans son empressement à obéir ponctuellement en courant se laver à la piscine, il a laissé partir Jésus, comme le paralytique de Béthesda, et ne sait dire où il est allé.
On le conduit aux pharisiens. Ceux-ci s’arrogent l’autorité d’un bureau des constatations. L’homme raconte de nouveau son histoire. C’est clair, prononcent “ certains des pharisiens ” : “ Il ne vient pas de Dieu, cet homme-là, puisqu’il n’observe pas le sabbat. ” En effet, “ c’était sabbat, le jour où Jésus avait fait de la boue, et lui avait ouvert les yeux ” : travail défendu le jour du sabbat ! Jésus le ferait-il exprès ? Assurément, oui.
« D’autres disaient : “ Comment un homme pécheur peut-il faire de tels signes ? ” » Ceux-là commencent à penser que Jésus pourrait enfreindre la loi de Moïse sans pécher, s’il est vraiment quelqu’un d’important, et plus encore qu’un prophète, voire l’ “ Envoyé ” de Dieu !
Dans cette contradiction, cette scission qui les oppose, ils se tournent vers “ l’aveugle ” : “ Toi, que dis-tu de lui, de ce qu’il t’a ouvert les yeux ? ” Il dit : “ C’est un prophète ! ” Constatation de foi minimale, humaine, de simple bon sens : un homme qui fait un tel miracle est un “ prophète ”, c’est-à-dire un homme de Dieu, cela est évident.
18. Le moyen d’échapper à une conclusion aussi contraignante ? C’est de nier le fait : “Les juifs ne crurent pas qu’il eût été aveugle tant qu’ils n’eurent pas appelé les parents de celui qui avait recouvré la vue.”
Ayant convoqué les parents, ils leur demandèrent : “ Celui-ci est-il votre fils dont vous dites qu’il est né aveugle ? Comment donc y voit-il à présent ? ” « Ses parents répondirent : “ Nous savons que c’est notre fils et qu’il est né aveugle. Mais comment il y voit à présent, nous ne le savons pas ; ou bien qui lui a ouvert les yeux, nous, nous ne le savons pas. Interrogez-le, il a l’âge ; lui-même s’expliquera sur son propre compte. ” Ses parents dirent cela parce qu’ils avaient peur des juifs ; car déjà les juifs étaient convenus que, si quelqu’un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait exclu de la synagogue. » C’est d’ailleurs ce qui va advenir à “ l’aveugle ”.
24. Ils adjurent le miraculé de dire la vérité par la formule consacrée : “Rends gloire à Dieu !” Mais ils lui dictent la déposition qu’ils attendent de lui : “ Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. ” C’est un mensonge contre Jésus que personne, jusqu’alors, ni depuis ! n’a convaincu de péché.
La réponse de l’homme est imparable : “ Si c’est un pécheur, je ne sais pas ; je ne sais qu’une chose : j’étais aveugle et à présent je vois ! ” Réponse courageuse, pleine de finesse et d’ironie, qui plonge la hiérarchie dans l’embarras :
« Ils lui dirent alors : “ Que t’a-t-il fait ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? ” Il leur répondit : “ Je vous l’ai déjà dit et vous ne m’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous l’entendre à nouveau ? ” » Puisque vous écoutez sans entendre, à quoi bon ? “ Est-ce que vous aussi, vous voudriez devenir ses disciples ? ” L’insolent !
Ils croient l’insulter en lui renvoyant l’ironie : “ C’est toi qui es son disciple. ” Ce n’est pas exact, mais il va faire le pas tout à l’heure, et leur sectarisme l’y provoque pour se débarrasser d’un témoin trop coriace : “ Nous, c’est de Moïse que nous sommes disciples. Nous savons, nous, que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. ” L’homme leur répondit : “ C’est bien là l’étonnant : que vous ne sachiez pas d’où il est, et qu’il m’ait ouvert les yeux ! ” Admirable réponse. L’homme ne nie pas que Dieu a parlé à Moïse : la loi de Moïse, première grâce de Dieu, ne doit pourtant pas servir maintenant à refuser la seconde, qui est plus parfaite, et de loin annoncée (cf. Dt 18, 18).
« “ Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs, mais si quelqu’un est religieux et fait sa volonté, celui-là il l’écoute. Jamais on n’a ouï dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle-né. Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. ” Ils lui répondirent : “ De naissance tu n’es que péché et tu nous fais la leçon ! ” Et ils le jetèrent dehors. »
Le terrorisme exercé par les puissants est de tous les temps ; mais particulièrement du nôtre ; aussi, pareille scène a-t-elle pour nous un air de déjà-vu. Mais l’incrédulité des scribes et des pharisiens, elle aussi est de tous les temps.
Frère Bruno de Jésus-Marie
Bible, Archéologie, Histoire, tome 3, p. 18-19
Étude parue dans la CRC no 343, février 1998.