Saint Jean de la Croix

IX. Entre dans la joie de ton maître

L’ENSEIGNEMENT de Saint Jean de la Croix n’est pas un exposé didactique. Ce saint nous ouvre son cœur et nous montre les procédés que Dieu emploie pour s’unir une âme en perfection. Au sommet du Montecillo, il a écrit : « Ici il n’y a plus de chemin, car il n’y a point de loi pour les justes. » Dieu conduit l’âme par les sentiers qu’Il sait jusque « là où la Gloire et l’honneur de Dieu règnent seuls. »

La marque de sa vie, c’est l’amour. Il est passé à travers l’existence en ne s’occupant que du seul et nécessaire amour. C’est le reste qui est une perte de temps. Une seule chose compte, c’est que Dieu puisse déployer en son âme les jeux, les fêtes, les splendeurs de son Amour jusqu’à être emporté par l’Amour.

Le 13 décembre 1591, il prononça ces paroles admirables : « Je dois aller chanter Matines au Ciel. » C’est la Vierge qui l’invite au Ciel pour sa fête. On lui lit le Cantique des Cantiques... « Qué preciosas margaritas ! » Il entrevoit la Gloire de Dieu ; toute la Sagesse et la Science des saints n’est rien à côté. Il récite : « In manus tuas Domine. » et « passe » dans les bras de ses frères. Une grande clarté envahit la pièce, émanée d’un globe lumineux qui s’arrête un instant au pied de son lit. Mort d’amour telle qu’il l’avait décrite dans son commentaire de la première strophe de la Vive Flamme. « Mais ce qui sépare leur âme de leur corps est uniquement un élan ou un transport d’amour beaucoup plus élevé, beaucoup plus fort et plus puissant que les précédents puisqu’il a réussi à rompre la toile et à emporter avec lui le joyau de l’âme... »

L’enseignement de Saint Jean de la Croix est simple, c’est celui de la Révélation divine : il faut souffrir pour entrer, par amour, dans la joie de l’Union divine et la Béatitude de la Gloire.

« Ô âmes dont le désir est de marcher tranquilles et consolées dans les voies spirituelles, si vous saviez combien il vous est nécessaire de souffrir pour arriver à cet état ! Et comment, sans cela, bien loin d’y parvenir, vous retourneriez en arrière, je vous l’assure, nous ne rechercheriez jamais plus de consolation ni de Dieu, ni des créatures ; vous embrasseriez plutôt la Croix et une fois là, vous n’auriez d’autre ambition que d’y boire le fiel et le vinaigre tout purs. » (Vive Flamme, II)

Si nous reprenons le dessin du Montecillo, nous voyons qu’il est bon d’oublier aussi les biens du Ciel et que c’est une faveur de Dieu. Car il faut « descendre » pour atteindre le sommet et reprendre le seul chemin étroit. Cependant, nous allons découvrir où mène ce sentier resserré et le voir s’élargir, s’aplanir pour finalement arriver au but : le Banquet spirituel que Dieu nous offre après nous avoir dépouillés de toutes les fausses joies. C’est ce qu’il nous reste à contempler.

Notre saint traduit toujours les expériences de son âme avec la Bible entre les mains. C’est ainsi qu’il prend l’allégorie du livre de Tobie pour expliquer la succession des étapes qui constituent la Nuit au 1er livre de la Montée.

La première nuit met en fuite le démon, la deuxième est celle où l’âme quitte ses enfantillages pour se réfugier dans la Foi, elle entre en société avec les saints et les anges, dans la communion des saints. Cette âme a besoin d’être accueillie dans une communauté pour ne pas mourir de froid. Cette nuit, où l’on est accroché à la Foi, nous aide à fuir le monde, mais l’âme est alors l’objet de la sollicitude de l’Église, sous le manteau de la Sainte Vierge. La troisième nuit est plus obscure : Dieu est présent, mais comme une lumière qui aveugle à cause de l’impureté de l’esprit. C’est une nuit qui mène à l’union où l’âme discerne déjà quelques clartés de l’aurore. En effet, regardons à présent le terme, l’élévation de l’âme fidèle à un degré de pureté et de mérite où elle sera digne de cette Union parfaite, pure, chaste, pleine d’amour, Union de l’âme à son Époux divin...

LA VIVE FLAMME D’AMOUR

Un tressaillement de joie va maintenant parcourir toute l’œuvre de saint Jean de la Croix. Rappelons-nous que nous sommes appelés à cette Béatitude ! « Entre dans la joie de ton Maître ». Mais qu’est-ce qu’entrer dans la joie d’un Dieu ? Nous sommes si abrutis par le péché que nous ne savons tirer de l’Évangile que des interprétations ennuyeuses. Saint Jean de la Croix nous enseigne ce qu’est la Béatitude et ce qu’est le renoncement qui en est le chemin... Haïr sa propre chair que le feu doit brûler, oui, ce feu qui apporte la guerre. Toute sa doctrine jaillit de l’Évangile, mais nous, nous ignorons Dieu, nous ignorons Jésus-Christ et nous nous faisons une petite vie tranquille... Et l’on reproche à saint Jean de la Croix de dire « Dieu » sans parler de Jésus ? Il n’en parle pas parce que Jésus est Dieu, pas un camarade, pas un homme supérieur et séduisant, intelligent, etc. Tout cela est une vision médiocre de l’Évangile, une représentation grossière, pauvre et ennuyeuse, misérable. Dans un tel contexte, on ne peut imaginer l’idée du « mariage spirituel » sans rougir. C’est traiter des choses de Dieu avec des pensées d’homme, au-dessous de la Foi.

Jésus-Christ est Dieu. Il s’est fait homme non pour nous apprendre à être heureux, mais pour nous ramener, nous élever à Lui, nous assimiler à Lui, à sa nature divine et nous faire fils de Dieu avec Lui et en Lui, nous donner de participer à la Vie divine de la Sainte Trinité.

C’est pour entrer dans cette Union qu’il a fallu tout perdre et renoncer à toute union créée, à tout ce qui est charnel. C’est en perdant toutes nos manières de voir et de comprendre que nous Le trouverons... Il trône sur le sommet de la Montagne dans le secret, là où tout amour étranger est rejeté.

Telle est la vie cachée en Dieu, c’est une autre humanité qui ne craint pas d’utiliser les images de l’amour conjugal. C’est criant de vérité et l’on ne peut qu’en jouir d’un cœur pur, il n’y a rien de plus grand... « Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche ! » C’est mensonge pour les impurs, les charnels, c’est périlleux pour les indécis qui sont purs dans leur conduite, mais qui vivent dans un imaginaire impur.

Il fallait que l’Union divine fût chantée avec une langue humaine, c’est la Gloire de Dieu. Ce langage est vrai, il est instrument de salut, réconfortant pour les Marie-Madeleine qui sont capables de montrer au Christ une révérence, un attachement, une sollicitude comparable à celle des âmes virginales. Les repentis comprennent ce langage, les chastes entendent d’instinct ces images parce qu’ils en perçoivent le sens spirituel et suivent le Christ dans toutes ses pensées. Ce langage est pour eux, et aussi, par miséricorde, pour les repentis.

Abbé Georges de Nantes
S 4 : Saint Jean de la Croix, retraite automne 1966