Saint Jean de la Croix
II. L'entrée et la montée du Carmel
LE premier livre de la Montée s’ouvre sur un dessin à la plume qui ressemble un peu à une « Carte du tendre », qu’un long titre explicite : « On y traite de la manière dont l’âme pourra se disposer pour arriver promptement à l’union à Dieu... » C’est le but. « On y donne des avis et des enseignements très utiles à ceux qui commencent aussi bien qu’à ceux qui ont déjà réalisé beaucoup de progrès... » Nous sommes donc tous invités. « Afin qu’ils sachent se débarrasser de tout ce qui n’est pas spirituel, ne point s’embarrasser de ce qui est spirituel et demeurer dans cette profonde nudité et liberté d’esprit que requiert l’union divine. » Voilà l’action personnelle à consentir.
- À droite, ce sont les biens de la terre, biens sensibles, sensuels qui mènent au précipice, à l’enfer. Il faut absolument s’en défaire.
- À gauche, ce sont les consolations, les saveurs spirituelles, voie lente et médiocre qui n’aboutit pas, ou bien tard.
- Le chemin du centre monte tout droit mais il est étroit, il requiert le dénuement, le « NADA » pour Dieu seul ! La plupart des chrétiens ne retiennent que ce NADA et se découragent, or, c’est le TOUT que nous voulons.
Saint Jean de la Croix va développer cette doctrine dans une suite de chapitres aussi bien que dans les trois livres de la Montée du Carmel et les deux de la Nuit Obscure. La première strophe du poème La Nuit obscure est au point de départ :
Par une nuit profonde
Etant pleine d'angoisse et enflammée d'amour,
Oh ! L'heureux sort !
Je sortis sans être vue
Tandis que ma demeure était déjà en paix.
PURIFICATION DES SENS
Toute notre vie est, par rapport au matin eschatologique de la Vision de Dieu, une marche persévérante dans la nuit, une purification du cœur. Remarquons le bien et retenons-le pour la suite : Saint Jean de la Croix ne déclare pas mauvais les objets, mais l’attachement qu’on leur voue : « Les biens de ce monde n’occupent pas l’âme et ne lui nuisent pas puisqu’ils ne pénètrent pas en elle, ce qui lui est nuisible, c’est l’attachement à ces biens et le désir qu’elle en a. » (Montée I, 1 à 3)
Saint Jean de la Croix sait bien que la beauté des créatures aide à s’élever jusqu’au Créateur, mais si l’attachement qu’on y porte est exclusif, l’âme est prisonnière dans des limites contraires à l’infini de Dieu. La chair n’est pas condamnable, mais l’affection désordonnée qui nous attire à elle : « Quand l’âme aime quelque chose en dehors de Dieu, elle est incapable de la pure union avec Dieu et de sa transformation en Lui. » ( I , 4 )
Cette distance entre Dieu et les créatures est illustrée dans la Bible par l’Arche d’Alliance où Dieu veut habiter seul, par la manne, figure de l’Eucharistie, la Loi et la Verge d’Aaron, image de la Croix : « Car l’âme dont l’unique ambition sera de garder parfaitement la loi du Seigneur et de porter la Croix de Jésus-Christ sera l’Arche véritable qui renfermera en soi la véritable manne, c’est-à-dire Dieu Lui-même. » ( I, 5 )
La condition d’une telle union est donc qu’il n’y ait pas d’idoles, c’est-à-dire de ces attaches sensibles qui privent de l’Esprit de Dieu... Pensons à telle passion en nous et l’effet qu’elle produit... Ces tendances qui, sans être fautes mortelles, fatiguent, troublent, obscurcissent l’âme et qui nous rendent « comme des petits enfants inquiets et mécontents » ; elles sont comme des épines qui alimentent le feu de nos passions, elles aveuglent et introduisent la confusion dans les opérations de l’âme, car « tant que l’âme n’aura pas rejeté cette faim du créé, elle ne pourra recevoir le rassasiement de l’incréé. » Il ne sert de rien alors de faire des pénitences, de se fortifier la volonté, il faut trancher avec ce désordre. (I, 6 à 8)
La différence que saint Jean de la Croix établit n’est pas entre Dieu et la créature, mais entre l’âme et la créature, afin de persuader cette âme qu’elle est davantage de la famille de Dieu que de la sphère des choses créées. ( I, 9 )
Cependant Dieu a pitié de ces pauvres âmes « insupportables à elles-mêmes, inutiles au prochain, paresseuses et languissantes au service de Dieu », parce qu’elles ont encore « des tendances et des affections qui ne sont pas pures selon Dieu. » ( I, 10 )
Notre saint exhorte alors le « commençant » à faire le vide total en mortifiant ses tendances, toutes, jusqu’aux plus petites. Un tel dépouillement va-t-il contre la prudence humaine ? Attention. Il ne s’agit pas des tendances de la nature, des premiers mouvements « où la volonté éclairée par la raison n’a eu aucune part. » Mais des tendances volontaires, car l’union divine suppose que la volonté de l’âme soit complètement en la Volonté divine au point qu’elles ne fassent qu’une seule volonté. La plus minime imperfection à laquelle l’âme est attachée, par habitude, est un obstacle à l’union divine : « Qu’importe que l’oiseau soit retenu par un fil léger ou par une corde... » ( I, 11 )
Enseignement qui paraît dur mais qui est sauveur pour les âmes faibles, et en cela, les directeurs de consciences qui prétendent que tel ou tel enfantillage, attache ou habitude n’est pas grave, empêchent les âmes de voler !
Abbé Georges de Nantes
S 4 : Saint Jean de la Croix, retraite automne 1966