APOLOGÉTIQUE TOTALE

À tous les chemins de l’histoire, le judaïsme

INTRODUCTION

L’HISTOIRE universelle a un sens, une unité, une ligne directrice, et les différentes étapes de l’univers créé par Dieu présentent des analogies qui nous indiqueront la bonne méthode pour comprendre la dernière, celle de l’histoire et de la finalité du Règne humain (...).

HISTOIRE ET FINALITÉ DU COSMOS ET DE LA BIOSPHÈRE

Entre l’atome primitif (quinze milliards d’années) et la terre (cinq milliards d’années), il y a eu une ligne directrice, une “ poussée axiale ” pour reprendre l’expression de Teilhard de Chardin. Toutes les nébuleuses spirales que l’on ne connaîtra jamais parce qu’elles sont trop loin, constituent “ le décor ” d’une scène principale qui est la Terre ; la lune, le soleil sont au service de cette même Terre contribuant à son maintien dans l’être, assurant son mouvement, présidant à la vie qui doit y apparaître. Plus petite quant à la matière, cette planète est la plus grande et la plus importante de toutes aux yeux du Créateur puisque c’est sur Terre qu’a pu se développer la vie d’une multitude de créatures, elles-mêmes ordonnées à l’apparition de l’être vivant sans égal qu’est l’homme...

À première vue, la vie semble anarchique. Mais ce foisonnement d’une multitude d’êtres vivants  obéit à la même logique créatrice que nous avons observée pour le cosmos (...). Depuis le premier monocellulaire jusqu’aux primates, la vie a passé de génération en génération, et de degré en degré elle s’est complexifiée. Des myriades d’êtres ont vécu pendant des centaines de millions d’années, toujours pareils, puis ils ont disparu ou vivent encore. Ce sont des espèces figées, arrêtées, mais dont le mérite a été d’être comme une marche de l’escalier de la vie, le “ tremplin ” d’une forme de vie plus parfaite (...).

La première donnée, qui distingue l’homme des Primates, c’est la religion. Depuis quarante mille ans, l’homme est religieux. Dieu lui donne des sentiments religieux, et l’homme cherche Dieu. Comment procéder pour découvrir la ligne directrice, le projet de Dieu sur le genre humain ?

UNE NOUVELLE APOLOGÉTIQUE

LA MÉTHODE CLASSIQUE, RATIONNELLE, STATIQUE, DÉDUCTIVE

Étant prouvé que le monde a pour raison d’être, l’homme, pour connaitre la raison d’être de l’homme sur la terre – la science et la philosophie n’y suffisant pas –, il faut interpeller toutes les religions. L’apologète va donc devoir procéder à une étude abstraite, fournir les preuves d’une estimation rationnelle de leur valeur (...).

Cette apologétique est très dépendante du milieu grec, de la science aristotélicienne selon laquelle l’homme a une nature qu’il faut perfectionner. On se fait une certaine idée de l’homme parfait, et on va chercher la religion qui promeut la perfection de l’homme, la satisfaction de son désir de bonheur, etc. L’apologétique qui en résulte est statique, rationnelle, déductive (...).

À L’ÉCOLE DE DIEU : APOLOGÉTIQUE CONCRÈTE, HISTORIQUE, INDUCTIVE

Mon analogie avec le cosmos et la vie m’a paru tout d’un coup extraordinairement éclairante. Il faut que je me mette à l’école du Dieu créateur : méthode dynamique, concrète, historique, inductive (...).

Pour faire pièce au christianisme, on lui oppose souvent la plus grande ancienneté des autres religions et civilisations. Cet argument n’est pas du tout en leur faveur, bien au contraire. La civilisation chinoise date de dix mille ans ; si les Chinois en sont toujours à l’étape d’il y a dix mille ans, c’est que Dieu les a oubliés ! Il en va de même pour la religion des Incas ou pour les civilisations égyptiennes, babyloniennes, etc. (...). Elles sont peut-être très intéressantes à étudier, mais elles n’existent plus, preuve que ce n’est pas ce que Dieu voulait pour la réussite de l’univers (...). Toute religion statique, périmée, dépassée, tout ce qui n’existe même plus, je l’écarte, car là ne peut pas être le mouvement axial de l’humanité en recherche de sa plénitude.

LE JUDAÏSME, FORCE AXIALE DE L’UNIVERS

À ce moment-là de ma réflexion, reste un fait, un seul, qui témoigne d’un mouvement “ axial ” de l’humanité et qui est parvenu jusqu’à nous. Sur ce fond de religions humaines ou de civilisations érodées par le temps, un jour un homme a franchi une étape décisive, il s’appelait ABRAHAM.

Yahweh promet une descendance à Abraham.De la même manière que l’atome primitif a explosé, de la même manière que la vie est apparue sur terre, Abraham a vu Dieu, et il a cru à ce que Dieu lui promettait : « Mon ami, je t’ai choisi, je veux faire de toi un grand peuple, tes descendants seront aussi nombreux que le sable des plages de la mer et que les étoiles du ciel, et toutes les nations de la terre seront bénies en ton nom. Maintenant, marche droit en ma présence ! » (cf. Gn 17, 1-15). C’est unique dans l’histoire ! Jamais nulle part ailleurs un homme n’a inventé un système comme celui-ci.

Le fait d’Abraham ne se cantonne pas dans un coin de l’univers. Après un développement progressif, il nous atteint : nous nous disons aujourd’hui les enfants d’Abraham, père des croyants. Il y a là quelque chose de divin. Abraham d’abord, puis Isaac et Jacob, puis les douze tribus sorties d’eux, n’étaient rien face aux immenses empires et civilisations des égyptiens ou des babyloniens... Mais aujourd’hui, la civilisation égyptienne a disparu, les sables ont recouvert les ruines de Babylone, tandis que le judaïsme, lui, s’est répandu, sous différentes formes, dans le monde entier...

LE PEUPLE DE L’ALLIANCE

La caractéristique de cette religion est d’être non pas un système “ monothéiste ”, ni une morale, ni une théorie quelconque, mais une ALLIANCE (Berith) nouée par Dieu qui veut réaliser son projet avec Abraham et ses descendants (...). C’est vraiment une nouvelle étape : Dieu, Yahweh, a décidé d’entrer dans le monde par une révélation progressive de lui-même, un dévoilement de sa pensée, de son dessein. Et pour se révéler, il a décidé de se servir d’un peuple descendant d’Abraham. C’est ce que raconte la Bible.

Il y a des hommes qui ont cherché à plaire à Dieu par la magie, par le culte, etc. D’autres ont cherché à comprendre Dieu ; d’autres encore ont prétendu devenir Dieu ou se faire Dieu par leur contemplation, etc. Mais on n’a jamais trouvé ailleurs dans l’histoire, des hommes qui aient commencé une vie de clan, de tribus puis de peuple, en prétendant que leur Dieu leur avait promis l’empire du monde et qu’Il serait avec eux dans toutes leurs entreprises ; qu’Il les châtierait s’ils péchaient contre lui, qu’Il les ramènerait à lui, mais qu’ils ne disparaîtraient jamais, parce que par lui Abraham et ses descendants à jamais, Dieu ferait régner son Nom sur tout l’univers.

ANTIJUDAÏSME OCCIDENTAL ?

Si vous ne croyez ni à Abraham ni à la Bible, vous ne pouvez plus avoir aucune explication de l’évolution générale du monde ! L’homme occidental, l’homme du miracle grec ou de la “ raison claire et distincte ” a de la répugnance à entrer dans cette problématique (...). Car le judaïsme est un progressisme, mais fondé sur Dieu ; ce sont des hommes qui apportent au monde une vérité divine qui doit changer la nature humaine. Le judaïsme, c’est la révolution permanente au nom de Dieu, Maurras détestait cela.

Si j’avais utilisé la méthode classique pour analyser les religions, en arrivant aux prophètes : Ézéchiel, Daniel, etc., j’aurais pris acte du désordre, de l’anarchie, et je les aurais mis de côté pour cause de racisme et de fanatisme.

Erreur ! Car si une religion, si une idéologie doit prendre tous les hommes pour leur faire réaliser un dessein qui les dépasse, c’est bien le judaïsme qui a ses chances parce que c’est le plan de Dieu. Ce n’est pas dans le maurrassisme, ni dans le paganisme nietzschéen de Rougier ou de “ Nouvelle École ”, ni non plus dans l’écosocialisme de Joël de Rosnay ou du “ Massachusetts Institute Society ”, que je vais le trouver.

Alors, je marche ou je ne marche pas ? Je suis saisi ou je reste en arrière ? Si je reste en arrière, je reste au stade des pithécanthropes. Si je suis saisi, j’entre dans la grande histoire, j’entre dans le grand projet de Dieu, et fils d’Abraham, père des croyants, je suis entrainé à sa suite (...).

S’il y a un dessein de Dieu sur le monde, il est là dans le Berith, l’alliance de « Je Suis » avec Abraham et sa descendance ; et à travers Abraham et sa descendance, sur toutes les nations de la terre. Le Christ lui-même l’a dit : « Le salut vient des juifs » (Jn 4, 22) (...).

SURVOL DE LA BIBLE

L’histoire sainte du judaïsme a commencé par Abraham, son fils Isaac, le fils d’Isaac : Jacob, les douze tribus, puis les Hébreux deviennent esclaves en Égypte. Esclaves, eux, le peuple élu ? Cela ne va pas durer.

La traversée de la Mer Rouge.Le LIVRE DE L’EXODE raconte l’événement fondateur du peuple de l’Alliance. Moïse va libérer son peuple de la captivité de Pharaon. À mains fortes et bras étendus, Dieu libère son peuple, il y a là un miracle incontestable, le passage de la mer Rouge (cf. Ex 14). Les Hébreux, poursuivis par l’armée de Pharaon qui veut les exterminer, traversent la mer Rouge à pied sec, puis Dieu ensevelit l’armée égyptienne sous les eaux. C’est un miracle incontestable, une telle rencontre de circonstances météorologiques, géographiques, politiques, psychologiques. Ils passent, ils sont libérés : c’est l’événement fondateur. Favorisés d’un tel miracle, ce « ramassis de gens », comme dit le LIVRE DES NOMBRES, a compris que le Dieu de l’univers, qui commande aux vents, à la mer, aux marées, aux Égyptiens, les protégeait (...).

Mais lors de la traversée du désert, ils ont commis tant de fautes contre Dieu, qu’ils ont été châtiés, et qu’ils y sont restés quarante ans. Puis un jour, conduits par Josué, ils ont enfin conquis la terre que Dieu avait promise à leurs ancêtres. Ils y sont entrés, les murs de Jéricho sont tombés...

C’est passionnant, ce n’est pas un traité de politique comme les lois de Solon ou bien le Code d’Hammourabi, code moral sur lequel ont vécu les Hyksos pendant des millénaires. C’est une vie de Dieu avec son peuple. Chaque fois que ce peuple est fidèle à Dieu, il est victorieux de ses ennemis, chaque fois qu’il s’en éloigne, il est battu, mais jamais exterminé. Aux alentours de l’an 1000, le roi David prend Jérusalem, il en fait sa capitale, et ce peuple est devenu une nation parmi les autres nations. Sous Salomon, le Temple de Dieu n’est plus une tente, mais une majestueuse construction en pierres. L’arche de l’Alliance est là, et au-dessus d’elle, la nuée lumineuse qui est une présence sensible aux yeux, dans le Saint des Saints, du vrai Dieu à ce peuple.

Malgré les avertissements des prophètes, les rois de Juda vont multiplier les idolâtries et les infidélités, à un point tel que Dieu va imposer à tout le peuple son plus grand châtiment, la destruction de Jérusalem (587), puis la déportation et l’exil à Babylone pendant soixante-dix ans. Ils vont vivre cette longue oppression en continuant à lire leurs Écritures et à se dire : « Quand nous serons fidèles, Dieu qui nous a libérés des Égyptiens, Dieu qui nous a fait passer la mer Rouge à pied sec, ce Dieu nous donnera le Messie, un fils de David qui sera notre roi, notre prince ; lui nous mènera à la victoire. Nous réaliserons le plan de Dieu et toutes les nations de la terre viendront l’adorer à Jérusalem, etc. »

Au retour d’exil, les juifs sont devenus un peu plus humbles et modestes. Ils vont vivre cinq cents ans, humiliés, sous la tutelle de pays étrangers : les Mèdes, les Perses, les Grecs, les Romains. Mais pendant ce temps, méditant les textes sacrés, ils ne cesseront de penser : « Dieu nous a dit qu’il nous enverrait le Messie, et qu’un jour nous serons les chefs, les maîtres de l’humanité. » On ne trouve cela dans aucune autre religion !

LA RECONNAISSANCE DU MESSIE

Jésus-Christ va non seulement dire : « Je suis le Messie », mais il va le prouver par d’innombrables et de stupéfiants miracles, ainsi que par sa parole, plus divine qu’humaine... Ce premier judaïsme des fils d’Abraham pour qui : « Jésus est le Messie attendu » va commencer sa grande course. Il ne s’agit plus simplement d’une conquête de la terre, mais du Ciel. Ce n’est plus au service et pour l’honneur du seul peuple juif, mais pour tous les peuples de la terre. Ce ne sera plus par la force de l’homme, mais par la grâce de Dieu. Salut spirituel, salut éternel, salut universel.

Mais il va y avoir une cassure dans le peuple juif entre ceux qui croiront au Christ, et ceux qui n’y croiront pas, préférant un salut qui soit réservé aux seuls juifs, dans les bornes de la vie terrestre, et un salut qui soit charnel et non pas spirituel. Les chefs des juifs font crucifier le Christ par la main des Romains.

Après la destruction de Jérusalem (an 70), ces autorités juives se réunirent en concile à Jamnia (an 90) pour un nécessaire “ aggiornamento ” des textes sacrés, afin d’opérer une véritable “ déconstruction ” de l’Ancien Testament. Ils faussèrent les traductions, afin que ce soit le peuple juif dans son ensemble et non plus la seule personne de Jésus de Nazareth qui apparaisse comme le Messie. Ces commentaires antichrist de l’Ancien Testament ont été compilés dans de gros livres que l’on appelle les Talmuds. Depuis deux mille ans donc deux judaïsmes s’opposent, le judaïsme chrétien, et le judaïsme talmudique qui au fil des époques va produire divers avatars : la Kabbale, l’Islam (...), le Marxisme (...), le freudisme (...), le sionisme (...), la judéo maçonnerie des B’naï-B’rith. Religieux ou athée, il demeure et s’impose à la tête de toutes les forces antichrétiennes...

Avec Jésus-Christ, nous allons donc avoir un nouveau choix à faire et nous allons garder la même méthode. Nous nous demanderons où est la puissance axiale. Est-ce le christianisme qui est vivant et qui monte ou est-ce le judaïsme talmudique, le marxisme, le freudisme, le sionisme ou la judéo maçonnerie ? De toutes ces forces qui sont sorties du sein d’Abraham et qui se disputent la terre, il y en a une qui répond au dessein de Dieu. Celle-là doit être universelle, elle doit être progressive et non pas stagnante, elle doit être toujours vivante et non pas disparue.

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du 7 février 1985