APOLOGÉTIQUE TOTALE

Orthodromie du christianisme

INTRODUCTION

Tant que nous étudiions l’orthogenèse au niveau de la matière et de la vie, la constatation de franchissements de seuils qualitatifs vers des états plus hauts, plus parfaits, ainsi qu’une finalité interne, n’incluait qu’une adhésion intellectuelle de type philosophique (...).

Jésus en discussion avec les pharisiens.La nouveauté de la religion juive, de l’histoire, et de la Bible juive nous a obligés de conclure à une Alliance de Dieu avec le peuple juif, autrement dit à une Élection et une action de Dieu en faveur de ce peuple, et qui va traverser les siècles comme la force vive, axiale, de l’Histoire de l’humanité (...).

À ce coup, notre apologétique est entrée dans un type d’explication des phénomènes scientifiques, nouveau : celui de la croyance en une œuvre non naturelle, exceptionnelle, de Dieu dans l’histoire, œuvre qui se déclare divine par deux caractères : elle s’annonce telle par RÉVÉLATION, elle se réalise phénoménalement comme tel par MIRACLES-SIGNES (...).

CHRISTIANISME OU JUDAÏSME TALMUDIQUE ?

Si le judaïsme a été fondé sur l’Alliance et des Promesses indéfectibles, pourquoi le quitter ? Il ne faut pas le renier : Dieu ne peut le renier ! Or deux religions se disputent l’héritage de cette Alliance, la gloire des Promesses, et donc le privilège d’être la force axiale de l’humanité, le dessein de Dieu sur le monde : le christianisme et le judaïsme talmudique issu de la réforme des pharisiens (...).

Plutôt que de raisonner en termes rationnels, de vérité ou d’erreur, nous préférons aborder cette réalité complexe et “ sensible ” en restant fidèles à notre perspective historique, dynamique et progressiste. C’est pourquoi nous emploierons le mot orthodromie, terme de navigation qui évoque la course droite, celle qui conduit le plus rapidement au but à atteindre. Où se trouve l’orthodromie, l’autoroute du salut ou du dessein de Dieu sur l’humanité ? Question capitale dont la réponse exige de résoudre le dilemme suivant :

Ou bien l’Alliance conclue par Dieu avec Abraham et Moïse est définitive comme “ une autoroute ” toute droite jusqu’au judaïsme contemporain, et le christianisme en est une “ déviation ”, une hérésie, une secte dont les juifs ont mis à mort “ le gourou ” et persécuté les disciples, avec raison. Ou bien cette Alliance ancienne devait être relayée, poursuivie par le christianisme, comme sa suite et son perfectionnement, son accomplissement, et le judaïsme talmudique en est alors une hérésie, une déviation dramatique.

LE JUDAÏSME DES PHARISIENS

Alors qu’à la fin du deuxième siècle avant notre ère, tous les juifs n’étant pas revenus d’Exil, beaucoup sont dispersés parmi les Nations ; alors que l’existence nationale est perdue, qu’il n’y a plus de rois et que des étrangers gouvernent la Terre Sainte ; alors que le Temple a été dépouillé, détruit et que les sacrifices ont été interrompus ; alors que l’espérance messianique ne rencontre plus que le découragement ou le désintérêt, le judaïsme biblique dérive vers une nouvelle religion, celle du livre et de la Loi, des scribes et de la synagogue : création illégitime des pharisiens substituant une illusoire Torah orale : she-bé al Peh, à la Parole de Yahweh, la Torah écrite : she – bikhetav (...). (Cf. LE JUDAÏSME, par A. Vincent, 1932 ; ou LE JUDAÏSME par Le Déaut, Jaubert, Hruby, Beauchesne, 1975)

Sous prétexte de réformer le judaïsme, et pour répondre à une décadence qui leur semblait inéluctable, manquant de foi et d’espérance, les pharisiens vont donc négliger la grâce de l’Alliance et la foi en la Promesse, pour enfermer les hommes dans le mérite des œuvres par la pratique des préceptes et des interdictions de la Loi dont ils vont considérablement augmenter le nombre : 613 commandements ; 365 interdits ; 248 préceptes. Ce judaïsme normatif écartait du salut les pauvres, les ignorants, le peuple, et provoquait à l’hypocrisie et à la ratiocination sans âme (...). C’était, dès le début de notre ère, la fin de la religion primitive, non abrogée, mais trahie, et qui va se doubler ensuite d’un antichristianisme virulent (...). Remarquons que c’est une religion qui n’a rien de commun avec l’extraordinaire envolée et la succession de miracles attestant la présence de la Providence à ce peuple, la succession de prophètes de plus en plus extraordinaires dont nous avons le spectacle dans la Bible hébraïque (...).

LÉGITIMITÉ ET FORCE AXIALE DU CHRISTIANISME

Le Christianisme marque un seuil, une nouveauté, une originalité absolue par rapport à la religion mosaïque antérieure, mais en continuité avec son Alliance abrahamique. Laquelle ? Celle de l’être même, puis de la parole et de la vie de JÉSUS DE NAZARETH, Roi des juifs, Sauveur du monde. Tel est l’Évangile annoncé aux Grecs, sans préambules ; et aux Juifs, en suite de leur BIBLE, Loi, Prophètes et psaumes.

À la différence du judaïsme talmudique, le christianisme n’est pas une réforme de la religion juive... pour l’adapter à une situation nouvelle... ou pour la ramener à la pureté des origines.

À la différence du judaïsme talmudique, le christianisme n’est pas un commentaire rabbinique, intellectuel, venant redoubler la Bible par un autre texte concurrent (le Talmud), peu à peu substitué à lui.

À la différence du judaïsme talmudique, le christianisme n’est pas une autre religion fondée sur d’autres principes que ceux de la Bible, ni une hérésie fondée sur une interprétation différente, ni non plus une dissidence causée par des questions de personnes au sein du peuple juif.

À la différence du judaïsme talmudique qui le refuse et le combat, le Christianisme est un légitime et nouveau chapitre de l’Alliance divine constitué par l’envoi d’un Précurseur, puis par la manifestation publique du Sauveur attendu, du Messie, Fils de David, Roi d’Israël, un nouveau Moïse (Dt 18, 15), prêtre et roi, qui devait porter la religion juive à sa perfection définitive : En demandant la conversion des cœurs par la pénitence ; En répandant sa vie, sa lumière, sa grâce, sa force, sa charité pour qu’enfin soit réalisé l’impossible rêve de sainteté d’Israël.

JÉSUS DE NAZARETH : LÉGITIMITÉ ET NOUVEAUTÉ ABSOLUE

1. C’est ainsi que Jésus de Nazareth, annoncé par Jean-Baptiste a le profil d’un envoyé de Dieu traditionnel. Il nait parmi les pauvres de Yahweh, le peuple de la terre : “Am’Ha-Aretz”. Il vit inconnu, ignoré, puis il paraît comme un inspiré, un maître de sagesse, un thaumaturge, un élu de Dieu. Il suscite la contradiction, est condamné par les autorités religieuses, puis il est mis à mort. Ses disciples réalisent la communauté dont il a jeté les fondements, l’Église. Elle réussit. C’est un rameau de la force axiale, ou c’en est le tronc, la branche maîtresse.

2. Voici maintenant la forme de la nouveauté : sans qu’il le paraisse, sa vie, ses enseignements, ses commandements ont opéré une mue de la religion d’Israël, qui résolvait toutes ses antinomies et faisait éclater toutes ses étroitesses. C’est toujours la même, mais autre, mais parfaite et manifestement définitive religion de l’Alliance. Le Christ a réalisé cela, non en opposition, mais en superposition, addition, développement.

Ce serait “ génial ” si cela était étudié, calculé, élaboré. Mais c’est “ divin ”, dans la ligne de l’Alliance ou Promesse faite par Dieu à ce peuple de l’assister et de le conduire vers le progrès et l’accomplissement de la religion universelle. C’est dans la ligne de l’aide divine, toute puissante, sage et miséricordieuse, de JE SUIS à la descendance d’Abraham.

LA CIRCONCISION

La circoncision de la chair, identité raciale restrictive n’est pas abolie, ni critiquée, seulement relativisée... Le baptême s’y ajoute comme signe de communion spirituelle, universelle. La circoncision cèdera en même temps que le racisme juif disparaîtra devant l’universalisme catholique. Tout cela comme sans plan préétabli.

C’est l’accomplissement de la tendance progressive du judaïsme universaliste, à l’encontre de la tendance au renfermement sur soi, qui sera caractéristique du judaïsme rabbinique postérieur.

LES SACRIFICES

Le mémorial de la messe est institué le 14 nisan jour du sacrifice de l’Agneau Pascal, mardi soir d’après l’ancien calendrier sacerdotal propre aux juifs “ traditionalistes ”, et que suivaient le Christ et ses apôtres, selon la découverte d’Annie Jaubert. Le sacrifice de la Croix est consommé le 15 nisan, vendredi après-midi, selon le calendrier officiel, jour du sacrifice de l’Agneau pascal au Temple. Tout se déroule donc dans une ville de Jérusalem où le Temple était encore le centre du culte, et où les sacrifices d’animaux étaient en plein usage. Or quarante ans plus tard, le Temple est détruit, les sacrifices cessent pour toujours... Les Juifs soupireront après leur rétablissement (Essénisme ; Mishna), tout en sachant que cela est devenu “ dépassé ”, anachronique, insupportable. La Croix les a rendus superflus, et le saint-sacrifice de la messe en compense l’abandon. Tout cela arrive sans contestation de l’ordre établi par Moïse !

LA LOI

Notre Seigneur Jésus-Christ ajoute à la Loi, les Béatitudes, et au texte mosaïque, sa Personne vivante comme règle sainte, sauvant ainsi ses disciples du formalisme et du légalisme. Il ne détruit rien sinon l’autorité usurpée des scribes, des pharisiens et de leurs traditions orales qui vont à l’encontre de la lettre et de l’esprit de la Torah écrite. Pour pratiquer la Loi de Moïse, le Christ propose son aide, de “ Paraclet ”, et promet l’envoi d’un autre “ Paraclet ” pour inspirer et obtenir la Charité.

Tout cela sans subversion, au moment où le pharisaïsme va étouffer l’Alliance. Pour continuer l’œuvre de Dieu dans la lancée de sa force axiale, accomplir l’Ancien Testament, la Loi mosaïque ainsi que toutes les prophéties, il n’y a donc que le Nouveau Testament de Jésus-Christ et de son Église.

LA RAISON ULTIME DE CETTE NOUVEAUTÉ ?

Au fil de notre étude sur l’évolution de la matière à la vie et jusqu’à l’homme, nous avons vu à chaque fois qu’une nouveauté inattendue dans une espèce franchissait un seuil et opérait un progrès décisif. Pour finir ce fut au sein des sociétés et civilisations du genre humain, la nouveauté d’un petit peuple en Alliance avec Dieu ; Et puis au sein de ce peuple, une nouveauté pas vraiment inattendue, mais absolue. Qu’est-ce qui commence donc avec Jésus de Nazareth ? Il faut oser dire que c’est Dieu lui-même qui se fait homme pour relancer l’Alliance, pour introduire une vérité divine, une force divine dans l’histoire. Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit fait Dieu, tel est le but de toute la création !

Les apôtres, les disciples, les premiers chrétiens y ont cru parce que Jésus-Christ l’a dit en public, en privé, et il a prouvé par des miracles plus stupéfiants les uns que les autres, qu’il était Dieu fait homme. Il est mort en témoin de cette vérité, puis ultime et prodigieux miracle, il est ressuscité des morts. Il a donc été cru, suivi, et l’Église est née de cette foi.

CONSÉQUENCE DE CETTE NOUVEAUTÉ.

C’est la fin du jeu de cache-cache entre Dieu et l’humanité (...). Ce dernier seuil franchi avec Jésus, Fils de Dieu venant sur terre sauver les hommes, répond à toutes les exigences que nous nous étions posées dès le début. L’axe ou la puissance axiale de l’histoire universelle devait répondre à un certain nombre de données, elle devait récapituler toute l’histoire. C’est l’anaképhalaïosis, la récapitulation de toutes choses dans le Christ, si chère à saint Irénée.

En effet, le Christ récapitule toute l’histoire : le passé est éclairé par Lui, car il est le Sauveur de tous les hommes y compris de ceux qui sont venus avant lui, puisqu’il a été les évangéliser en allant prêcher aux enfers. Cela veut dire que lui qui est de tous les siècles a préparé cette humanité, il ne l’abandonnera donc pas au shéol, comme disaient les Hébreux, à la damnation. Il est venu pour le salut de tous, juifs et païens.

Pour le présent, le Christ transforme les conditions du judaïsme et ce peuple juif devient l’Israël nouveau, l’Église, et cette Église est capable de donner aux hommes de quoi accomplir leur destinée par la grâce, d’en faire des saints capables d’être auprès de Dieu pendant l’éternité.

Pour le futur, c’est tout simplement le Royaume de Dieu qui, commencé sur terre, s’en va vers l’éternité. Nous allons vers la vie éternelle comme de plain-pied (...). Il est évident, mais ce n’était pas si évident pour Aristote, que l’homme, sur la terre, est dans une étape de sa destinée. Nous ne pouvons absolument pas accepter de considérer cette étape comme définitive, pas plus que le ver à soie quand il est dans son cocon ne peut considérer que ce cocon va être sa vie éternelle. Bientôt, il va revivre, percer le cocon et devenir papillon.

L’homme est ainsi : il est dirigé vers une autre vie, mais il ne savait pas laquelle. Le Christ, en passant la frontière, le lui a montré, et ce sont tous les hommes qui ainsi, un jour, seront récapitulés en lui, comme lui, dans la gloire et pour toujours, si toutefois ils veulent bien répondre par la Foi, l’Espérance et la Charité à cette bonne Nouvelle. Ce sont tous les hommes qui iront dans cette cité future où, autour du Christ et de la Vierge, ils connaîtront le sommet, la perfection de la vérité, de la lumière, de la vie et de l’amour.

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du18 avril 1985