APOLOGÉTIQUE TOTALE

Force de la preuve

L’APOLOGÉTIQUE présente des chapitres de science, empruntés aux diverses sciences, mais elle les dispose de manière que leur concaténation persuade, entraine l’assentiment, d’une conclusion à une autre, et ainsi mène à la foi ou au seuil de la foi. Sous ce dernier rapport, l’Apologétique est donc aussi un art persuasif.

Une fois révisée la fermeté de la démonstration qui implique un jugement de vérité objective, intrinsèque, s’ajoute un autre jugement de valeur : Où cela mène-t-il ? Qu’est-ce que cela vaut pour moi ? Comment situer mon orthodromie personnelle au sein de ce vaste dessein de Dieu qui s’est déroulé devant nous lors de cette année d’études ?

Puisqu’il s’agit pour l’incroyant de croire, ou pour le croyant de croire plus fermement, ce jugement de valeur, évidemment libre, subjectif, personnel est d’une très grande importance. Est-ce que l’Apologétique enseignée cette année est convaincante ? Est-ce crédible ? Ce jugement de crédibilité résulte d’un ensemble de preuves qui vous ont fait plus ou moins d’impressions. Qu’en est-il de la force de la preuve ?

I. LE JUGEMENT DE CRÉDIBILITÉ

L’homme dans son intégralité, esprit et cœur, n’avance vers la révélation des mystères que par des découvertes successives à la manière de “ chocs ” à la fois intellectuels et affectifs, où le cœur et l’esprit s’entraînent mutuellement : valeur et vérité, ou vérité, bonté et beauté vont de pair. En me rappelant les chapitres de notre Apologétique totale, je mesure la rigueur de la démonstration de vérité, comme aussi mon sentiment de débordante bonté, mon intuition d’enivrante beauté. Je passe en revue mes “ Chocs ” manière pour vous d’évaluer ce que furent les vôtres.

1. Le premier “choc” fut celui de l’existence des êtres contingents, relatifs, c’est-à-dire en lien avec l’être absolu, Dieu. Expérience incommunicable, mais universelle qui nous met en contact avec Dieu comme point de départ de notre existence. Faute d’éprouver la réalité enveloppante de ce “ choc ”, les hommes sont enfermés dans les livres, dans les mécaniques qu’ils fabriquent, ils n’ont plus de contact avec l’Être, avec celui qui seul peut dire : JE SUIS : « JE SUIS » (...).

2. L’intermède des sciences nous a convaincus de deux choses. Je passe vite sur la première qui me semble plus radicalement affirmée par l’intuition de l’Être : l’existence de Dieu cause première, intelligence et puissance organisatrice d’un univers tellement ordonné et harmonieux. Avec les sciences modernes : cosmogénèse, biogenèse, anthropogenèse, on passe des essences ou natures immuables et universelles à l’étude du devenir irrévocable, du sens de l’histoire. Elles nous ont toutes convaincu de l’évolution et d’un progrès constant forcément sous-tendu par un dessein de Dieu créateur des êtres et maître de leur évolution. C’est la mise hors-jeu, sur son propre terrain, de l’athéisme, de Darwin à Monod. Du big-bang initial à l’aujourd’hui, il y a une ingénierie infinie à découvrir, et une fin du cosmos à deviner...

3. Dans ma conférence d’anthropologie, j’ai failli m’engager dans une apologétique statique, essentialiste au lieu de m’orienter vers la recherche du sens de l’histoire, de l’orthodromie (...). L’homme personnel est bien sûr le sommet de la création, mais comme ils sont des milliards, que leur dire, que leur proposer ? Si on s’arrête à l’individu, on va les enfermer avec Aristote dans le champ clos de leur nature humaine, avec pour objectif de l’épanouir – (orgueilleusement, au mépris des autres, etc...) – ou bien avec Platon on va les persuader de l’immortalité de leur âme (...). Dans un cas comme dans l’autre, on reste enfermé dans l’individualisme humaniste, dans le culte de l’homme. Mais si l’on demeure axé sur la genèse de l’humanité, sur son évolution, on refuse la réduction, l’enfermement de l’être humain dans son statut essentiel actuel, et on lui ouvre une merveilleuse perspective, la participation à une grande aventure humaine dont la condition présente n’est qu’un état premier, puisque Dieu en personne va en diriger le cours. On entre dans l’histoire et on rencontre Abraham, Sarah son épouse, et Dieu qui va faire alliance avec eux.

4. Abraham est le fondateur d’une histoire sainte ordonnée où Dieu intervient sans cesse pour en redresser le cours, la diriger selon sa volonté. Ce sont des événements historiques dûment répertoriés dans la Bible, le livre saint de la descendance d’Abraham, le peuple juif. Au moment où les élites de ce peuple perdent le sens de l’Alliance ou le désorientent, survient une jeune fille vierge, Marie, fille d’Abraham à qui Dieu annonce qu’elle sera la mère du Messie, du Roi d’Israël, de Jésus dont Dieu sera le Père.

5. Cela m’est propre de situer l’événement majeur de l’Histoire universelle en intermède. Pourquoi ? Le “choc” de Jésus-Christ, Dieu fait homme, est évidemment merveilleux, mais il vient après le “ choc ” de la rencontre entre Dieu et Abraham puis entre Dieu et la Vierge Marie. Jésus dans son humilité n’a été qu’un continuateur qui a tout redressé, tout relancé par sa Résurrection et par la Pentecôte.

6. Le dernier “choc” fut celui de l’orthodromie de l’Église catholique depuis le jour de la Pentecôte. En répondant aux objections des rationalistes, nous avons conclu avec le concile Vatican I que l’Église catholique était l’œuvre divine, la force axiale, la raison d’être. C’est là que se révèle dès l’abord, et que se réalise au cours du Temps sans retour, le but de la Création, la Pensée et la Volonté de Dieu sur le monde, sur le genre humain, et donc sur MOI !

II. LE JUGEMENT DE CREDENTITÉ : ATTRAIT DU MYSTÈRE

Après le jugement de crédibilité, la force de la preuve ou des preuves, vient le moment où il n’y a plus à discuter. Puisque c’est vrai, il faut croire ; c’est ce que les apologètes appellent le jugement de crédentité (...). Si vous avez admis la force de ces preuves successives et de leur ordre général de plus en plus contraignant, vous êtes visé comme une cible, maintenant vient l’attrait du mystère, et l’entrainement qui va vous pousser à croire. Ce jugement de crédentité diffère d’un sujet à l’autre selon qu’il procède :

1. De l’expérience intime. Sentimentale, romantique ou moderniste, elle n’est pas objet de science et est donc incontrôlable (...).

2. Du jugement impératif de la conscience, qui dit : « maintenant mon ami, marche ! » Je n’admets pas le kantisme, ni que la conscience, juge du bien et du mal, nous impose des devoirs absolus au nom d’un prétendu instinct divin, qui peut changer d’un jour à l’autre (...).

3. De la preuve rationnelle. Le Christ a fait des miracles historiquement incontestables pour authentifier sa parole et la vérité de son identité : Fils de Dieu fait homme et sauveur du monde. La foi résulte du fait brut du miracle et du message qui est en relation avec le miracle. Cette apologétique classique, rationnelle, paraît très juste et contraignante. Je la pense fausse, car d’une part il ne s’agit pas d’être contraint, et d’autre part si elle démontre rigoureusement les préambules, les entours de la Religion, il reste qu’il y a un bon prodigieux à faire pour en arriver au mystère essentiel, de la vie intime de Dieu-Trinité jusqu’à la résurrection de la chair et la vie éternelle du Ciel (...). Ne parlons pas du pari de Pascal, indigne de l’homme (...).

4. Reste la théorie catholique. Pour croire, c’est-à-dire pour voir et dire la vérité du mystère révélé comme d’une révélation à soi faite, accueillie par soi, il faut encore une lumière divine, un don de Dieu (...). Après avoir fait une étude scientifique bien raisonnée et forte de toutes les preuves préliminaires à l’acte de foi, le sujet est tellement bien préparé qu’arrive le moment où son esprit reçoit la grâce divine. Il passe aussitôt à la foi en imaginant que sa foi toute neuve est du même ordre que les laborieux préliminaires rationnels qu’il a longuement étudiés. Cette simultanéité a longtemps trompé les apologètes, car on passe en réalité d’une science humaine à un don de Dieu, une impression surnaturelle, à un jugement surnaturel qui embrasse le Credo dans sa totalité.

III. ORTHODROMIE PERSONNELLE

S’il faut croire et que cependant cela dépend d’une grâce divine, comment est-ce que nous pouvons encore dire que ça dépend de nous ?

J’en viens donc à cet entraînement dont je vous ai parlé, cet attrait du mystère. Je voudrais maintenant vous montrer comment l’homme engage son cœur. C’est comme l’enfant qui voit passer la fanfare et une foule de gens joyeux, aimables qui suivent la musique. Il est attiré par une sorte d’instinct à leur emboîter le pas, à suivre le mouvement. On ne peut pas dire que cet instinct le trompe, il est sûr d’y trouver son bonheur. C’est sous cet aspect de l’épanouissement de l’être, que la théologie nous dit que la charité, le mouvement du cœur déterminent l’intelligence à croire quand, par elle-même, elle serait stoppée devant quelque chose qui la dépasse (...).

La foi, dit saint Thomas, consiste à épouser la pensée de Dieu (...). Et donc plutôt que d’être un spectateur indifférent et étranger qui écoute le prêtre lui raconter l’histoire de la création de l’univers et du genre humain, en lui montrant la ligne directrice, et en espérant susciter en lui la foi, je vais épouser cette pensée de Dieu sur le monde (...). À ce moment-là, la foi va faire un retournement. Je ne vais plus commencer par MOI qui étudie la suite des sciences pour aboutir à la foi, car peut-être que Dieu est là. Mais je vais, dans un mouvement du cœur tout reprendre du point de vue de Dieu (...). Nous allons essayer de voir Dieu créant cet univers, cette terre, et sur cette terre la vie, puis le genre humain et jusqu’à l’Église... chaque étape nous apparaissant alors comme une sorte de nouveau mouvement d’amour de Dieu, une sorte de nouvelle révélation de Dieu (...).

Cet entraînement du Mystère de l’Église qui marche vers le Royaume de Dieu sur la terre comme au Ciel, c’est tellement merveilleux ! Combien de fois ai-je entendu des incroyants très proches de la Foi, me dire : « C’est trop beau pour être vrai ! Oui, ce serait une trop grande chance pour l’humanité, pour les misérables créatures que nous sommes, que cela soit vrai. C’est une trop grande vocation pour les hommes, et donc pour moi tout particulièrement. » C’est à ce moment-là, pour vaincre une crainte, une timidité, que l’invitation Dieu à l’aimer et à le suivre, nous dit saint François de Sales, se fait plus pressante et devient un commandement.

Lorsqu’on écoute ce commandement, lorsqu’on le suit, c’est à la fois l’obéissance à Dieu et la sagesse de l’amour. C’est l’intégration de ma vie, de ma destinée personnelle dans l’orthodromie générale, mais une orthodromie générale qui est très prégnante ; elle est chrétienne, catholique. Elle n’est pas du tout dans le vague d’une espèce d’opinion supérieure qu’on appellerait la foi, la foi en un Dieu quelconque.

Nous arrivons ainsi à une solution du problème de l’acte de foi et de la conversion, grâce à cette orthodromie. On entre dans l’Église catholique, et nulle part ailleurs ! Ce n’est pas possible de se convertir à autre chose qu’à ce qui est la poussée axiale de l’humanité depuis tant de siècles, alors que toutes les autres religions sont des inventions humaines, des coupures, des schismes, des hérésies... (...).

Musulmans, bouddhistes, luthériens, calvinistes, orthodoxes, etc., du point de vue de l’orthodromie où nous nous tenons, sont forcés de reconnaître qu’ils se trouvent sur des rameaux divergents de cet arbre unique, de cette tige centrale. Qu’ont-ils à faire ? À marcher dans ce sens-là et, comme dit Notre-Seigneur, à aller vers la lumière (...).

AU SERVICE DE L’ÉGLISE POUR QUE TOUT SOIT INSTAURÉ DANS LE CHRIST

Notre civilisation occidentale s’est trop détachée de l’orthodromie terrestre, c’est-à-dire du Royaume des Cieux à construire sur la terre par les missions et la civilisation pour faire régner le Christ d’un pôle du monde à l’autre. Nous avons trop cru que notre religion était un phénomène cultuel et vertical, par lequel je n’ai qu’une âme et qu’elle est à sauver, et qu’il me suffit d’adhérer à la Foi de l’Église, de pratiquer tous les commandements, de recevoir les sacrements pour aller, après ma mort, dans la vie éternelle. Il y a quelque chose, là, qui est absolument contraire à notre élan humain qui nous porte à un demain ou à un après-demain, à un avenir qui réalisera les espérances de l’humanité.

Notre orthodromie se situe donc résolument avec Dieu dans ce plan de conquête du monde. Avec Abraham, c’est d’abord la domination d’Israël sur les autres peuples de la terre. Avec Jésus-Christ, c’est la construction du Royaume de Dieu : l’Église catholique. C’est elle qui doit conquérir le genre humain afin d’y réaliser la raison même de l’univers, rendre tous les hommes fraternels et heureux, adorant Dieu et s’aimant les uns les autres. Tel est le plérôme de saint Irénée, la plénitude vers laquelle nous allons. C’est cela qui devrait être notre acte de foi, notre espérance, notre engagement premier (...).

Si c’est cela, l’Église catholique romaine, rentrons vite dans ce grand royaume de justice, de vérité, de charité, de sainte liberté, participons à son effort de conquête de l’humanité et de transformation des hommes à l’image du Christ, et donc de libération des péchés qui les accablent (...) : injustices, violences, etc (...). Je ne veux pas rester en dehors, dans les ténèbres et l’ombre de la mort, comme disent les Écritures, mais je veux en être un membre vivant, pour travailler avec mes frères, pour l’honneur de Dieu et le bien de l’humanité. Quant à mon salut éternel, Dieu y pourvoira (...) !

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du 20 juin 1985