Morale totale

L'espérance de l'Alliance

L’ESPÉRANCE chrétienne se définit habituellement par le désir de la grâce de Dieu en ce monde, moyen nécessaire pour pratiquer les commandements divins et mériter ainsi le bonheur de contempler Dieu dans le Ciel. Tout cela qui est vrai est tout de même très étroit, abstrait, et demanderait à être situé dans une vue plus large sous deux rapports.

Jugement dernier par Fra Angelico.1. Communautaire : que ce ne soit pas seulement le désir d’un individu dont le bien serait strictement son épanouissement propre ; le reste, comme la bonne éducation de ses enfants ou le salut éternel de l’humanité, lui étant indifférent (...).

2. Historique et temporel. Que ce ne soit pas exclusivement la béatitude de l’au-delà qui soit recherchée, comme seul bien surnaturel, et les grâces en ce monde ne figurant qu’au titre de secours pour l’obtenir, mais sans intérêt en eux-mêmes.

On voit cependant ce qu’il y a de vrai dans une telle analyse. Tout doit être pour chacun subordonné à son propre salut éternel, le bien des autres étant une heureuse conséquence du soin pris à son propre salut. D’autre part, ce salut est la “ perle précieuse ”, le “ trésor ” pour lequel il faut vendre tout le reste, renoncer à tout bien passager. Mais peut-être pourrait-on garder tous ces avantages, toute cette vérité, dans une doctrine plus ample, existentielle donc et relationnelle ! Nous trouvons précisément dans la Révélation une doctrine et une morale qui opère cette synthèse.

DIVINE ALLIANCE ET SAINTE ESPÉRANCE

L’Alliance divine, présentée par Jean L’Hour dans La morale de l’Alliance, est un traité inégal que le Seigneur propose à son peuple élu, l’accompagnant du souvenir de ses bienfaits, de stipulations cultuelles et morales, et de promesses conditionnelles. L’objet donc de la fidélité divine, et de la fidélité jurée par le peuple saint, c’est ce dessein divin, c’est le déploiement de cette Bonté divine, bien avant sa révélation, puis dans le moment même de son acceptation et de sa célébration par le peuple, et dans la suite des siècles. Il va de soi que la « Nouvelle et éternelle Alliance » répond à l’Ancienne sur tout cet essentiel, en perfection, comme la réalité définitive à l’ombre qui en était la préparation et le signe. L’Alliance divine se révèle dans l’Incarnation du Fils de Dieu et se trouve scellée dans le Sacrifice rédempteur du Christ (...).

La Morale de l’Alliance est donc par définition communautaire, et ses prescriptions, la foi comme l’espérance se vivent, se célèbrent, se pratiquent en communauté, au sein de la grande assemblée. L’une et l’autre nous font adhérer au vouloir divin, obéir à la personne sans cesse présente et agissante de Dieu : la Foi pour épouser ses idées, l’Espérance pour épouser son projet, y participer activement.

Cette Morale a aussi un caractère profondément historique et temporel. Car l’Alliance que Dieu a passée avec les hommes est un dessein qui se développe dans l’histoire, de sorte que « l’histoire est devenue religion et, par contrecoup, la religion est devenue histoire. » (...).

OBJET ET STIPULATIONS DE L’ESPÉRANCE

Si la foi est un acte intellectuel, qui engage tout l’être et lui fait considérer le monde créé dans sa généralité et toute son histoire comme Dieu les lui donne à voir ; si cette connaissance des desseins de Dieu se célèbre dans un culte d’adoration et d’Action de grâces, par un mémorial du premier bienfait, qui poursuit le dessein divin de la Rédemption du monde par le Christ ; si cette foi en l’Alliance nous fait épouser les idées de Dieu, l’Espérance, elle, nous fait épouser le projet de Dieu, son dessein divin. L’espérance nous pousse donc à participer, à coopérer, et à collaborer à l’avènement de son Règne sur la terre comme au Ciel.

Le Royaume des Cieux, ce fut tout d’abord le Christ seul, puis ses Apôtres, son Évangile, et enfin son Église, puis le prolongement temporel de celle-ci : la civilisation chrétienne, la Chrétienté, plein accomplissement de l’ordre de mission du Christ (Mt 28, 19-20) (...).

1. Il s’en suit que l’Espérance est une vertu étroitement dépendante de la Foi, réglée, calquée sur elle. La vérité de l’Alliance, c’est la sainte histoire de l’Église. Là est la croissance du Royaume de Dieu, la force axiale. La stipulation faite jadis au peuple élu, à tout chrétien aujourd’hui, c’est de s’y donner pour qu’elle opère le salut de la multitude et de plus en plus. À chacun, obligation est faite à la mesure de ses capacités et de sa vocation...

Les stipulations particulières arrivent par les événements que le peuple de Dieu et chaque âme doivent tourner au bien du Royaume de Dieu en croissance, avec espérance, dans l’indifférence au reste. Elles consistent donc à voir l’esprit, le cœur, la main de Dieu dans les institutions et œuvres de l’Église et de la Chrétienté, comme dans les événements qui surviennent à l’intérieur de ce cadre où opère la grâce divine. C’est par l’obéissance à la volonté signifiée de Dieu, c’est-à-dire aux lois et préceptes généraux connus par l’enseignement divin, et par l’obéissance à sa volonté de Bon Plaisir, par exemple celle que nous a révélé le message et les apparitions de Notre-Dame de Fatima : « répandre dans le monde entier la dévotion au Cœur Immaculé de Marie », que la gloire de Dieu sera satisfaite.

2. L’Espérance ajoute à la Foi qui connait l’invisible, la confiance qui anticipe sur l’avenir et qui fait vivre dans une vie d’union à Dieu par “la sanctification de l’instant présent”. Toute notre vie, en tout instant, est en sa Présence, et doit être vécue dans cette reconnaissance, car il n’y a pas une respiration, pas une démarche, pas un acte que nous ne faisons indépendamment de Dieu (...). Le zèle de l’espérance est ainsi une vertu passive de l’esprit et active de la volonté, car elle accepte les voies, souvent paradoxales, éprouvantes de Dieu vers le Royaume, et elle nous communique l’appétit, la résolution, la détermination de tout entreprendre pour aider à la croissance du Royaume, avec magnanimité et avec l’aide des dons du Saint-Esprit, notamment ceux de Conseil et de Force.

3. Le culte convenable à l’Espérance, c’est le mémorial prophétique : le souvenir des bienfaits, chanté avec Action de grâces pour obtenir de nouvelles aides divines : prières de demande et de remerciement. Le Saint Sacrifice de la Messe est le rappel de l’Alliance faite entre l’humanité et Dieu sur la Croix. Je vais à la messe le matin pour reprendre contact avec Celui qui tient en ses mains mon sort tout entier, je refais alliance avec Lui pour la journée qui vient. Un peuple qui ne va plus à la messe est un peuple perdu, il a rompu l’Alliance dont il vit (...).

LE BIENHEUREUX VOULOIR-VIVRE DE L’ESPÉRANCE

Les psaumes de l’Ancien Testament sont aussi la prière de l’Église, tant ils expriment bien ce qu’est le bonheur de vivre l’espérance de l’Alliance. Ce n’est pas contempler Dieu plus tard, mais c’est dès maintenant vivre avec Lui, travailler avec Lui, marcher sur sa route : « Marche en ma présence », dit Dieu à Abraham. Il n’y a rien là d’individuel, ni d’intellectuel, l’Église prend l’homme en chemin et l’associe au dessein de Dieu. Chaque matin, j’assume mon destin comme étant la reprise avec Dieu du dessein qu’il a sur moi. Si nous nous engageons avec toute notre liberté en coopérant hardiment au projet de Dieu qui est le salut de tous les hommes, nous serons bienheureux. Telle est l’Espérance chrétienne, surnaturelle. Elle se vit dans l’Église, c’est là que nous allons trouver la plénitude de notre espérance, et que notre zèle pour le salut des âmes va trouver à s’employer.

Alors le désir du Ciel ? C’est d’être, aujourd’hui, dès maintenant dans l’Alliance divine, dans la grâce sanctifiante ; c’est se réjouir des bénédictions que Dieu me donne et du bonheur que j’éprouve grâce à Lui. Voyez les saints ! Ils ruisselaient de joie. Il n’y a qu’un malheur pour eux, c’est l’infidélité, c’est la sortie de l’Église. La crainte pour soi, et pour les autres, c’est la sortie de l’Église, ce sont les malheureux qui sont pris dans les filets de la Contre-Église. C’est un risque qui fait prier et supplier en réparation, embrasser une vie de sacrifice en expiation, comme le demande Notre-Dame de Fatima, et comme l’a illustré la vie des saints voyants Lucie, François et Jacinthe : « Mon Dieu, je crois, j’adore, j’espère et je vous aime. Je vous demande pardon pour ceux qui ne croient pas, qui n’adorent pas, qui n’espèrent pas, qui ne vous aiment pas. »

NI AUTONOMIE NI INERTIE

L’espérance accompagnera toute la vie du fidèle yahviste ou du fidèle de Jésus-Christ, et elle le préservera de deux écueils, la présomption et le désespoir. La présomption est une prétention de l’homme, de l’État ou du pouvoir ecclésiastique à gouverner le royaume comme sien, à l’égal de Dieu ou son rival. C’est penser et agir comme si la conquête de la béatitude céleste ou de la perfection morale, ou de la prospérité de la civilisation, ou de la paix dans le monde étaient des œuvres uniquement d’ordre naturel, sous l’entier contrôle d’une conduite tout humaine.

À l’opposé, le désespoir ou le découragement c’est de ne plus accorder valeur à la vie naturelle comme surnaturelle, à ne plus voir ni accepter le dynamisme prometteur du projet de Dieu. C’est mettre fin à l’Alliance par rupture de foi ou de l’effort, ou de la prière : On n’atteindra jamais le but désiré, ni naturel, ni surnaturel ; les moyens de l’obtenir nous sont refusés, ou impossibles, c’est trop dur, etc (...).

L’Espérance chrétienne est le moteur de l’humanité accomplissant le dessein de Dieu et allant ainsi vers son épanouissement éternel. Mais cette espérance de l’Alliance est absolument insérée dans la Foi catholique, il faut avoir la Foi catholique pour que notre Espérance soit justifiée selon Dieu. Et, comme c’est difficile, nous verrons que la Charité est bien nécessaire pour accomplir ces deux premières vertus.

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du 16 janvier 1986

En audio/vidéo seulement :
  • O 3 : L'espérance de l'Alliance, mutualité 1986, 1 h (aud./vid.)

Références complémentaires :

Pour une synthèse écrite de la morale totale présentée selon les trois vertus théologales :
  • Dans le tome 5 de Il est ressuscité ! :
    • Catéchèse mariale, n° 35, Juin 2005, p. 9-22 (aud/vid : L 134.1)
Méditations :
  • Dans les Pages mystiques, tome 1 :
    • « Que vous procure le baptême ? - la vie éternelle », juillet 1972
    • Troisième nocturne : ténèbre de l’espérance même, Avril 1974
    • Vertigineuse espérance, Juillet 1975
Étude métaphysique :
  • Le destin du monde présent : II. La communion à Dieu, CRC tome 14, n° 181, Septembre 1982, p. 3-12 (en audio : Méta 10, 1 h)
Études polémiques :
  • Lettre sur le fonds commun obligatoire des nouveaux catéchismes. III. Fausse mystique et humanisme païen en guise de morale, CRC tome 1, n° 9, Juin 1968, p. 3-14