Morale totale

La fidélité à l'Alliance divine, Nouvelle et Éternelle

Théophanie de Tuy

DEUX allégories nous instruisent de la simplicité et de l’originalité de l’intuition première de notre métaphysique de la personne, et de la morale qui va en résulter.

L’être créé entre les mains du Créateur est comme un fœtus dans le sein de sa mère. Il dépend tout entier d’elle, et le cordon ombilical est vraiment le lien de la vie, la relation constituante. Si cet enfant avait une conscience morale, il serait reconnaissant à sa mère de cette vie qu’elle lui donne, et voudrait être en parfaite soumission à cette vie.

Nous sommes aussi en relation constante avec Dieu à l’image et ressemblance d’un astronaute qui marche sur la lune. Il dépend totalement de la base spatiale. C’est elle qui l’a envoyé, elle qui le dirige et qui le fera revenir sur terre une fois sa mission accomplie. Nous sommes donc entre les mains de Dieu notre Créateur, comme cet homme sur la lune ou bien comme ce petit fœtus dans le sein de sa mère. Nous ne nous en rendons pas compte par la force de l’habitude, mais ce qui nous définit donc, c’est cette relation à Dieu qui nous donne « la vie, le mouvement et l’être » (Act 17, 28). Reste maintenant à bâtir sur le fondement de cette relation de création, une morale.

LA MORALE DE L’ALLIANCE

Nous trouvons précisément dans la Révélation divine le concept adéquat qui exprime ce qu’est cette relation, dans sa plénitude naturelle, intemporelle, et de là dans sa réalisation concrète et historique, c’est L’ALLIANCE. Il n’y a de morale que de la relation de l’homme à Dieu ; il n’y a de morale révélée que de l’Alliance conclue par Dieu avec les Hébreux de l’Ancien Testament d’abord. C’est ce que développe Jean L’Hour dans son ouvrage magistral : La Morale de l’Alliance.

L’Alliance, explique notre auteur, est conclue à la manière d’un traité inégal, comme cela se pratiquait chez les Hittites depuis longtemps. 1. Nom et titulature du grand roi : Je suis, Je suis ; Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. 2. Rappel de ses bienfaits, de pure grâce (rien d’arbitraire par conséquent) : c’est moi qui vous ai fait monter du pays d’Égypte... qui vous ai délivré de la main de Pharaon, etc. 3. Stipulations imposées ; précepte d’attitude fondamentale : craindre Dieu, l’aimer, le servir, lui rendre un culte liturgique ; obéir à ses prescriptions particulières... 4. Bénédictions (vie et prospérité) ou malédictions (châtiments, mort) conditionnées par l’obéissance, la coopération, ou par la désobéissance, la révolte, l’infidélité.

L’Alliance n’était pas voulue pour le peuple d’Israël uniquement, mais c’est une alliance que Dieu a passée dès l’origine avec le monde entier en le créant, en le faisant passer du néant à l’être. Cette Alliance divine en germe dès la conception de l’Immaculée va se développer dans l’espace et le temps : alliance adamique, noachique, Abrahmique, mosaïque, davidique, puis elle va trouver son accomplissement dans le Christ. C’est ainsi que LA VIE DE L’HOMME, c’est l’Alliance désormais chrétienne, catholique, nouvelle et éternelle, qui la lui procure ici-bas, et au Ciel à jamais. Ce sont toutes les créatures humaines, toutes nos sociétés, qui sont les débitrices de Dieu et qui doivent passer contrat avec Lui, en bonne et due forme, en reconnaissant tout d’abord que Dieu est Dieu, le Prince, le Seigneur : « C’est Moi, Yahweh, ton Dieu, ton Créateur et ton Rédempteur. »

LA STIPULATION GÉNÉRALE

Pour répondre à l’Alliance et entrer ainsi en relation réelle avec notre Seigneur et Maître, la crainte et l’amour de Dieu, en nous, vont remonter vers Lui comme à travers un câble tressé à trois brins, trois canaux, qui sont dans notre systématisation scolastique actualisée par la prière de l’ange de Fatima : la foi, l’espérance et la charité : « Mon Dieu je crois, j’adore, j’espère et je vous aime... »

II. PREMIÈRE STIPULATION : LA FOI

Dans la phénoménologie, ou observation psychologique directe, la foi “ biblique ” est confiance, et même engagement de l’être envers Dieu, répondant à sa fidélité démontrée pour Israël, et envers Jésus aussi, comme Messie, Sauveur d’Israël. Mais attention ! au plus loin de la foi-confiance de Luther, ou de la foi aveugle en la toute-puissance arbitraire de Dieu, ou encore de l’immanence subjective des modernistes, notre acte de foi est fondé sur une connaissance objective du « Dieu en qui j’ai cru ».

Notre morale étant foncièrement la reconnaissance d’une relation originelle constituante, créatrice et providence bienfaitrice, et comme il n’y a pas de reconnaissance, sans connaissance, le premier acte et la première vertu de foi sont donc inhérents à la faculté de connaître (...). Puisque le propre de l’homme est l’intelligence, – là, Aristote et saint Thomas prennent leur revanche, si l’on ose dire – sa première relation naturelle avec Dieu comme avec n’importe quel être est un accord de vérité ; L’être objectif, l’Objet, se dévoile à l’homme, qui l’accepte tel qu’il est et s’en instruit (...). La foi, acte de connaissance du Dieu créateur, du Dieu de l’Alliance est donc la première route vers la justice envers Lui, la sainteté et la Vie... Elle établit entre Dieu et nous un rapport primordial : la vérité. Voilà pourquoi Dieu réclame de sa créature la Foi, première vertu sans laquelle les autres ne sont rien. Il n’est pas question ici de faire ou refaire les démonstrations philosophiques, théologiques, apologétiques de la validité de l’acte et de la vertu de foi, mais d’en tirer les conclusions, les conséquences morales (...).

L’Alliance a tout d’abord été contractée avec le peuple de l’Ancien Testament, puis ensuite avec l’Église catholique et son prolongement temporel, la Chrétienté. Des hommes consacrés à cet effet ont pour fonction de célébrer l’Alliance, c’est-à-dire d’exprimer leur reconnaissance vis-à-vis de Dieu pour ses bienfaits, son action en notre faveur, par un culte liturgique et de solennelles cérémonies religieuses ou nationales, en présence de tout le peuple. Le culte a toujours été l’expression ordinaire d’une réponse pleine de reconnaissance et suscitant la résolution d’un meilleur service. Adoration, Action de grâces, louanges sont ainsi les sentiments qui jaillissent des cœurs alors que se célèbre le Saint-Sacrifice de la messe, qui est par excellence le Renouvellement de l’Alliance.

La foi n’est donc pas d’abord une certitude acquise par la raison individuelle concernant la vérité en matière de religion ; si elle se développe à l’intime, c’est au sein du corps mystique qu’est l’Église, et sous la motion des dons du Saint-Esprit (...). La vertu théologale de foi, principe de toute la vie morale chrétienne et catholique, est une vertu qui est premièrement d’ordre spirituel, de connaissance poussée à sa plénitude d’amour et d’adhésion ; elle suscite une volonté de culte, de reconnaissance, de service et ainsi de retour à Dieu. Tout cela entrainant un accroissement des dons divins à l’homme en sur-proportion de sa propre pratique (...). C’est ainsi que sainte Thérèse de Lisieux enfant sachant son catéchisme et son Imitation de Jésus-Christ par cœur était plus sage et savante que les grands scientifiques qui n’ont pas la foi. Car elle voyait toutes les réalités de la vie comme Dieu les voit ; elle les voyait prises dans cette synthèse qui n’est rien d’autre, au fond, que le Credo. Le Symbole des Apôtres, la foi apostolique donc, il faut le remarquer, est bien plus l’histoire de l’Alliance divine avec le monde qu’une spéculation sur la manière d’être de Dieu (...).

La Foi n’est plus simplement une liste de vérités qu’il faut croire sous peine d’être exclus de l’Église (...). Ah non ! La Foi, c’est suivre la musique, entrer précisément dans cet univers merveilleux dont Dieu nous révèle la Sagesse ; une sagesse à laquelle nous n’aurions jamais pu penser (...). C’est donc une douce vérité qui s’impose à nous. Et c’est être fidèle à mon propre être, à ma propre dignité de personne, au trésor de mon existence, c’est pour ainsi dire m’aider à exister moi-même que reconnaître que je suis la créature de Dieu. Ce n’est pas du tout une vérité qui s’impose ! La vérité devient, selon saint Thomas, la disposition par laquelle notre âme, comme une épouse qui se donne à son époux, s’ouvre à la vérité divine qui la pénètre et qui la féconde. La foi est donc déjà de l’amour ; Mais un amour qui va rencontrer aussi des obstacles, et qu’il va falloir protéger, entretenir, faire grandir (...).

LE COMBAT DE LA FOI : POUR OU CONTRE L’ALLIANCE

L’histoire de l’Alliance a été et est toujours mouvementée. La Bible nous apprend qu’au sein même du peuple juif, les infidélités à l’Alliance ont été pour ainsi dire incessantes. Aujourd’hui, l’histoire de l’Église et des nations chrétiennes montre qu’il existe une semblable division et opposition entre les fidèles qui croient en l’Alliance puis pratiquent les exigences morales de ce traité inégal, et les rebelles qui refusent de croire et de pratiquer, formant une Contre-Église dans l’infidélité à l’Alliance.

Entre l’Absolu de Dieu, sa Souveraineté et donc la primauté de son Alliance sur tout autre projet, et l’absolu de ses bénédictions et malédictions annoncées pour le jugement dernier et la vie éternelle, l’espace de la liberté de l’homme est étroit : dire oui à Dieu, non à son adversaire, le diable. La foi, vérité de Dieu est donc absolue, souveraine, perpétuelle, universelle. Elle est le tout ou rien de l’Alliance ; sans elle ou en rébellion contre elle, Dieu se retire. « Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu » (Hb 11, 6) ; « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné. » (Mc 16, 16). Les hommes modernes s’insurgent contre cet absolutisme, imaginant tirer cette indignation de leur propre fond, alors qu’elle leur est suggérée, imposée par l’absolutisme et le totalitarisme des puissances occultes de la Contre-Église !

LE PÉCHÉ CONTRE LA FOI : LA LIBRE PENSÉE

Jean L’Hour signale que la tentation des Hébreux a été de considérer l’Alliance de Dieu avec Israël comme un traité d’égal à égal. L’homme moderne en est là quand, dans son “ autisme ”, il pose le problème de Dieu, du Christ, de la Religion à partir d’une situation acquise, comme si Dieu n’était pas Seigneur ! Il se veut substance autonome, il a des droits ; la société est par principe profane et laïque, et se doit d’être au service des individus ; il étudie le problème religieux en dilettante, en sociologue, par lui-même et pour lui-même. Il choisira donc dans le Panthéon des religions celle qu’il lui plaira, mais tout comme les autres, elle n’aura qu’une valeur subjective. Cet aveuglement collectif est tellement contraire à la réalité.

L’individu est créature, tout relatif à Dieu qui lui offre son Alliance dans tous les termes d’un contrat qui se soldera au terme de son existence terrestre par un jugement de vie s’il a été fidèle à Dieu, de mort éternelle s’il s’est sans cesse rebellé contre Lui. La société n’est pas neutre, laïque, mais elle est Chrétienté dans la fidélité intégrale à l’Alliance, ou Contre-Église qui fait pression ouverte ou occulte, contre l’Alliance...

L’Église a réagi dogmatiquement et infailliblement contre la montée en puissance de cette Contre-Église : le pape Pie VI (1791) en condamnant l’égalité et la liberté de tous les hommes ; Grégoire XVI en condamnant la liberté de conscience et d’opinion (1832) ; Pie IX (1864) en condamnant la liberté civile de toutes les religions. Aux yeux des saints de tous les temps, la liberté absolue est une liberté de perdition... Le concile Vatican II par le décret Dignitatis humanae sur le droit social à la liberté en matière de religion a opéré une rupture de tradition, commis une infidélité majeure à l’Alliance pour n’avoir pas compris ceci : l’intelligence et le cœur de l’individu humain frappés par le péché originel ne sont ni assez forts, ni assez droits pour aller au vrai et s’y maintenir. Ils sont très dépendants du spectacle de la société, de ses enseignements et de ses lois. C’est pour cette raison que l’orgueil de l’homme et sa revendication de liberté ont progressé de siècle en siècle : du libre examen de Luther et de Calvin au libéralisme du dix-neuvième siècle, à l’indifférentisme et à l’athéisme du vingtième, nous voici maintenant au plus fort de la Grande Apostasie prédite par les Écritures.

III. LA DÉFENSE DE LA FOI

Puisqu’il y a maintenant jusqu’au milieu de notre société, des êtres humains qui n’ont pas la foi et qui donc n’ont aucune idée de cette Alliance divine avec nous ; ou bien qui ont d’autres religions qui sont différentes et, de toute manière, contraires à la religion de l’Alliance, notre foi devient un combat de l’intelligence et de tout l’être (...). Elle ne peut se garder qu’en s’exerçant, et elle s’exerce par un ensemble de pratiques pieuses, d’exigences, d’obligations morales prescrites par l’Église. Si elle nous fait commandement et impératif de ces préceptes sous peine de péché et parfois de péché mortel, c’est tout simplement parce qu’elle pense que sans l’obéissance à ces préceptes, notre foi sera en grand danger de périr.

Terminons cette troisième partie par une énumération de ce qui est moralement nécessaire à la fidélité que nous devons à Dieu, et donc nécessaire à notre salut éternel.

LES PRATIQUES DE LA FOI EN L’ALLIANCE

Le fidèle doit professer sa foi, rendre ainsi à Dieu un culte. C’est pourquoi il prie chaque jour, matin et soir. C’est dans le cœur à cœur de la prière, de l’oraison, que la lumière de la foi et les dons du Saint-Esprit lui seront communiqués. Sa foi ne survivra que si elle est perpétuellement alimentée par une grâce que Dieu ne donne qu’à celui qui demande et qui remercie Dieu des bienfaits obtenus. Le fidèle catholique entretient et nourrit sa foi lors de la messe dominicale par les lectures de l’Écriture Sainte et l’homélie ; par la lecture de la vie des saints, les pèlerinages, le grand culte annuel de la fête de Pâques... Les enfants suivent le catéchisme, et les parents s’instruisent perpétuellement de la foi en puisant aux saintes sources de la sagesse de l’Église, ses docteurs, ses saints et ses Souverains Pontifes, etc...

Dans la demeure du fidèle chrétien, sur ses propriétés, dans son univers domestique, des images religieuses, crucifix, croix de chemin, statues, etc. entretiennent une vie de foi belle et sensible au cœur. Dans ses conversations privées ou publiques, il ne craint pas d’affirmer sa foi catholique. Elle n’est pas pour lui une opinion personnelle, il se sait représentant de l’Alliance, son “ ambassadeur ”. Dans les périodes difficiles, cette fidélité pourra aller jusqu’au martyre. Si notre foi ne remplit pas cette obligation, Dieu nous supprimera son Alliance : « Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l’homme rougira, lorsqu’il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges. » (Lc 9, 26)

POUR QUE SON RÈGNE ARRIVE SUR LA TERRE

Notre foi doit être soutenue par l’autorité de l’Église, elle-même protégée et encouragée par l’État, comme au temps béni de la Chrétienté. Nous avons besoin qu’elle nous donne des institutions, des écoles, des hôpitaux chrétiens, que le nom de Dieu règne partout. Le chrétien libéral, qui accepte d’être chrétien pour lui-même, mais qui ne veut imposer la charge du christianisme à personne va contre l’Alliance divine.

Dans le gouvernement des grandes choses humaines, cette Alliance divine est la seule règle qui s’impose aux nations et à l’univers tout entier. C’est pourquoi l’Église doit armer les Princes et les Nations pour la défense de la Chrétienté. Tel est la Croisade. Elle doit faire aussi respecter la foi par ceux qui l’ont jurée, en démasquant et en condamnant les hérétiques : c’est l’Inquisition. Le Christ doit régner, n’est-il pas « le Roi des rois, le Seigneur des Seigneurs » (Ap 17, 14) ?

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du 19 décembre 1985

En audio/vidéo seulement :
  • O 2 : La fidélité à l'Alliance divine, Nouvelle et Éternelle, mutualité 1986, 1 h (aud./vid.)

Références complémentaires :

Pour une synthèse écrite de la morale totale présentée selon les trois vertus théologale :
  • Dans le tome 5 de Il est ressuscité ! :
    • Catéchèse mariale, n° 35, Juin 2005, p. 9-22 (aud/vid : L 134.1)
Méditations :
  • Dans les Pages mystiques, tome 1 :
    • Que demandez-vous à l'Église de Dieu ? - La foi, Juin 1972
    • Premier nocturne : ténèbre de foi, Février 1974
Études polémiques :
  • Etre fidèle seul importe, lettres à mes amis, tome 4, n° 248, juin 1967, p. 1-2
  • Lettre sur le fonds commun obligatoire des nouveaux catéchismes. III. Fausse mystique et humanisme païen en guise de morale, CRC tome 1, n° 9, Juin 1968, p. 3-14
  • Préparer Vatican III. 11e constitution : La perfection de l'amour, CRC tome 4, n° 61, octobre 1972, p. 3-11