Morale totale
Morale des relations terrestres
Être père dans l'Alliance divine
LES INTUITIONS MÉTAPHYSIQUES FONDATRICES DE NOTRE MORALE TOTALE
« L’intuition de l’existence génuine des êtres nous a conduits directement à l’Existence pure, libre de toute limite extérieure, de toute structure “ cloisonnante ” ou nature intérieure. S’il n’existait qu’un seul être, il faudrait que ce soit un pur Être, un Acte infiniment parfait, spontané, vrai, infini... Cette pure Existence, ce Réel absolu, c’est Lui que les religions nomment Dieu, le Tout-Puissant, l’Unique. La Bible le confirme merveilleusement quand elle nous livre le Nom du Dieu vivant révélé à Moïse : YaHWeH, c’est-à-dire JE SUIS. Étonnant, unique, incomparable accord de la religion révélée avec l’intuition métaphysique fondamentale !
« L’étape suivante de notre métaphysique existentielle fut de saisir la relation de nos existences à cet Être infini, relation dite de création qui explique les êtres contingents par leur origine en JE SUIS. Cette relation constituante, antérieure à leur essence, à leur substance, à leurs accidents, est leur cause totale, existentielle, concrète. Ce lien évoque un acte divin, un jaillissement de la pensée, de la volonté, de l’énergie, de JE SUIS, dont chaque créature est l’objet, le terme, le produit. Dès lors, cette relation constitue notre être, exprime notre valeur, notre dignité, commande notre agir (...).
« La découverte centrale de notre transphysique a été celle de la correspondance plus qu’étroite, confinant à l’identité, de la relation verticale de Dieu à chaque créature la constituant dans sa totalité individuelle concrète, avec l’ensemble de ses relations horizontales, à son environnement qui en est aussi, à sa manière, la cause, la limite, la détermination accidentelle. Nous avons compris que la relation divine de création précontenait toutes ces relations au monde, d’une infinie complexité et réciprocité, et constituait ainsi chaque substance, en lien avec les autres, partie de l’univers, élément irremplaçable de sa plénitude (...).
« Une telle découverte devait apporter une profonde révolution dans l’anthropologie naturelle et, de là, en politique et en morale (...). Pour nous penser et créer personnellement, Dieu nous situe, nous insère et nous particularise dans le réseau des relations aux autres, et tout premièrement en nous faisant enfants de nos parents, effets de notre hérédité, membres interdépendants de notre monde et de notre société (...). [Métaphysique totale et mystique catholique in CRC no 182 ; octobre 1982, p. 8-9 ; en audio : Méta 11]
Ces intuitions métaphysiques justifiées et enrichies par la Révélation, les acquis de notre morale totale, morale de l’alliance et donc morale religieuse peuvent se résumer ainsi : « Ô mon Dieu, vous m’aimez de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces et de tout votre esprit... et vous aimez mon prochain comme moi-même en vue de votre gloire et de notre béatitude éternelle. » Si l’amour de Dieu nous rejoint tous par la relation verticale de création et les principales relations horizontales attenantes, c’est par le biais de ces mêmes relations que nous allons rendre à notre Créateur amour pour amour et participer à son dessein.
I. ÊTRE PÈRE DANS L’ALLIANCE DIVINE
Au contraire d’Aristote pour qui « être père n’est qu’un accident pour l’homme », la Paternité est la relation première de notre Morale particulière. C’est une expérience riche et confuse, un événement inoubliable : une vie est sortie de moi, cet être est de moi, fils, fille et le sera toujours. Je suis avec mon enfant en relation constituante à l’image et à la ressemblance de la paternité créatrice, tandis que de lui à moi, la relation réciproque de filiation lui fait dire : sans mon père, je n’existerais pas. L’épouse, nous le verrons dans une prochaine leçon est évidemment associée à cette œuvre de paternité...
LA PATERNITÉ : DON ET GLOIRE DE DIEU OU GLOIRE DE L’HOMME ?
1. L’esthétique, ou développement des sentiments que fournissent les intuitions diverses des choses, ici, de la paternité, produit deux grands mouvements distincts, contraires. Soit admiration et timidité dans l’intuition du don de Dieu, cette procréation qui est participation à la Puissance créatrice : Dieu m’a donné un enfant pour que je le serve, Lui, en éduquant bien cet enfant. Soit orgueil de l’homme, qui fier de lui, ne voit dans cette paternité qu’un surcroît d’autorité et de pouvoir. Il refuse l’origine divine : cet enfant est et sera pour sa propre gloire.
2. La conscience religieuse, intuition de l’Alliance divine, dit le bien, naturel ou surnaturel, et y attire, y oblige ; elle dénonce le mal irréligieux, en éloignant et interdisant avec menaces de sanctions. Le bien, c’est la sujétion filiale à Dieu, Père de tous. L’homme devenu père, comblé par Dieu et reconnaissant, exercera sa paternité avec autorité, mais dans une filiale dépendance vis-à-vis de celle de Dieu. Subsidiairement, ce don de la paternité, comme relation, passe aussitôt avant et l’emporte sur tout autre don visant le seul individu : la relation aux autres (au fils) définit la vocation personnelle (du père) avant son propre épanouissement naturel individuel. La paternité est alors un service divin dans sa source et allant à un plus grand bien que l’en-soi.
Le mal, c’est l’impiété du père qui s’arrête à la considération de sa paternité sans la rapporter à Dieu comme à sa source : aucune reconnaissance, partant aucune dépendance dans son exercice. Le père humain se dit créateur, et son pouvoir se prétend absolu, arbitraire et sans limites. Subsidiairement, ce pouvoir ne passera pas avant ni ne l’emportera sur l’intérêt propre de l’homme, il sera au contraire un nouveau moyen de domination.
Telles sont les deux options fondamentales de la paternité, l’une est rapportée au culte de Dieu, l’autre au culte de l’homme.
II. PORTRAIT-ROBOT DU MAUVAIS PÈRE
Dans sa famille, il ne parle pas de religion, mais fait étalage de grands principes philosophiques, il est sûr de lui. Il tranche de Jésus-Christ, du Pape, de tout sans connaissance, mais c’est lui le père, fort et dominateur (...) !
Libéral ou socialiste, il appartient au Rotary club ou à la franc-maçonnerie. Il a ses idées politiques ou fait profession de ne pas en avoir ; c’est la même disposition fondamentale : il n’a ni amour, ni respect, ni dévouement à la Nation, à la Patrie, au patrimoine. Il adhère à la démocratie, parce que ce régime promeut le culte de l’homme individuel qui lui permet de s’imposer. Il manifeste sa volonté d’indépendance, refuse d’être sujet de quelqu’un ; il est contre les chefs, les juges, les professeurs, l’armée, les prêtres, toutes ces autorités qui dominent la sienne. Il n’est pas héritier ni gérant des biens de famille, c’est un propriétaire, maître chez lui (...).
Il est ambitieux, secret, travailleur acharné. La preuve de sa valeur c’est son savoir et son pouvoir, manifestés au travail. Il travaille le dimanche pour son métier, la commune, le syndicat ou la maison. Il conduit l’auto, lui seul ! Il a un ordinateur et s’y absorbe. Il ne tient pas au courant sa femme et ses enfants de son travail. Il administre seul les finances de la famille et ne tient personne au courant de ses affaires.
Dans l’amour conjugal, il est sensuel, dominateur. Il est passionné du corps de sa femme, mais elle ignore tout de l’esprit, de l’âme et du cœur de son époux. Son plaisir, même là, est la seule loi : son épouse est son esclave. C’est lui qui décide d’avoir des enfants ou non. À elle le souci des moyens. Les enfants, on en a deux, à la rigueur trois ! Cet homme, fier d’avoir quelque enfant, ne s’y intéresse pas, il les terrorise avec satisfaction. Plus tard, il profitera d’eux, tentera de les subjuguer. Il aura sa fille privilégiée, la comblant outrageusement de cadeaux. Il se reconnaîtra avec tout son orgueil dans son fils aîné. Quand les enfants lui échapperont, eux-mêmes recommenceront le cycle de la rébellion, de l’orgueil, du “ meurtre du Père ” avec d’autant plus de facilités que lui, l’impie, le dominateur, le sensuel, le cruel, leur paraitra objectivement un pauvre type, égocentrique et bête. Ils feront pareil, ou pire, en croyant faire mieux !...
Ce qui est très grave, c’est que c’est notre morale classique, et même aujourd’hui ecclésiastique qui produit ce genre d’hommes. Ce ne sont pas des hommes pécheurs ni des criminels, ce sont des hommes qui sont formés dans et par une société révolutionnaire, laïque, individualiste, dont toute la philosophie tourne à l’autonomie de l’homme, et donc à la révolte contre Dieu et à l’indifférence vis-à-vis du prochain (...). Un texte du cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, sur « la liberté et la libération » affirme même que « l’homme est cause de soi », autant dire que l’homme est Dieu et qu’il ne doit rien à personne !...
III. LA PATERNITÉ DE NOTRE MORALE CHRÉTIENNE, TOTALE, HUMAINE
Dans la plénitude de l’Alliance chrétienne – toute paternité venant de Dieu (Ep 3, 15) – l’homme est père à l’image de Dieu le Père, il participe à sa Paternité. Cette relation l’établit comme un Dieu, fils de Dieu (...) et l’engage dans un triple rapport à Dieu, au monde, à sa progéniture. Il honorera ce triple lien en étant l’homme de la prière et de la fidélité à Dieu, au travail, en famille et vis-à-vis de sa Patrie.
HOMME DE FOI
Le père chrétien, s’il a une très haute conscience de sa dignité, reste modeste, cordial, sociable. Il doit assumer une tâche qui le dépasse, et sa première intention, sa première pensée est d’appeler Dieu qu’il adore et respecte à son secours (...). Il n’y a pas de véritable chef de famille qui ne commence par se mettre à genoux devant sa femme et ses enfants, pour prier Dieu (...).
Ainsi la première loi morale de la paternité, c’est une foi intégrale, une foi certaine fondée sur des preuves, une foi publique. Son autorité ne peut être inébranlable que dans la mesure où elle est fondée sur les Mystères de Dieu. Le père acquiert une noblesse, une dignité dans la mesure où sa foi en fait le garant de l’existence des choses surnaturelles (...). Il se rend compte qu’en devenant père, c’est un peu comme un sacerdoce qui lui a été conféré par Dieu. C’est à lui que revient le devoir de faire pratiquer la religion dans le cercle familial, et ainsi de donner jour après jour à sa maison son atmosphère religieuse.
OBÉISSANCE AUX COMMANDEMENTS DE DIEU ET DE L’ÉGLISE
Cela commence par la mise en œuvre des trois premiers commandements de Dieu, qui visent précisément le culte de Dieu. Il appartient au père de montrer publiquement aux siens qu’il est enfant de Dieu, aimant, adorant, obéissant. Il va lutter contre tout blasphème, toute critique de la religion, toute colère contre la volonté de Dieu ou la Providence, parce qu’il est le chef religieux de la famille. Du même mouvement il l’entraine à la pratique des six commandements de l’Église : Le respect des fêtes d’obligation (1), l’assistance à la Messe du dimanche et des jours de fête (2), la confession et la communion annuelle (3 et 4), le jeûne et l’abstinence (5 et 6). Ces obligations sont rendues aimables, car parfaitement intégrées à la vie familiale ainsi d’ailleurs que les saints divertissements organisés par le père pour l’instruction, la détente, la joie de vivre de tous.
C’est ainsi que la Chrétienté s’est bâtie sur l’ordre de l’autorité paternelle. La Révolution française de 1789, par violence, puis la République par ses lois jusqu’à nos jours, n’a eu de cesse de la détruire. Nous assistons donc à la ruine morale et spirituelle de nos familles.
TRAVAIL, FAMILLE, PATRIE
Par le quatrième commandement : « Tu honoreras ton père et ta mère, afin de vivre longuement », on enseigne aux enfants qu’il faut s’occuper des grands-parents, leur donner les sacrements quand vient le temps, voir à ce qu’ils se convertissent avant de mourir, etc.
Dans la ligne de cette fidélité aux aïeux, le père de famille aura à cœur de communiquer l’amour de la Patrie, la sagesse de notre nationalisme catholique. Cela peut se résumer en six devoirs : étudier, aimer, raconter le passé chrétien, national, humain de la Patrie. Conserver, soigner, embellir le sol, les maisons, les mœurs, la race : si on a une maison, la garder coûte que coûte, car c’est pour la formation de nos enfants, le bien de la civilisation. Participer aux grands services de la Nation : impôt de la défense (celui du sang) contre les menaces extérieures ; impôt en argent, pour assurer la paix, l’ordre, la bonne vie quotidienne. Aider au maintien de l’esprit public et au gouvernement de la communauté en ses différents ordres en participant aux fonctions publiques, communales, syndicales. Honorer, sanctifier ses propres parents ; étendre ce respect et ce soin à toutes les autorités temporelles et spirituelles, tutrices et protectrices de la famille.
L’alliance, don de la vie appelle la vie ; l’instinct de reproduction est premier et passe avant l’instinct sexuel et la liberté d’un chacun. Toute la dignité du père réside dans son désir d’avoir des enfants et de bien les éduquer. Continuer la “ race ” dans la religion, l’honneur, le respect mutuel et dans la soumission aux parents, tel est le sacrement de mariage. Procréer des enfants, c’est subvenir aux besoins de Dieu, de la Patrie, et faire ainsi la grandeur de la famille. La femme le veut pour d’autres raisons, mais lui, le père, le veut pour le bien de l’Église, de la Patrie et de la famille. D’où les sixième et neuvième commandements, sur la fidélité de l’homme à sa femme, le respect de sa femme, la chasteté conjugale. Avant le mariage il faut qu’il se garde pour l’ensemencement qu’il doit faire. Il n’y a rien de meilleur que la chasteté pour cela.
La dernière partie de cette vocation du père, c’est le travail, le souci du pain quotidien. C’est pourquoi le jeune homme doit étudier sérieusement pour acquérir une compétence, et trouver ainsi un emploi capable de subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants. S’il le peut, il choisira de préférence une situation où il ait une certaine indépendance afin de pouvoir faire régner dans sa famille la loi qu’il veut. Bien gagner sa vie, c’est un bon désir si c’est pour servir et donner davantage, en participant à la civilisation : soutien de l’Église, souci de son expansion missionnaire, défense des écoles catholiques etc.
C’est formidable d’être père de famille ! On dit que ce sont les grands aventuriers du monde moderne... Si c’est pour mettre en œuvre le programme que je viens de tracer, c’est magnifique ! Mais il faut avoir les épaules larges, il faut s’y prendre tôt et être soutenu...
Abbé Georges de Nantes
Extraits de la conférence du 17 avril 1986