SAINTE MARGUERITE-MARIE
IV. Apparitions du Sacré-Cœur
EN cette fin d’année 1673, notre sœur Marguerite-Marie est prête à recevoir la grande révélation de Dieu, ce « dernier effort de son amour » pour les hommes ingrats. De nombreuses âmes mystiques avaient eu, bien avant Paray-le-Monial, le privilège de s’ouvrir à cette dévotion au Cœur de Jésus, mais avec sainte Marguerite-Marie, ce culte se précise et s’universalise.
Le 27 décembre, jour de saint Jean l’Évangéliste, Jésus lui fait une grâce semblable à celle que reçut le disciple bien-aimé au soir de la Cène :
« Après m’avoir fait reposer plusieurs heures sur cette sacrée poitrine, je reçus de cet aimable Cœur des grâces dont le souvenir me met hors de moi-même. »
Son expérience ne s’arrête pas à cette impression intime, mais elle est l’ouverture d’une révélation. Elle voit ce divin Cœur « environné d’une couronne d’épines qui signifiait les piqûres que nos péchés lui faisaient. Et une Croix au-dessus qui signifiait que, dès les premiers instants de son Incarnation, c’est-à-dire que dès lors que ce Sacré-Cœur fut formé, la Croix y fut plantée. »
Ce Cœur est blessé par les « humiliations, pauvreté, douleurs et mépris » que cette Sacrée Humanité a soufferts durant sa vie et en sa Passion.
« Et il me fit voir que l’ardent désir qu’il avait d’être aimé des hommes et de les retirer de la voie de perdition où Satan les précipite en foule, lui avait fait former ce dessein de manifester son Cœur aux hommes », afin qu’ils lui rendent « tout l’honneur, l’amour et la gloire qui seraient à leur pouvoir ».
Pour sauver les âmes de l’enfer, Dieu veut établir dans le monde la dévotion au Cœur de Jésus, ultime miséricorde précédant la dévotion au Cœur Immaculé de Marie qui sera demandée à Fatima, dans l’apparition du 13 juin 1917. Jésus désire être honoré « sous la figure de ce Cœur de chair » et que cette sainte image « soit exposée et portée sur moi, sur le cœur pour y imprimer son amour (…). Partout où cette sainte image serait exposée pour y être honorée, Il y répandrait ses grâces et bénédictions. »
Ces promesses se monnaient donc par des actes précis. Cette sainte image est « en ces derniers siècles », notre moyen de salut.
En 1674, Marguerite-Marie quitte l’infirmerie où elle avait été placée comme aide-infirmière l’année précédente, auprès d’une sœur fort zélée qui la fit beaucoup souffrir par ses rudesses et ses reproches continuels. On la nomme maîtresse des sœurs du Petit-Habit, c’est-à-dire des fillettes confiées à la Visitation.
« Elle était indulgente et bonne pour les fautes de son petit troupeau (…). Un ange du ciel n’aurait pas inspiré plus de vénération à ce petit groupe d’enfants que l’humble sœur Alacoque. »
Ce sera une occasion nouvelle de souffrance pour notre sainte, qui se voit l’objet d’un culte et d’une admiration continuelle de la part de ces enfants.
Cette même année, « Jésus-Christ, mon doux Maître, se présenta à moi tout éclatant de gloire, avec ses cinq plaies brillantes comme cinq soleils ». Notre sainte a réellement vu le Corps de Jésus-Christ, sa chair transfigurée, resplendissante, d’où « sortaient des flammes de toute part », dont le Cœur était « la vive source ».
« Il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour » auquel ne répond que « l’ingratitude des hommes. »
« Ils n’ont que des froideurs et du rebut pour tous mes empressements à leur faire du bien ».
Et Jésus demande à l’humble visitandine, et par elle à chacun d’entre nous, quelque retour d’amour manifesté par des pratiques de dévotion : Il veut la communion fréquente, une heure de veille toutes les nuits du jeudi au vendredi pour apaiser la divine colère et pour consoler Jésus dans son agonie, ainsi que la communion, chaque premier vendredi du mois.
Cette apparition la laisse tout hors d’elle-même, ce qui crée un nouveau scandale dans la communauté : « L’on me fit parler à quelques personnes de doctrine, lesquelles, bien loin de me rassurer dans ma voie, augmentèrent encore plus mes peines. ». Ces théologiens, perfides, l’ont jugée d’après les apparences, sans rien examiner réellement. On pourrait facilement les comparer à Caïphe, Hérode et Pilate condamnant Jésus.
« L’on crut que j’étais possédée, et l’on me jetait force eau bénite dessus avec des signes de croix, avec d’autres prières pour chasser le malin esprit. Mais Celui dont je me sentais possédée, bien loin de s’enfuir, me serrait tant plus fort à lui, en me disant : “ J’aime l’eau bénite et je chéris si fort la croix, que je ne peux m’empêcher de m’unir étroitement à ceux qui la portent comme moi, et pour l’amour de moi. ” »
Alors elle se plaint à Notre-Seigneur et demande à être dirigée par quelqu’un. Jésus lui envoie en février 1675, un saint homme, extraordinairement distingué, cultivé, très brillant. Il s’agit de saint Claude La Colombière. Nommé depuis peu Supérieur de la résidence et confesseur du couvent de la Visitation afin qu’il s’occupe du cas de sainte Marguerite-Marie, il arrive à Paray, se rend tout de suite au couvent et « comme il parlait à la communauté, j’entendis intérieurement ces paroles : “ Voilà celui que je t’envoie. ” ». Et lui-même confie à Mère de Saumaise, en apercevant, sans la connaître, cette jeune religieuse qui se tient parmi les autres : « C’est une âme de grâce. »
Après que la mystique se soit ouverte à lui sur ordre de ses Supérieures, il reconnait en elle l’authenticité de toutes ses grâces. Mais la consolation que tire notre sainte de ces entretiens lui coûte par ailleurs « bien des humiliations », « et lui-même eut beaucoup à souffrir à cause de moi : car l’on disait que je voulais le décevoir par mes illusions. »
« Une fois qu’il vint dire la sainte messe à notre église, Notre-Seigneur lui fit de très grandes grâces et à moi aussi. ». Elle voit le cœur du Père La Colombière et le sien se plongeant dans le Cœur de Jésus ; Celui-ci fait entendre à sa confidente que « cette union était toute pour la gloire de son Sacré-Cœur, dont Il voulait que je lui découvrisse les trésors, afin qu’il en fit connaître et en publiât le prix… »
Cette même année a lieu le grand Message de juin 1675 : « Étant une fois devant le Saint-Sacrement, un jour de son octave », Jésus apparaît à celle qu’Il nomme “ la disciple bien-aimée de mon Sacré-Cœur ” :
« Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour. Et pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et mépris qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour. »
Il lui demande la diffusion de la dévotion au Sacré-Cœur ainsi qu’une fête spéciale en son honneur, « en lui faisant réparation d’honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu’Il a reçues pendant le temps qu’Il a été exposé sur les autels ».
En retour, Son Cœur répandra « avec abondance les influences de son divin amour sur ceux qui Lui rendront cet honneur ».
Dès le lendemain, le Père La Colombière et elle-même se consacrent au Sacré-Cœur. En septembre 1676, le saint jésuite est envoyé en Angleterre, et notre sainte perd son seul ami et défenseur sur la terre. Elle lui restera cependant toujours très attachée, dans le Cœur de Jésus.