VI. L'immolation pour le salut des âmes mortes

EN cette année 1677, Notre-Seigneur est fort en colère contre la Visitation de Paray-le-Monial, où tant de religieuses lui sont infidèles. Il désire que sainte Marguerite-Marie s’interpose pour le salut de ces âmes qu’Il est en train de réprouver, comme lui, Jésus, s’est interposé devant son Père, prenant sur Lui nos péchés et mourant sur une Croix pour nous sauver.

Sacré-Coeur« M’ayant, une fois, montré les châtiments qu’Il voulait exercer sur quelques âmes, je me jetai à ses pieds sacrés, en lui disant : “ Ô mon Sauveur, déchargez plutôt sur moi toute votre colère, et m’effacez du livre de vie, plutôt que de perdre ces âmes qui vous ont coûté si cher ! ”

Et Il me répondit : “ Mais elles ne t’aiment pas et ne cesseront de t’affliger.

– Il n’importe, mon Dieu ; pourvu qu’elles vous aiment, je ne veux cesser de vous prier de leur pardonner… ” »

Saint François de Sales apparaît aussi à sa fille de prédilection, mais c’est pour se plaindre de l’absence de charité de ce couvent, contre lequel Dieu est très courroucé. Le 2 juillet 1677, la divine Bonté se montre inflexible à la prière de notre sainte pour son Institut :

« Ne m’en parle plus. Ils font la sourde oreille à ma voix [ce “ ils ” désignent pourtant les religieuses] et ils détruisent le fondement de l’édifice. S’ils pensent de l’élever sur un étranger, je le renverserai. »

La Sainte Vierge intercède alors pour “ les filles de son Cœur ” : « Déchargez sur moi votre juste courroux… »

Sainte Marguerite-Marie assiste alors à un dialogue pathétique entre la justice divine et la miséricorde du Cœur de la Vierge Marie, toute-puissante sur le Cœur de son Fils :

« … je leur serai un manteau de protection qui recevra les coups que Vous leur donnerez. 

– Ma Mère, vous avez tout pouvoir de leur départir mes grâces comme il vous plaira… »

La “ Reine de bonté ”, ayant obtenu un délai, provoque la rage de Satan : « chassé honteusement par celle qui nous défendait, il rompit deux fois les rideaux de notre grille »

À la Retraite d’automne, sainte Marguerite-Marie se prépare à se confesser. Elle est affligée de douleur et de peine à la vue de ses propres péchés : « je ne cessais de pleurer pendant l’espace de cinq ou six heures »

« Et après cela, mon pur Amour venant à se présenter devant moi, me dit : “ Ma fille, veux-tu bien me sacrifier les larmes que tu as versées pour laver les pieds de ma bien-aimée [la Visitation] qui s’est souillée en poursuivant un étranger ? ” »

Jésus recueille les larmes de l’élue de son Cœur et arrose les âmes des visitandines afin de les purifier.

Mais “ le Seigneur se lasse d’attendre ” : « Mon amour cédera enfin à ma juste colère pour les châtier (…). Leur cœur étant vide de charité, il ne leur reste plus que le nom de religieux. ».

Sainte Marguerite-Marie intercède sans cesse pour les âmes des cadavres spirituels qu’elle trouve sur son chemin et qui font tant horreur à la justice et à la sainteté de Dieu, surtout quand ce sont des âmes religieuses qui sont en cause :

« Tous religieux séparés et désunis de leurs supérieurs se doivent regarder comme des vases de réprobation (…). Ces âmes sont tellement rejetées de mon Cœur que plus elles tâchent d’en approcher par le moyen des sacrements, oraison et autres exercices, plus je m’éloigne d’elles pour l’horreur que j’en ai (…) Et après tout, c’est en vain qu’il [le religieux] gémira à la porte de la miséricorde, il ne sera point écouté si je n’entends la voix du supérieur. »

Notre-Seigneur se plaint un jour de l’infidélité d’une sœur, « qui me perce le cerveau d’autant d’épines, autant de fois que par orgueil elle se préfère à moi. », et prie notre sainte de retirer ces épines « par autant d’actes d’humilité pour honorer Ses humiliations ».

C’est vers cette époque que notre Père situe “ deux gestes fous d’une excessive mortification ” qui la préparent au physique à revivre ce grand Mystère de la Rédemption, où elle prendra sur elle les ordures spirituelles de toutes ses sœurs :

« Elle se livra à un acte si répugnant à la nature que personne au monde n’aurait pu le conseiller ni le permettre. Notre-Seigneur même dut arrêter son héroïque servante, puis il lui dit : “ Tu es bien folle de faire cela ! 

« Oh ! Mon Seigneur, reprit-elle, je le fais pour vous plaire et pour gagner votre divin Cœur… »

Mais l’Époux divin demande encore davantage : « Il faut que tu te rendes la victime d’immolation de mon Cœur afin que, par son entremise, tu détournes les châtiments que la justice irritée de mon Père veut exercer contre ta communauté. »

L’Agonie

    À moitié tremblante, notre sainte diffère. N’osant se sacrifier, elle résiste durant plusieurs jours, provoquant la colère de Dieu : « Il t’est bien dur de regimber contre les traits de ma justice ! ». Et il lui demande alors un sacrifice public de tout son être. Mère de Saumaise avertie, ordonne à la pauvre sœur d’obéir à cette exigence de Dieu.

La Passion.

Dans la nuit du 20 au 21 novembre, juste avant de réciter les Matines de la Présentation, notre sainte dut déclarer devant toutes les sœurs réunies, que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui avait donné ordre de s’offrir en victime pour expier les péchés de la communauté… La supérieure avait prescrit en sus à toutes les religieuses de prendre la discipline après l’office de nuit, en réparation des péchés qui offensent Dieu.

« Cet ordre subit parut fâcheux à toutes les religieuses qui n’étaient ni mortifiées ni obéissantes. Le nombre en était grand et elles se mutinèrent aussitôt contre celle qu’elles jugèrent être la cause de cette alarme. »

Après les Matines, « au mépris du silence et encore plus de la charité, elles commencèrent à faire à la servante de Dieu toutes sortes d’insultes. Elles se mirent à lui faire des reproches, à la railler, à la questionner avec indiscrétion, mais elle ne répondait rien et se tenait immobile à genoux, les mains jointes… » C’était le grand silence religieux de la nuit monastique que nul ne doit troubler...

Notre sainte a charitablement atténué tout cela dans son récit, écrit par ordre de ses supérieurs, mais elle avoue cependant : « je puis assurer que je n’avais jamais tant souffert… ». On peut logiquement en conclure qu’elle fut frappée au visage et brutalisée.

Le lendemain, la mère supérieure « lui envoya ordre d’aller à la Messe et d’y communier (…). Dans la communion, Notre-Seigneur lui fit entendre ces paroles : “ Enfin, la paix est faite et ma sainteté de justice est satisfaite par le sacrifice que tu m’as fait ” ».

Cependant cette paix « ne la tira pas de l’état souffrant et humilié où il l’avait réduite », et cet acte qui avait été d’un si grand mérite devant Dieu « fut longtemps, aux yeux des sœurs qui ignoraient les mystères de Dieu, une matière de reproche et un sujet de confusion pour la sœur Marguerite. »

Mais ce sacrifice consenti pour leur salut, leur obtint la grâce de la conversion.