LA GRANDE GUERRE DE 1914-1918
10. L’Armistice de 1918, à qui la faute ?
« Jamais Wilson, Lloyd George et Clemenceau n’auraient osé résister à la volonté d’un chef victorieux qui leur aurait dit que l’intérêt vital était de prolonger la guerre de quinze jours. » Maréchal Pétain, propos recueillis par Sauerwein en juin 1939.
Nous avons vu les combats de 1918 et la course à la victoire, et comment celle-ci fut interrompue par un armistice prématuré, inexplicable du point de vue militaire, imposé par Foch avec une étrange détermination, contre l’avis de ses subordonnés.
Il nous faut maintenant reprendre chronologiquement tous les événements de cet automne tragique, en distinguant d’une part la chronologie des combats – déjà bien connue de nous –, d’autre part les négociations diplomatiques entre les États belligérants, et à la jonction entre les deux, les interventions des principaux chefs militaires.
Ces derniers peuvent être considérés en trois groupes distincts :
– Le maréchal Foch en compose un à lui tout seul.
– Le général Pétain, le général de Castelnau et leurs états-majors forment le deuxième.
– Le groupe de Franchet d’Espèrey forme le troisième.
Nous garderons à l’esprit que la diplomatie des politiciens – qui poussait à l’armistice – ne pouvait agir sans l’aval des militaires, selon le mot du maréchal Pétain cité en exergue.
LES ALLEMANDS PERDENT PIED
Le 15 juillet, la Friedensturm est arrêtée par Pétain et Gouraud, puis repoussée le 18 juillet, dans une victoire dont Foch s’est attribué le mérite, mais qui a été préparée par Pétain et exécutée par ses hommes, selon sa stratégie.
Le 24 juillet, Foch réunit les commandants en chef alliés à Bombon pour leur donner ses ordres. C’est normal, il est généralissime, on ne peut pas le lui reprocher. À cette occasion, Clemenceau le prévient qu’il va être nommé premier maréchal de France. Ce qui est fait le 7 août.
Le lendemain, 8 août, sans en avoir rien dit à Clémenceau, il déclenche l’offensive franco-anglaise de Montdidier. Quand le Président du conseil français l’apprend, il en est furieux et les relations entre les deux hommes commencent à se gripper.
La victoire cependant est de conséquence. Hindenburg l’a qualifiée de « jour de deuil de l’armée allemande ». C’est à partir de là que Ludendorff renonce à reprendre l’initiative de la bataille.
Le 7 septembre, tandis que les Allemands se replient sur la ligne Hindenburg, Castelnau, chef du Groupe d’armées de l’Est, se voit confier par Pétain l’étude d’une offensive vers Morhange et Sarrebruck.
Le 14 septembre, l’Autriche-Hongrie offre de négocier la paix avec les puissances alliées, mais celles-ci refusent. Ce n’est pas la première fois. Nous reviendrons sur les raisons de ce refus, qui est proprement criminel.
Le 15 septembre, dans les Balkans, l’offensive de Franchet d’Espèrey provoque la rupture du front bulgare à Dobropolje et contraint la Bulgarie à demander l’armistice le 25 septembre.
Le 26 septembre, Foch déclenche son offensive générale sur le front occidental (209 divisions contre 191 divisions allemandes solidement retranchées). Les Allemands reculent, mais nous font payer cher chaque pouce de terrain reconquis. Ils détruisent, incendient, maltraitent les populations.
Le 28 septembre, Ludendorff presse le gouvernement allemand de demander l’armistice en disant : « je veux sauver mon armée. »
C’est un épisode crucial pour la compréhension des événements. Ludendorff agit par ruse. Lui et Hindenburg vont effectuer une manœuvre politique pour sauver l’honneur de l’armée et faire porter la honte de l’armistice sur le gouvernement. Guillaume II, qui vit comme dans un rêve et ne comprend plus rien à la guerre, en sera la victime. Je cite Renouvin, un grand historien de la guerre de 14, qui fait cette analyse en se basant sur des historiens allemands :
N’est-il pas permis de penser que dans toute cette affaire, Ludendorff a mené une manœuvre politique ? Depuis la bataille du 8 août, c’est-à-dire depuis qu’il a eu conscience que la guerre était perdue, sa préoccupation constante avait été de dégager la responsabilité des chefs militaires dans la capitulation inévitable, et de la rejeter sur le gouvernement.
Lorsqu’il s’est rendu compte, le 28 septembre, que l’heure de la défaite irrémédiable était proche, il a donc voulu passer la main. C’est pourquoi, bien loin de retenir l’éventualité d’une dictature suggérée par le comte von Westarp et les milieux politiques d’extrême-droite, il a accepté et même souhaité la formation d’un gouvernement parlementaire, où sont entrés les représentants des partis de gauche. Or, ce gouvernement tardait à se former. Ludendorff a donc été amené à lancer des cris d’alarme. Il voulait contraindre le gouvernement parlementaire à assumer la responsabilité de la demande d’armistice et il y a réussi.
L’APPEL AUX AMÉRICAINS
Ludendorff et Hindenburg se retirent alors, laissant libre cours à la révolution à Berlin. Ils prévoient déjà que Guillaume II sera contraint à démissionner, si bien qu’au jour « J » de la signature, ce sera un petit socialiste sans aucun mandat de personne qui mettra la main dans la main de Foch pour signer l’armistice. Les généraux ne se seront pas salis et pourront dire : « Nous, l’armistice ? Nous ne connaissons pas ! »
C’est évidemment une folie pour la France de signer un armistice avec ce gouvernement fantoche comme s’il était le représentant du peuple allemand. Charles Maurras a aussitôt appelé les Français à se méfier.
Le 4 octobre, le nouveau gouvernement allemand (dont le chancelier Max de Bade, choisi pour donner un semblant de légitimité monarchique) adresse une note au président Wilson pour lui demander de « prendre en main le rétablissement de la paix sur la base des 14 points ». Il demande en outre la conclusion immédiate d’un armistice.
Que viennent faire ici les Américains ? La France est tout de même la principale intéressée, elle n’est même pas informée de ces pourparlers secrets...
LE JEU AMÉRICAIN
Il est nécessaire de faire une parenthèse sur ces fameux quatorze points, qui auront longue vie et serviront de base au traité de Versailles.
Les États-Unis se sont longtemps fait prier pour entrer dans la guerre. Le président Woodrow Wilson, élu en 1912, a commencé par prêcher le neutralisme, en disant que tous les belligérants, aux yeux des Étasuniens devaient être considérés à égalité : l’Allemagne, la France, l’Angleterre, la Belgique, tout cela se valait, les États-Unis ne prenaient pas parti, ni pour l’un ni pour l’autre.
En janvier 1917, il préconise “ une paix sans victoire ”, unique moyen d’assurer la stabilité de l’Europe, et il propose la création d’une Société des Nations pour la paix universelle. Nous retrouvons les pensées qui nous ont tellement étonnés chez Benoît XV, qui semble appartenir au même courant d’idées que Wilson, par quel chemin ?
Réélu pour un deuxième mandat, Wilson engage son pays dans la guerre le 6 avril 1917, juste au moment où on avait le plus besoin d’eux, quand les Allemands, bientôt libérés de leur front oriental, pourront ramener tous leurs soldats à l’est et enfoncer notre front.
Les Américains ont bien soin de se rendre indispensables. La guerre qu’ils engagent, apparemment “ pour le droit et la Démocratie contre les États autoritaires ”, vise surtout à dominer le marché européen, et à prendre la direction d’un gouvernement mondial en gestation.
Avant 1917, les adversaires de Wilson, le conservateur Roosevelt en tête, le traitaient encore de fou et d’idéaliste, ils ne concevaient pas autre chose que des traités classiques entre des pays qui se concertaient. Après sa réélection, ils ont au moins compris tout le profit que l’Amérique pourrait réaliser si une intervention décisive dans le camp des vainqueurs obligeait ceux-ci à rembourser les emprunts contractés chez eux. La finance trouve cette fois à y gagner.
LE CONGRÈS DU GRAND ORIENT
En juin 1917, un congrès des francs-maçons neutres et alliés se tient au Grand Orient de France, rue Cadet. C’est un tournant majeur de la guerre. L’Empereur Charles vient d’offrir secrètement à la France une paix séparée, et le chef du gouvernement, Ribot, à la Chambre, l’a non seulement refusée, mais il a étalé la démarche autrichienne sur la place publique pour désamorcer ainsi toute possibilité d’entente.
Écoutez cela, que je trouve cela dans Vallery-Radot, c’est le secret des secrets de la Grande Guerre :
À la Chambre, Ribot a refusé l’entente avec l’Autriche. L’Impératrice Zita dira : « Le discours de Ribot est le plus formidable mensonge et l’hypocrisie la plus flagrante de ce vieux malfaiteur. »
Elle avait son langage pour parler ! Mais le siège de Ribot était déjà fait.
Le 5 juin, il a dévoilé au Sénat quels intérêts il sert et sur quelles victimes doivent tomber les anathèmes. « Il faut, s’écrie-t-il, que dorénavant la justice ait pour garantie cette Ligue des Nations qui s’organise sous nos yeux et qui demain sera la maîtresse du monde. »
Or, il existe un document qui nous révèle dans quel esprit a été fondée cette Ligue des Nations qui s’arrogeait ainsi de sa propre autorité le gouvernement du monde et pourquoi, par voie de conséquence, la paix autrichienne devait être étouffée au prix de millions de victimes en surcroît.
C’est le compte rendu des congrès des maçonneries alliées et neutres qui se tint trois semaines après le discours annonciateur de Ribot, les 28, 29 et 30 juin 1917 au Grand Orient de France, rue Cadet, et qui discuta comme une assemblée souveraine du sort des nations, leur imposant, sous peine d’être rayé de la carte de l’Europe, l’adhésion à la religion démocratique. Le conflit n’était pas sur la terre, il se passait dans les nuées d’une idéologie dont nous payons maintenant l’absurdité criminelle.
C’était, disait ce Congrès, la guerre entre deux principes ennemis, celui de la démocratie et celui de l’impérialisme, celui de la liberté et celui de l’autorité.
Ainsi le frère Lebey, 33e degré, posait le problème international du haut d’un Sinaï laïque, d’où les victoires et les défaites, les hommes d’État et les chefs militaires, étaient classés, non pas selon les intérêts des nations, mais selon la conformité à l’idéal maçonnique lentement poursuivi dans l’ombre. « De Waterloo à Sedan, s’écriait ce Français, de Sedan à la Marne, de Lafayette et de Washington au président Wilson et au maréchal Joffre, une logique obscure mène le monde à son but inconnu. » Pour que ce but inconnu fût atteint, il fallait à tout prix empêcher que la paix autrichienne arrêtât le massacre.
« Tout le monde, déclarait le frère Lebey, sent qu’une paix qui ne serait qu’une intervention diplomatique demeurerait incomplète et qu’elle doit être une première mise en œuvre de la Société des Nations. S’il y a une guerre sainte, c’est celle-là, et nous devons le redire sans cesse. »
« Ne pas saisir l’occasion unique qui s’offre de rebâtir plus raisonnablement le monde serait une véritable folie. La France, en poursuivant la lutte, reste dans sa tradition. Elle a proclamé les Droits de l’homme en 1789, elle doit, en poursuivant l’achèvement de sa politique des nationalités, proclamer le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. »
Ce que ça va donner, nous l’étudierons dans notre prochain chapitre sur le traité de Versailles.
Le lendemain, le congrès soumettait aux voix treize articles qui devaient constituer dans ses lignes essentielles la charte préliminaire de la Société des Nations, et décidait qu’ils seraient envoyés à tous les gouvernements des pays alliés et neutres. Dans une motion adoptée à l’unanimité, il proclamait que « les principes éternels de la franc-maçonnerie sont entièrement conformes à ceux proclamés par le président Wilson. Cette œuvre de justice internationale et de fraternité démocratique représente l’idéal même de la franc-maçonnerie. » Un appel chaleureux était adressé à tous les frères pour réclamer leur concours à la réalisation de la Société des Nations qui, seule, peut garantir à l’avenir la liberté des peuples, le droit et la justice internationale. La guerre continuera donc.
LES QUATORZE POINTS DE WILSON
Voilà comment notre monde était mené vers ces grandes idées de remodelage de toutes les nations du monde par la franc-maçonnerie, franc-maçonnerie dont Wilson sera tout simplement l’écho, à travers son conseiller, son âme damnée, le fameux colonel House, qui a tout simplement recopié les treize articles du congrès.
Drôle d’homme que ce House. Quand il arrivera en France pour la conférence de paix, on le verra commander à tout le monde, parler à Clemenceau, à Lloyd Georges, comme à des petits garçons. Il n’était que colonel, faux colonel de l’armée américaine, mais il était un des grands princes du sublime secret de la franc-maçonnerie internationale. Il avait des idées qui paraissent très curieuses aujourd’hui :
Le colonel House avait des idées en matière de politique européenne qui tiennent pour l’essentiel en quelques lignes : les Américains, les Britanniques, les Allemands, forment une race blanche, aux yeux de laquelle les autres nations sont sans importance. Une Allemagne forte, mais démilitarisée, demeure indispensable à la stabilité économique de l’Europe et à la prospérité mondiale. Un grand danger menace la civilisation : la Russie tsariste. ... à garder en mémoire pour comprendre la suite des événements.
Le 8 janvier 1918, Wilson propose donc aux belligérants ses “ Quatorze points pour la paix du monde ”, présentés comme le seul programme capable d’arriver à cette fin. Il est nécessaire de relire ces Quatorze points car ils tiennent dans leurs griffes tout notre destin jusqu’aujourd’hui.
1) Pacte de paix publiquement discuté et conclu, après lequel toutes les ententes internationales et les négociations diplomatiques devront être poursuivies ouvertement et dans le plus grand esprit de franchise.
Autrement dit, abolition des traités secrets. Entrave majeure pour une politique nationale de la France.
2) Absolue liberté des mers.
3) Disparition le plus tôt possible de toutes les barrières économiques.
Deux dispositions qui préparent une suprématie commerciale de l’Amérique sur le monde.
4) Échange de garanties concernant la réduction des armements nationaux au minimum compatible avec la sécurité domestique.
5) Règlement large libre et complètement impartial [complètement impartial !] de toutes les revendications d’ordre colonial.
C’est-à-dire le colonisateur et le colonisé devront s’entendre à égalité, de telle manière qu’on ne fasse plus des colonies à proprement parler, mais des “ mandats ” de puissances chargées de conserver la paix dans ces pays.
6) Évacuation de tous les territoires russes. Règlement de toutes les questions concernant la Russie, grâce à la franche et à la libre coopération des autres nations, etc.
Il faut penser qu’entre le congrès de la rue Cadet et le moment où Wilson prononce son discours, la carte Lénine a joué son jeu, et la Russie a basculé dans le bolchevisme. Or cet article sixième marque un soutien « sincère et bienveillant » [sic ! remarquez l’appel à des notions morales complètement équivoques] à la nouvelle Russie pour lui permettre de se tailler une place dans le concert des nations et de se doter des institutions de son choix.
Les points Sept, Huit et neuf concernent la Belgique, la France et l’Italie. Ce sont des concessions minimales accordées aux puissances européennes qui ont défendu leur propre territoire.
Mais le dixièmement, en quatre lignes, annonce la ruine de l’Autriche, empire millénaire... et catholique :
10) Les peuples de l’Autriche-Hongrie, dont nous désirons sauvegarder et assurer la place parmi les nations, seront dotés de tous les moyens d’assurer leur développement autonome.
Les points onze, douze et treize concernent les Balkans, la Turquie et la Pologne.
Le dernier point reprend la grande idée de Wilson :
14) Une association générale des nations pourra être formée en vertu d’accords spécifiques, dans le but de donner aux grands comme aux petits États les mêmes garanties d’indépendance politique et d’intégrité territoriale.
Ce qui est important, c’est que nulle part dans ce texte il n’est question d’attenter à l’unité de l’Allemagne. Elle devra céder quelques lambeaux de territoire, l’Alsace et la Lorraine, un bout de Pologne, le couloir de Dantzig, mais elle gardera toute son unité, sa cohérence.
Pire, elle pourra profiter du nouveau principe du droit des peuples pour reconstruire sa puissance. C’est cela le plus grand scandale. Par la volonté de ces seigneurs anglo-saxons, la morale prend la place de la diplomatie, mais une morale qui leur sert toujours à eux et jamais à nous ! Ainsi, avec un même principe, ils vont ruiner l’unité autrichienne et ils vont cimenter l’unité allemande. Partout où les Allemands voudront aller, ils diront : « Il y a des gens qui parlent allemand, ici, donc ce sont des Allemands, ils ont le droit d’appartenir au grand Reich ! » En Autriche, on dira : « Mais ce sont des Hongrois, ce sont des Croates, etc., il faut que chacun trouve sa liberté. »
Voilà l’épouvantable travail de ce malheureux Woodrow Wilson, L’homme le plus néfaste de son siècle. Ce sera le grand mérite de l’Action Française d’avoir très rapidement percé à jour le jeu américain et prévu les conséquences funestes pour l’Europe et pour la France.
« COUPER LES JARRETS DE NOS TROUPES »
On ne s’étonne plus dès lors que le gouvernement allemand, manœuvré par Ludendorff, s’adresse directement au seul Président américain pour lui demander de prendre en main le rétablissement de la paix, le 4 octobre 1918...
Wilson, d’abord large, se fait de plus en plus exigeant. Il veut que les négociations soient le fait des représentants du peuple allemand et non de « l’actuel commandement militaire » ou de « l’autocratie monarchique ». Le contraire de ce qu’il aurait dû imposer. Après avoir tergiversé, Berlin accepte.
Le 8 octobre, Foch, consulté, émet sa première note sur les conditions d’un possible armistice : principalement l’occupation de la rive gauche du Rhin.
Il se montre ici d’un irréalisme complet, comme si une stipulation d’armistice, conclue avec des pseudo-représentants du peuple avait la même valeur qu’une conquête militaire en bonne et due forme, où les Allemands nous auraient vu entrer chez eux et prendre le contrôle militaire du pays par les armes.
On admire que Foch fasse tout cela dans un isolement complet, entre les gouvernants des pays alliés et les généraux qu’il ne consulte pas !
Le 7 octobre, Clemenceau détourne une partie de l’armée d’Orient vers la Roumanie, une autre vers la Turquie. Lui aussi est en train de trahir notre pays. Il veut empêcher que nos troupes puissent remonter le Danube jusqu’à Budapest.
Clemenceau n’est pas seulement jaloux des succès qui se font en Orient loin de lui, il est surtout acharné à détruire l’Autriche, à lui ôter toute possibilité de faire une paix bilatérale qui la sépare de l’Allemagne. Le tracé qu’il donne vers Sofia et Bucarest est inutile : la Roumanie, de toute manière, aurait été libérée par une forte manœuvre en Hongrie. Pendant ce temps, les Anglais lorgnent vers Constantinople, et Foch, au grand dam de Clemenceau, s’apprête à leur abandonner ce nouveau théâtre d’opération.
Le 10 octobre : Foch entame sa grande offensive vers les Flandres, négligeant délibérément le front de Lorraine.
Le 12 octobre, tandis que les Allemands se replient sur la ligne Hermann, Le président Poincaré met en garde Clemenceau contre le risque d’un armistice prématuré : « Ce serait couper les jarrets de nos troupes. » Clemenceau exige de lui des excuses pour s’être ingéré dans un domaine qui relève de son seul gouvernement.
En fait, Poincaré, avec Maurras et beaucoup d’autres, voit le piège qui se tend.
Le 14 octobre une note de Pétain aux armées françaises montre une détermination très forte de mener cette guerre jusqu’au bout et d’aller signer la paix en territoire ennemi.
LES ALLIÉS ENFIN SAISIS DE L’AFFAIRE
Revenons à la diplomatie. Le 23 octobre, après dix-neuf jours de négociations secrètes avec l’Allemagne, Wilson se tourne vers les alliés et leur propose de faire la paix “ selon les principes indiqués ” (les Quatorze points).
Mais il ajoute, dans l’idée de faire endosser la responsabilité de l’armistice par les chefs militaires : « pourvu qu’ils jugent un tel armistice possible au point de vue militaire. » D’où les conciliabules qui s’ensuivront entre Foch et les trois généraux en chef.
Le jour même, Clemenceau, répondant à une lettre de Foch, revendique la suprématie du pouvoir civil. Son attitude est innommable. À Foch, qui, dans une lumière d’intelligence, lui demande quand même quels sont nos buts de guerre, afin de les faire valoir pendant la négociation, Clemenceau l’envoie promener en disant : « C’est moi, Clemenceau, qui m’occupe de la diplomatie ! Occupez-vous des choses militaires ».
Foch s’exécute donc le 25 octobre et réunit les commandants en chef pour leur demander ce qu’ils considèrent comme les conditions minima et maxima d’armistice :
Dans cette conférence, les points de vue sont ceux que laissaient prévoir les déclarations antérieures. Le seul fait nouveau, c’est la position du commandant en chef français. Pétain insiste sur l’importance de l’offensive que l’armée française, avec l’appui de divisions américaines, s’apprête à lancer en Lorraine. Il espère couper les lignes de communication des forces allemandes dans le nord de la France et en Belgique ; en pareil cas, la victoire serait totale. Il exprime donc le vœu que les opérations militaires ne soient pas suspendues avant la mi-novembre, date prévue pour cette offensive.
Si pourtant l’armistice devait être signé auparavant, il importe que les armées allemandes soient incapables de reprendre les hostilités.
Pershing, l’Américain, donne l’assentiment à ce programme. Nous savons qu’il était parfaitement d’accord avec Pétain. Il devait d’ailleurs mener conjointement avec lui l’offensive de Lorraine. Mais il comprendra assez vite que Wilson n’a rien à faire de cette victoire, même pas pour la gloire de sa propre armée.
Haig, l’Anglais, voudrait quant à lui un armistice de rien, d’une mollesse extrême.
Dans son compte-rendu du lendemain à Clemenceau, Foch mentionne les positions minimales de Haig, pour s’y opposer et paraître exigeant, mais il ne prend pas à son compte les suggestions de Pétain et de Pershing, et surtout, il passe sous silence leur revendication majeure de poursuivre l’offensive de Lorraine. C’est une trahison !
Pendant ce temps, les armées progressent. Le 24 octobre, nos troupes atteignent le Danube. Le 26, c’est la déroute autrichienne sur le front du Piave.
Ce même jour, en Allemagne, Ludendorff démissionne, remplacé par Groener. C’est un habile calcul, qui lui permettra de revenir en jeu au moment de l’armistice.
Le 30 octobre, Les gouvernements alliés se réunissent à Versailles en un Conseil suprême de la Guerre. Pershing leur adresse une note : « Accepter le principe d’une paix négociée au lieu d’une paix dictée, c’est perdre toute chance d’aboutir à un règlement durable. » Wilson écarte donc la proposition de son général en chef.
Le lendemain, 31 octobre, tandis qu’il relance à grand frais son offensive des Flandres, Foch comparaît devant le Conseil suprême à Versailles. Il déclare :
« Je ne fais pas la guerre pour faire la guerre, mais pour obtenir des résultats. Si les Allemands signent un armistice aux conditions reconnues nécessaires pour garantir ces résultats, je suis satisfait. Nul n’a le droit de prolonger plus longtemps l’effusion du sang. »
Qu’on me permette ! Ce langage est stupide. Tout le monde fait la guerre pour obtenir des résultats ! Mais il faut faire la différence entre une occupation de terrain acquise par les armes, et une promesse d’occupation future concédée autour d’une table de négociation. C’est vraiment lâcher la proie pour l’ombre.
L’occupation de la Ruhr et de la Westphalie, est-ce l’armistice qui va nous la garantir ? C’est un chiffon de papier pour les Allemands !
Quant à dire que « Nul n’a le droit de prolonger plus longtemps l’effusion du sang », il suffit de rappeler comment il a fait bousiller 10 000 hommes par jour dans l’Yser, à Dixmude, sans que personne ne lui dise rien, et là, pour une offensive qui nous aurait coûté peut-être 500 morts – c’était l’estimation du le général de Cointet – il recule ?
Tous les auteurs ne peuvent pas faire autrement que de soupçonner là derrière une question de rivalité, de jalousie féroce.
LES DERNIERS COMBATS
Pendant que nos gouvernants parlementent à Versailles, l’armistice de Moudros est signé entre la Turquie et la Grande-Bretagne, le 30 octobre. La Turquie, c’est aussi l’empire Ottoman, et les champs pétrolifères de Mésopotamie. Le gouvernement français n’a été prévenu de rien, il est mis devant le fait accompli. Clemenceau doit ratifier le traité le lendemain. Il n’a rien à dire, il signe.
Le 1er novembre, une bonne nouvelle : l’armée franco-serbe entre à Belgrade.
Mais au même moment, les troupes anglaises progressent en Orient, elles occupent Mossoul. Elles poursuivront leur course jusqu’à Bakou, le 16 novembre, car elles ne seront pas arrêtées par l’armistice européen du 11 novembre. L’Angleterre prépare son Empire de demain, c’est évident.
Mais que fait la France ?
Après la victoire italienne sur le Piave, l’armistice de Villa Guisti est signé entre l’Autriche et l’Italie. Or cet armistice accorde aux armées alliées le droit de traverser le territoire autrichien pour attaquer l’Allemagne du sud. Personne ne dit jamais ça ! Or, notre armée d’Orient est déjà à Belgrade, aux portes de la Hongrie. Elle n’aurait qu’à prendre le train et, traversant tout l’empire en direction du nord, se retrouverait en trois jours aux portes de Dresde. Dresde, ce n’est qu’à 200 kilomètres de Berlin, c’est le cœur même de la Prusse impériale ! Les Français secondés par les Serbes auraient pu faire là une campagne foudroyante et se couvrir de gloire. Hélas, ni Foch ni Clemenceau ne pouvaient supporter la chose.
Le 4 novembre, à Versailles, les clauses politiques de l’armistice ont du mal à se fixer. Le colonel House, représentant personnel de Wilson, évoque même la possibilité d’une paix séparée entre les États-Unis et l’Allemagne si les Alliés remettent en cause les Quatorze points. Ils sont finalement acceptés moyennant deux réserves : sur la liberté des mers et sur les réparations de guerre. C’est une victoire diplomatique pour Wilson, mais les divergences entre les Alliés restent latentes.
Le 5 novembre le Groupe d’Armées des Flandres atteint l’Escaut, les Américains franchissent la Meuse ; les Allemands se replient sur la position Anvers-Meuse. Le roi des Belges prévenu de l’imminence de l’armistice, affiche son mécontentement. Il voulait rentrer chez lui en soldat, sur son cheval, et reconquérir ses terres. Il ne le pourra pas.
Ce même jour, Wilson fait savoir à Berlin que le maréchal Foch a été autorisé à recevoir les représentants dûment accrédités du gouvernement allemand pour leur présenter les conditions d’armistice.
Toujours ce 5 novembre, Foch presse Pétain d’accélérer les préparatifs de son offensive de Lorraine fixée pour le 14 novembre ! Est-ce pour se dédouaner de son crime au regard de l’histoire ? En tout cas c’est d’une incroyable hypocrisie.
RETHONDES, 8 AU 11 NOVEMBRE 1918
La rencontre avec la délégation allemande a lieu à Rethondes le 8 novembre, dans la forêt ; elle durera trois jours. Foch est seul en face des Allemands, avec Weygand et quelques autres. En face de lui, un rien-du-tout dont Hindenburg et Ludendorff diront, dès le lendemain : « Ce n’est pas l’Allemagne qui a signé, c’est les socialistes. »
Il y a une seule personne en France qui a été prévenue, c’est Pétain, mais il est tenu au secret. Il va faire le trajet cependant, le lendemain, et c’est là que ce produit le dramatique échange déjà raconté.
Pendant ce temps, 9 novembre, sous la poussée des mouvements révolutionnaires qui, à partir de Kiel, ont gagné les grandes villes d’Allemagne, l’empereur Guillaume II abdique. Max de Bade est remplacé par le socialiste Ebert. C’est donc avec une espèce de gouvernement insurrectionnel que nous allons traiter de la paix ? C’est fou !
Le 10 au soir, le gouvernement allemand (en fait, Hindenburg) fait savoir qu’il accepte les conditions de l’armistice. Ebert n’est évidemment qu’une marionnette entre les mains des militaires, qui n’accepteront jamais de dire qu’ils ont été vaincus.
Foch lui-même n’était pas tellement sûr d’avoir bonne conscience. Cela se voit dans une lettre adressée à sa famille, le 21 novembre 1918, citée par Pedroncini :
« J’ai été en conciliabule avec mes boches les 8, 9 et 10 et toute la nuit du 10 au 11 pour aboutir à signer à 5 heures. Ils étaient consternés, catastrophés. Je les ai mis raide, leur ai fait peu de concessions. En fait, en signant le papier, en arrêtant à tout prix nos attaques, ils ont échappé à une destruction complète en voie de réalisation et qui allait s’achever le 14 novembre. J’ai regretté la chose au point de vue militaire et, comme ils acceptaient MES conditions, je devais bien ménager le sang pour écourter la continuation des hostilités, j’ai signé. »
Au fond, Foch a dû être sensible aux pressions des gouvernements, aux réticences anglaises et à ses propres intentions d’une intervention en Russie qu’il expose dès le 12 novembre.
Car il y aura une suite orientale à la guerre de 14-18, avec d’autres traités, que nous étudieront dans un prochain volet.
Quoi qu’il en soit, la trahison est là, elle est immense. Je termine par une citation très mesurée du président Poincaré, tirée de ses souvenirs à la date du 31 décembre 1918. Elle nous est rapportée par l’excellent général Paul Azan, le biographe de Franchet d’Espèrey :
« Pour moi, la vérité est qu’on eût mieux fait d’achever la défaite de l’Allemagne avant de signer l’armistice. Mais ni Clemenceau ni Foch n’ont été de mon opinion ; le premier parce qu’il avait hâte de présider aux élections, le second parce qu’il voulait, dans un sentiment d’ailleurs très noble, mettre fin à toutes les batailles meurtrières. »
Étranges et insuffisantes raisons ! Ne craignait-il pas plutôt que, au grand livre de l’histoire, la victoire fût inscrite à l’actif du front oriental ? [et à l’actif du front de Lorraine, j’ajoute] Si Franchet d’Espèrey avait été libre de poursuivre sa marche victorieuse, il aurait pu obtenir d’incalculables résultats, car il aurait traité les Allemands comme il avait traité les Bulgares et les Hongrois lors des armistices qu’il leur avait accordés. La deuxième guerre mondiale n’aurait pas eu lieu, s’il était allé dicter à Berlin les volontés de la France.
D'après les conférences F 48 et F 49, des 15 décembre 1994 et 19 janvier 1995