10 SEPTEMBRE 2023

« N’ayez de dette envers personne, 
sinon celle de l’amour mutuel. »

JE voudrai vous démontrer dans mon sermon que l’amour humain, c’est-à-dire les affections, les tendresses humaines que nous éprouvons comme naturellement ne sont pas opposées à l’amour de Dieu ni à la volonté de Dieu comme on le croit trop souvent.

Nous sommes trop habitués, en tant que chrétiens, aux merveilles de notre religion, et il nous semble tout à fait naturel que Dieu veuille que nous nous aimions les uns les autres. Mais il faut savoir que dans quantité de religions humaines, c’est-à-dire inventées par des hommes, la Divinité veut qu’on l’aime et que l’on déteste son prochain au point d’être même cruel envers lui.

Il faudrait d’abord réfléchir à cela pour comprendre ce qu’il y a de merveilleusement doux et tendre dans la Loi du Christ qui nous a dit : « aimez-vous les uns les autres », ajoutant à de nombreuses reprises que les deux commandements d’aimer Dieu et d’aimer son prochain, n’en font qu’un. Voilà pourquoi notre religion est la religion de l’amour et non pas de la haine. Tous les chrétiens le savent bien, mais cela ne va pas de soi aujourd’hui.

Alors, posons bien comme thème de notre réflexion ces paroles de Saint Jean, au chapitre XIIIe de son Évangile : « Je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres. Oui, comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. On reconnaîtra que vous êtes mes disciples à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. » Et il ajoute : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », donnant cette mesure à l’amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. »

Nous voyons bien que Notre-Seigneur est le plus doux des sauveurs, et le fondateur d’une religion la plus tendre qui soit. C’est dans cette carrière ainsi ouverte que saint Paul se précipite dans ce passage de l’épître aux Romains qui est un texte majeur de notre religion : « N’ayez de dette envers personne, sinon celle de l’amour mutuel. Car celui qui aime son prochain a, de ce fait, accompli la Loi. En effet, le précepte : tu ne commettras pas d’adultère, tu ne tueras pas, tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain et tous les autres préceptes se résument en cette formule : tu aimeras ton prochain comme toi-même. La charité ne fait point de tort au prochain, la charité est donc la Loi dans sa plénitude. » (Rm 13, 8-10)

Quelle Loi facile ! Car enfin tout le monde veut aimer. Si je prêche l’amour, je sais que je vous plais à tous, car vous êtes tous intimement disposés à écouter un prêtre qui vous dit : aimez ! et qui a l’audace de Saint Augustin lorsqu’il disait à ses chrétiens d’Hippone : « Aime et fais ce que tu veux ! » Je ne te demande qu’une chose, aime ! tout ce qui sera dans la ligne de ton amour, tu peux le faire.

C’est très extraordinaire ! Parce que de la même manière que tous les corps s’attirent dans l’univers, selon la loi de Newton (ils ne peuvent pas faire autrement, c’est dans leur nature), les êtres humains doivent s’aimer pareillement. Il y a, en nous, une pesanteur, une nature que Dieu a mise et qui est l’amour.

Voilà pourquoi Saint Jean dans son épître dit : « Dieu est Amour ». Il est vrai que Dieu est Vérité, Sagesse et Toute Puissance, mais enfin Dieu est Amour, et nous créant comme fils de Dieu, il nous a faits semblables à Lui, capables d’aimer, voulant aimer.

C’est pourquoi je vous conjure d’aimer comme le Christ nous a aimés. Cela paraît facile, comme dit le chant que nous chantions autrefois : « C’est si simple d’aimer, de sourire à la vie... » Mais cela n’est pas toujours très facile ni très simple. Je préférerais dire que l’amour est un bonheur. Le fondement de notre vie est le bonheur. Dans les mystères du Rosaire, il y a d’abord les mystères joyeux. Il faut savoir que notre religion se fonde sur le bonheur humain et un bonheur profond. Ensuite, il y aura peut-être des mystères douloureux, mais il faut savoir qu’au départ de notre vie, nous sommes invités par Dieu à l’amour.

Les deux commandements n’en font qu’un et la meilleure manière d’aimer Dieu, c’est d’aimer son prochain. Et saint Jean dans sa première épître explique que si tu n’aimes pas ton prochain que tu vois, tu ne peux pas dire sans être « menteur » que tu aimes Dieu que tu ne vois pas. Transposons en termes modernes : il y a beaucoup de gens qui prétendent aimer les pauvres hindous, les noirs du Biafra qui se font massacrer... N’en croyez rien. Ils ne les ont jamais rencontrés ni jamais vus. Qu’est-ce que cet amour qui s’adresse à des ectoplasmes invisibles ? Regardez donc s’ils aiment leur prochain avec lequel ils sont obligés de vivre. Nous, nous disons : aime ton prochain et tu montreras que tu aimes Dieu. Mais pour bien aimer son prochain, il faut aimer Dieu. Et pour bien aimer Dieu, il faut aimer son prochain.

Cet amour juste, sage et fort, qui est à la fois amour de Dieu et du prochain, vous donnera une raison de vivre, qui sera pour vous une marche vers la joie, car le Christ a dit : « Que ma joie demeure en vous. » Le Christ nous donne la joie d’aimer selon une certaine logique qui peut nous conduire au sacrifice, mais qui de toute manière, nous conduit vers le bonheur éternel.

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la retraite Amour humain, Amour divin, Toussaint, 1975 – S 29